Les dessous du terroir
Saint-Nicolas-de-Bourgueil, terrasses précoces et coteaux de garde
L’appellation de Touraine offre une belle variété de sols que ses vignerons explorent aujourd’hui avec la plus grande attention pour mieux affiner leur travail viticole et leurs assemblages d’origines.
Les méfaits répétés du gel de printemps depuis une dizaine d’années feraient presque oublier que le vignoble de Saint-Nicolas-de-Bourgueil est implanté dans une région douce. À quelques kilomètres en amont de la confluence de la Vienne et de la Loire (1), le vignoble ouvert sur le fleuve reçoit largement les influences maritimes liées au climat océanique de la région. De plus, le vignoble se trouve à une altitude modérée et regarde le sud. Autre atout : le plateau boisé qui domine l’aire d’appellation protège les vignes des vents du nord. Enfin, l’aire est dominée par des sols sablo-graveleux sur lesquels les raisins mûrissent vite. Résultat : l’AOP Saint-Nicolas-de-Bourgueil se démarque par son caractère précoce.
UNE ANCIENNE TERRASSE
À l’échelle de l’aire d’appellation, on distingue néanmoins plusieurs secteurs dans lesquels les raisins arrivent à maturité plus ou moins tôt. L’îlot de la Taille, au sud de l’AOP, est plus précoce que la zone du coteau située au nord. Mais c’est entre les deux, sur la grande terrasse sablo-graveleuse typique de l’AOP, que les raisins mûrissent le plus vite. Autrefois, c’est là que les raisins étaient assurés d’ atteindre une maturité aboutie chaque année quand, sur les coteaux, ils y parvenaient rarement. Alors, il y avait d’ailleurs plutôt des cépages blancs sur les hauteurs du vignoble…
Cette ancienne terrasse de la Loire porte près des deux tiers du vignoble de Saint-Nicolas-de-Bourgueil. Les sols composés de sables et graviers sont pauvres et très drainants. Ils sont dédiés à la vigne depuis des siècles. Les vins issus de ce plateau, souples et croquants, sont ceux qui illustrent le mieux le terroir de Saint-Nicolas-de-Bourgueil.
Sur ces terrains plus ou moins caillouteux, à la réserve hydrique faible, les vignes sont généralement peu vigoureuses car elles disposent de peu d’eau et de nutriments. « Il s’agit d’un terroir qualitatif mais fragile, peu capable de retenir la matière organique. L’enherbement hivernal y est utile car il permet de préserver les réserves du sol, explique Frédéric Mabileau (domaine éponyme). Quant à son caractère très drainant, c’est un avantage en cas de grosses pluies avant vendanges, mais un inconvénientencasdesécheressecarlesvignes risquent alors de souffrir de stress hydrique. »
Comme ici, au Fondis, un lieu-dit situé sur la terrasse, au sud-ouest de l’aire d’AOP, aux sols issus d’alluvions anciennes graveleuses dominés par les sables, maigres et drainants. « C’est un terroir très qualitatif qui reste précoce en année humide, mais qui peut induire une contrainte hydrique forte pour la vigne en année
sèche » , souligne aussi Xavier Ami rault( domaine Amirault, Clos des Quarterons).
UNEZONEÀPART
Sur la terrasse sablo-graveleuse de l’AOP, la maturation des baies est rapide. Parfois trop… « On est particulièrement attentif à ne pas ramasser ces raisins trop tard, car au-delà des risques liés à leur fragilité, on tient à préserver leur acidité et à ne pas aller vers des profils aromatiques compotés » , précise Frédéric Mabileau.
Pour autant, ce terroir a l’avantage d’être précoce tout en préservant des degrés modérés, un atout de plus en plus précieux, même dans les vignobles septentrionaux.
«En 2018, par exemple, les raisins mûrs affichaient 12,5° potentiels sur la terrasse et 14,5° sur le coteau, où les maturités alcooliques et phénoliques sont davantage décalées » , raconte Gérard Vallée (domaine de la Cotelleraie).
Souples et croquants, les vins issus de la terrasse illustrent le mieux le terroir de l’AOP
Au nord de la terrasse, avant l’amorce du coteau, se trouve une zone à part dans l’appellation, plus froide, plus humide, plus sensible aux excès comme au manque d’eau et donc moins intéressante pour les vignerons. Même si, aujourd’hui, compte tenu du réchauffement climatique et de la précision accrue du travail viticole, ils parviennent souvent à y obtenir des résultats intéressants. Il s’agit d’une zone sableuse de près de 400 hectares autrefois dédiée au maraîchage et rajoutée dans l’aire d’AOP dans les années 70. Puis, en 1995, une révision parcellaire a dé classé 43 hectares de cette zone, jugés en dessous du niveau qualitatif requis pour l’appellation d’origine contrôlée. « Il s’agissait essentiellement de secteurs dont les sols comprennent une couche de crasse ferrique située entre 40 et 80 cm de profondeur qui empêche les racines de descendre dans le sous-sol » , relève Patrick
Olivier, vigneron (domaine Olivier) et président du syndicat de l’AOP.
