BORDEAUX PRIMEURS2019
Une grande année à prix soldés : retour sur une campagne totalement inédite
Jamais campagne primeur à Bordeaux n’aura été aussi bouleversée. Alors que la France entière (et une partie du monde) se confinait, que les marchés se fermaient, c’est la mort dans l’âme que les châteaux ont dû renoncer, début avril, aux traditionnelles dégustations qui voient, chaque année, débarquer dans la région journalistes et acheteurs du monde entier.
Un black out total qui plonge toute une filière dans l’incertitude, sur fond de crise déjà latente.
Et pourtant, à la fin juin, la majorité des vins avaient été goûtés et la campagne était pliée. Envois d’échantillons aux quatre coins du monde, image d’un millésime de qualité et surtout baisse des prix ont permis aux 2019 de se présenter à un marché qui a réagi rapidement et positivement, pour les marques les plus en vue en tout cas. Mais gare aux excès d’optimisme affiché par certains négociants, ravis que les affaires aient pu se faire et que les vins aient trouvé preneurs auprès des clients fidèles, mais aussi auprès de particuliers séduits par les rabais consentis. Car si certains crus se sont écoulés en quelques heures, pour d’autres, la situation est bien plus difficile.
Les primeurs démontrent une nouvelle fois qu’il y a une fracture forte entre les “grandes marques” etlerestedupeloton.Lesgrandsarbresquicachent la forêt ne doivent pas faire oublier que pour une immense majorité de propriétés bordelaises, la crise est plus douloureuse que jamais.
Vu les rabais consentis par les crus, vous allez faire des affaires !
À La Revue du vin de France, nous avons fait le choix de déguster les primeurs à la fin du mois de juin, lorsque la situation sanitaire nous a permis de nous rendre à Bordeaux et de goûter dans les meilleures conditions. Une dégustation plus tardive qu’à l’habitude, ce qui n’est pas sans conséquences. Disons-le franchement : les vins se dégustent mieux en juin quedébutavril.Notreavisestnéanmoinsunanime:Bordeaux signe avec 2019 un grand millésime. Encore un, dira-t-on ! Certes, mais cette série inédite de millésimes remarquables, voire exceptionnels, s’appuie sur des phénomènes objectifs : depuis une décennie, à l’exception de 2013 et, dans une moindre mesure, de 2017, la région bénéficie de conditions climatiques très favorables.
LAISSEZVIEILLIRLESTONIQUESBLANCSDESGRAVES
DansleMédoc,lescabernetssontflamboyants.Ayantbénéficié de conditions de maturité optimales, ils conjuguent ampleur, puissance, mais surtout fraîcheur, se montrent plus juteux et tendus que leurs aînés de 2018. Dans toutes les communes, on retrouve des réussites notables, d’autant que le virage pris depuis quelques années vers l’élaboration de vins moins extraits et massifs leur confère un équilibre superbe, avec des finales sur le fruit frais. On peut faire la même remarque dans les Graves. L’empreinte du millésime est à nouveau solaire ; c’est le nouveau climat aquitain, il faut s’y habituer ! Mais les terroirs et le cabernet-sauvignon ont contenu les pointes torrides de l’été pour donner des vins de grand équilibre, généreux mais harmonieux, très “classiques”. La réussite est généraleetleniveaumoyenélevé.Lesblancssemontrentgénéreux et expressifs, un peu moins exotiques et plus toniques que les 2018. Il sera intéressant de laisser vieillir les mieux dotés.
LES MEILLEURS CABERNETS FRANCS DEPUIS 15 ANS
Les vins de la rive droite présentent eux aussi de merveilleux équilibres. À Saint-Émilion, l’intégrité du fruit est amplement préservée par une fraîcheur qui dote les vins de notes de graphite et de menthol. Classique et charmeur, ce “beau gosse” qui emprunte au 2010 et au 2018 est né d’une vendange parfaitement réalisée, doublée d’une extraction en douceur. C’est qu’il a fallu redoubler de précautions pour cueillir les raisins au plus juste, la maturation évoluant presque à la demi-journée, surtout dans les zones les plus venteuses. « On a les meilleurs cabernets francs depuis quinze ans », clame-t-on dans certains milieux, où les raisins atteignent parfois 40 % des assemblages.
Du côté de Pomerol, ce solaire 2019 marche sur les traces de 2018. Les vins apparaissent toutefois moins chargés en tanins, souvent un peu plus fluides en milieu de bouche, augurant des ouvertures plus précoces.
Alors que nous déambulions au milieu des vignes au moment des vendanges 2019 à Sauternes, une odeur aigre s’échappait des raisins qui étaient en train de “tourner”. Car si les bouleversements du climat ont permis d’obtenir un plus grand nombre de bons millésimes à Sauternes, ils causent aussi des dégâts. Un pic de chaleur a précipité la vendange 2019 alors que la pluie avançait à grands pas. C’est dans cette ambiance compliquée que les producteurs de Sauternes ont tenté de sauver une maigre récolte. À l’arrivée, le tri à la vigne tout comme la sélection en cave ont permis de produire un millésime plus qu’honnête avec, étant donné les rendements, des concentrations qui surprendront.
Conditions de la dégustation
Les vins ont été dégustés à l’aveugle et étiquettes découvertes, à la fin du mois de juin, par Karine Valentin, Pierre Citerne, Roberto Petronio et Olivier Poels, de façon groupée et au sein des propriétés. Certains échantillons ont été envoyés à domicile pour dégustation.
Les cabernets de la Rive gauche ont tenu bon face aux chaleurs