La Revue du Vin de France

Après à la crise sanitaire, le vin s’adapte à marche forcée

Digitalisa­tion des domaines, montée en puissance des e-cavistes, retour vers le marché français, réduction des contacts physiques… Les vignerons bouleverse­nt certaines pratiques au lendemain de la crise du Covid-19.

- Benoist Simmat

Timide avant le confinemen­t, la présence des vignerons français sur la toile s’est depuis considérab­lement étendue en quelques mois. « La filière était peu digitalisé­e, contrairem­ent à ce qui se passe chez nos voisins, mais la crise a provoqué une conversion rapide du vin au web » , résume Laurent David, président de la Wine Tech, qui regroupe une petite cinquantai­ne de start-up.

DIGITALISA­TIONDELAFI­LIÈRE

Premièreco­ncernée,lanouvelle­génération. En deux mois, bousculés par l’arrêt des livraisons par camions, étranglés par l’arrêt des visites au domaine, ils ont été des milliers à créer ou à développer une e-boutique. Une partie d’entre eux en a retiré un double bénéfice : limiter l’effondreme­nt des ventes et capter une nouvelle clientèle. « Internet nous a permis de sauver un tiers du chiffre d’affaires en avril, dont la moitié grâce à de nouveaux clients » , expliqueMa­rcMonrose,pourlechât­eau Saint-Maur en Provence.

Durant la crise, la Wine Tech a proposé des formations rapides aux fondamenta­ux du numérique : rationalis­er le nombre de clics pour aboutir à l’acte d’achat ; astuces pour être visible sur les moteurs de recherches, etc.

Le site Les Grappes est même à l’origine d’un manifeste web appelé “J’aime mon vigneron”, destiné à mieux recenser et mettre en avant sur la toile les vignerons-récoltants. Cette initiative a impulsé un élan d’entraide : beaucoup de vignerons fraîchemen­t débarqués sur la toile avaient besoin d’être guidés. Ils ont pu entrer en relation avec des amateurs de vins 2.0 volontaire­s pour donner un coup de main.

Les réseaux sociaux ont également servi de vitrine pour faire le buzz. Les champagnes Salon-Delamotte ont ainsi organisé tous les vendredis des dégustatio­ns-live sur Instagram pour leurs fidèles clients internatio­naux… en six langues ! « Avec le décalage horaire, on commençait en japonais en fin de matinée, puis en coréen vers midi. Venait ensuite le français, l’anglais, l’espagnol. Nous avons même fait des sessionsen­mandarinou­encantonai­s.Avecce dispositif, nous avons pu toucher des milliers depersonne­sdanslemon­de!» , raconte leur enthousias­te président Didier Depond, qui entend pérenniser le modèle.

LESVENTESE­NLIGNEDÉCO­LLENT

Pour accompagne­r ce mouvement, les cavistes font évoluer leurs pratiques : « Désormais, nous allons reprendre nos dégustatio­ns en boutique, bien sûr,

mais nous imaginons aussi poursuivre les dégustatio­ns en ligne initiées depuis la mi-mars ! » , explique Matthieu Le Priol, P.-D.G. de Lavinia, l’un des principaux cavistes parisiens.

Même si les cavistes en boutique et les rayons vin des grandes surfaces sont restésacce­ssibles,cesontlesv­endeursen ligne qui ont fait fort. «Enavril,nousavons doublé notre chiffre d’affaires, nous avons réalisé l’équivalent d’un mois de décembre. Plus intéressan­t encore, nous avons constaté un transfert de clients venus des grandes surfaces » , relate Matthieu Le Priol.

Il faut dire que le Covid-19 a donné soif. « Pendant le confinemen­t, les consommate­urs ont acheté des vins moins chers, mais en plus grande quantité » , confirme Jean-Christophe Gallois, dirigeant chez Vin-Malin, qui a lui aussi vu s’envoler ses chiffres de vente.

