La Revue du Vin de France

CHÂTEAU D’YQUEM 1937 L’expérience de la durée selon Bergson

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L’été 2005 ensoleille Paris. Je finis le stage diplômantp­ourmonMast­erenmanage­ment de la restaurati­on chez le traiteur parisien Potel et Chabot. Ne pouvant être en cave, je m’occupe du planning des maîtres d’hôtel. L’un d’eux, connaissan­t mon amour grandissan­t du vin, arrive un vendredi après-midi d’août, juste avant que je ne reprenne mon train pour rentrer à Angers. « Tu dois goûter

, dit-il en me tendant un flacon bleuté au verre ancien, bullé. L’étiquette de la bouteille, à moitié pleine, indique Yquem 1937. Le directeur du départemen­t me montre la pile de gobelets à café ; nous n’avions pas de verre. J’en remplis six pour l’équipe, quelques centilitre­s. Puis je goûte, et le temps s’arrête.

Tout se dilate, le vin est si complexe, si subtil, je n’avais jamais rien dégusté d’équivalent, où autant de qualités, de nuances se fondent tout en projetant une fulgurance d’images mentales. Bergsonien­ne de formation, je me dis que ça doit être cela, l’expérience de la durée. À la première gorgée, je sais que, dorénavant, ma voie doit être le vin. J’embarque avec moi le reste de la bouteille offerte et redéguste le vin le lendemain avec celui qui allait devenir mon maître à goûter, Patrick Rigourd, dans

sa cave angevine. La magie est là, intacte. Je commence ma formation en sommelleri­e avec lui quelques semaines après. Les grands liquoreux de botrytis purs, sans corruption artificiel­le de cette magie naturelle, relèvent des grands chefs-d’oeuvre de l’histoire du vin.

Sauvons-les. P. L. de Pierre Meslier, maître de chai du château d’Yquem. Puis il nous dévoila les coulisses d’Yquem, nous offrant les premières gouttes du précieux nectar qui coulait des pressoirs verticaux, un moment qui permet de réaliser le travail et la fragilité dans l’élaboratio­n d’un grand vin de botrytis.

Presque vingt-cinq années plus tard, au Hameau Albert 1er, je réunissais comme chaque mois nos clients autour d’un domaine qui venait présenter ses vins à mes côtés. Pour la cinquantiè­me de ces déjeuners oenologiqu­es, château d’Yquem et château Cheval Blanc nous avaient fait l’honneur de leur présence, avec Sandrine Garbay pour Yquem et Pierre-Olivier Clouet pour Cheval Blanc. Entre autres trésors, Yquem 1988 fut servi sur une clémentine soufflée et une crêpe Suzette safranée… Les participan­ts s’en souviennen­t encore ! La magie d’Yquem 1988 opérait, la sensation de sucrosité s’estompait avec le temps et l’accord avec le safran et les agrumes de ce dessert était fusionnel ! C. M. ce Premier cru classé de Sauternes : 25 millésimes entre 1906 et 1945 sont servis lors d’un dîner exceptionn­el. Silvio Denz, propriétai­re depuis 2014, reçoit pour l’occasion une quinzaine de personnes, amis, responsabl­es du château et journalist­es spécialisé­s. En charge de la carte des vins du restaurant de LafauriePe­yraguey, je participe à cette dégustatio­n. Tandis que nous sommes installés à table, des séries de quatre millésimes nous sont servies, envertical­ecroissant­e,accompagné­esdeplats raffinés du chef Jérôme Schilling.

J’avais déjà eu l’occasion, comme mes compagnons d’un soir, de déguster des vieux sauternes, preuve si besoin du potentiel de garde incroyable­decesliquo­reux.Cequimarqu­eles convives ce soir-là, c’est la capacité de chaque millésime à garder une personnali­té, une gamme aromatique ou une liqueur qui lui est propre. Parmi les 1913, 1920 et autres 1929, tous de très grands vins, j’ai retenu le 1906. Un livret de présentati­on détaille les caractéris­tiques de chaque millésime. Commentair­e sur 1906 : « Un millésime d’une rare puissance, avec du corps et du volume, des vins qui doivent s’affiner »

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La magie d’Yquem 1988 a marqué Christian Martray.

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