DES VIGNES EN COTE AU
Plus au nord, plus d’ un quart du vignoble se trouve sur le coteau de l’aire et révèle un autre visage de l’appellation. Les vins venant de cette partie haute sont les plus denses et charnus. « C’est là que nous faisons nos vins de garde car ils ont plus de structure que ceux issus de la terrasse. Ainsi, la majorité de notre parcelle de Malgagne donne une cuvée à part car nous souhaitons mettre en avant son identité marquée » , indique Yannick Amirault (domaine éponyme). Le caractère dense et charnu des raisins issus des terres d’argiles joue sur les vinifications.Leurextractionestpluslongue et plus appuyée quand celle des raisins issus des terres sableuses de la terrasse est toujours plus courte et plus douce.
Le calcaire qui constitue l’ossature du coteau marque le terroir. Mais le tuffeau (2) est plus ou moins proche de la surface et les sols qui en sont issus sont pour la plupart recouverts d’argile à silex et de sables éoliens.
Les sols du coteau ont la capacité de tamponner les aléas climatiques. En effet, le calcaire crayeux comme l’argile assurent une bonne régulation hydrique. Ainsi, la vigne est moins réactive et les raisins moins fragiles que sur la terrasse. Ils peuvent donc être davantage attendus à l’heure de la vendange. En revanche, les maturités alcooliques et phénoliques sont le plus souvent décalées. Résultat : si, sur le coteau, les vignerons ont moins peur de voir leurs raisins s’abîmer ou vite évoluer aromatiquement parlant, ils surveillent leur degré potentiel, susceptible de s’envoler…
Il existe aussi une variabilité des sols au sein du coteau qui justifie parfois un découpage plus fin des parcelles. « Nos parcelles du lieu-dit Vau Renou nous donnent quatre lots de vin selon le type de sol et l’âge des vignes, raconte Xavier Amirault. Elles présentent des sols issus de sables argileux
Les sols du coteau tamponnent les aléas climatiques, mais il faut veiller au degré potentiel des raisins
sous une couverture caillouteuse (silex, grès, conglomérats). Ce sont des sols assez fertiles et bien drainés qui tamponnent l’effet millésime. C’est un terroir plutôt tardif en année humide commeenannéesèche.Maisonytrouveaussi des sols issus de colluvions sableuses, maigres et peu fertiles. Un terroir qui reste précoce en année humide, mais dans lequel la vigne peut souffrir de stress hydrique en année sèche. »
UNÎLOT CAILLOUTEUX
Au plus bas de l’aire d’appellation se trouve un îlot caillouteux à part, d’une centaine d’hectares : La Taille. Il s’agit d’une ancienne île de la Loire dont les sols sont composés de graviers sur un sous-sol argileux qui évite à la vigne de subir tout stress hydrique. Les vins issus de ce terroir ont une structure équilibrée et de la profondeur. Ces terres argilo-sableuses retiennent assez bien l’eau et sont assez tardives en début de cycle. Mais les vignes ne manquant pas d’eau, la maturation y est régulière. De plus, la charge caillouteuse des sols apporte un caractère chaud qui compense la froideur des argiles.
« Ce sont donc souvent ces vignes que nous vendangeons en premier ! » , note Frédéric Mabileau.
Selon le caractère du millésime, les vignerons peuvent donner une place plus ou moins grande à chaque origine de raisins et jouer ainsi sur l’équilibre de leurs vins. « La cuvée Domaine vient essentiellement de zones sablo-graveleuses de la terrasse, indiquent Patrick Olivier et son fils Florian. Mais quand l’équilibre du vin le demande, on peut le marier avec un lot issu de terres plus argileuses pour apporter de la structure à l’assemblage final. Jusqu’à 40 % les années les plus “légères”. En 2017, l’assemblage comportait 70% devin de terrasse set 30% devin de cote aux.
Mais en 2018, l’assemblage ne comportait plus que 20 % de vin issu des coteaux. »
Xavier Amirault compte chaque année davantage sur la palette d’origines de ses raisins. Le domaine compte 54 parcelles réparties sur 37 hectares et qui donnent quarante lots de vins. Cuves inox, cuves ciment, fûts, amphores en terre ou en grès, le vigneron explore par ailleurs toutes les expressions de ses vins. Les vins se construisent toujours peu à peu et en équipe. Le but est bien de trouver les meilleurs assemblages, à la recherche du plus bel équilibre.
(1) La pluviométrie moyenne annuelle est de 670 mm.
(2) C’est ce tuffeau qui a été extrait pour la construction des villages, les carrières devenant des caves de vieillissement des vins.