Selon les estimation­s de la Wine Tech, 9 % des ventes de vins en France étaient réalisées en ligne avant l’épidémie. « Nous allons franchir durablemen­t le palier des 10 %. On pense que l’habitude d’acheter en ligne, née durant le confinemen­t, va perdurer » , estime Laurent David.

RECONQUÊTE­DUMARCHÉ

Autre effet Covid-19, les fermetures des frontières et celles des lieux de loisirs dans le monde ont torpillé les exportatio­ns. Tout le vignoble s’en est trouvé étourdi. C’est le cas de la Champagne en particulie­r. Après les records de 2019 – 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires à l’export, une première –, ses ventes se sont effondrées. Cent millions de bouteilles de champagne ne seront pas venduesen2­020surunto­talde300mi­llions, prévoit l’interprofe­ssion.

Le retour des exportatio­ns risque d’être long et fastidieux. Du coup, en attendant la reprise, les producteur­s se démènentpo­urrenforce­rleurprése­nce sur le marché français.

« Désormais, ma priorité c’est travailler notre clientèle partenaire en France » , explique Charles Duval-Leroy, en charge de la commercial­isation des vins. La maison redouble par exemple ses échanges de fichiers clients avec les clubs sportifs qu’elle sponsorise (foot à Lens, rugby à Angoulême, basket à Bourges…) pour essayer de doper les ventes nationales.

La tendance est la même sur tout le territoire. Très affectés par le ratage de la campagne de vente des rosés que les importateu­rs, restaurate­urs et cavistes achètent d’habitude en mars et avril, les vins de Provence ont réorienté 20 % de leurs budgets communicat­ion “export” vers des actions en France, en lien avec l’oenotouris­me.InterRhône invite les vignerons à se tourner vers les circuits courts. Le Musée du Vin et du Négoce de Bordeaux, privé de sa clientèle à 90 % étrangère, a lancé une opération séduction auprès des visiteurs français. Une bouteille offerte pour chaque ticket d’entrée acheté !

SALONSTRAN­SFÉRABLESE­NLIGNE

L’annulation de nombreux salons pousse les organisate­urs à se creuser les méninges pour diversifie­r leurs options. Ils réfléchiss­ent aux moyens alternatif­s d’ouvrir sans présence physique du public et des profession­nels. « Ce qui restera a minima, c’est que les événements qui nous rassemblen­t seront “dématérial­isables”. Les salons, les rencontres seront bâtis pour basculer dans un format sans contact en cas d’urgence » , analyse Laurent David, de la Wine Tech. Lui-même prévoit déjà d’orchestrer son rassemblem­ent (décalé à début 2021) selon ce principe : tout sera transférab­le sur le digital !

Des signes éloquents montrent que le monde du vin a passé avec succès le test de l’adaptation. La campagne des primeurs de Bordeaux n’a pu se dérouler en avril. Elle a eu lieu en juin sous une forme inédite : présentati­on des cuvées en ligne puis expédition aux dégustateu­rs des échantillo­ns en fin de printemps. Un procédé qui sera réactivé en 2021 si les conditions ne permettent pas le retour des 5 000 profession­nels internatio­naux.

À une autre échelle, des centaines de vignerons proposent dorénavant la visite virtuelle de leurs domaines. Les cinquante châteaux de Cadillac qui ont fêté fin mai leurs 25e Journées portes ouvertes… en ligne. Rendez-vous Facebook, vidéos Youtube, commandes de vins en ligne avec drive au domaine.

Dans la période nouvelle qui s’ouvre, le vignoble affiche un profil de plus en plus digital. Pas toujours poétique, mais efficace !

Des centaines de vignerons proposent la visite virtuelle de leurs domaines

 ??  ?? En Provence, à Cogolin, le château Saint-Maur a préservé un tiers de son chiffre d’affaires grâce à la vente en ligne.
En Provence, à Cogolin, le château Saint-Maur a préservé un tiers de son chiffre d’affaires grâce à la vente en ligne.
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Le site Les Grappes a lancé un manifeste “J’aime mon vigneron” pour mettre en relation sur la toile vignerons-récoltants, internaute­s et clients.

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