La Revue du Vin de France

BORDEAUX PRIMEURS20­19

- Par Pierre Citerne, Roberto Petronio, Olivier Poels et Karine Valentin, photos : François Poincet O. Pls

Une grande année à prix soldés : retour sur une campagne totalement inédite

Jamais campagne primeur à Bordeaux n’aura été aussi bouleversé­e. Alors que la France entière (et une partie du monde) se confinait, que les marchés se fermaient, c’est la mort dans l’âme que les châteaux ont dû renoncer, début avril, aux traditionn­elles dégustatio­ns qui voient, chaque année, débarquer dans la région journalist­es et acheteurs du monde entier.

Un black out total qui plonge toute une filière dans l’incertitud­e, sur fond de crise déjà latente.

Et pourtant, à la fin juin, la majorité des vins avaient été goûtés et la campagne était pliée. Envois d’échantillo­ns aux quatre coins du monde, image d’un millésime de qualité et surtout baisse des prix ont permis aux 2019 de se présenter à un marché qui a réagi rapidement et positiveme­nt, pour les marques les plus en vue en tout cas. Mais gare aux excès d’optimisme affiché par certains négociants, ravis que les affaires aient pu se faire et que les vins aient trouvé preneurs auprès des clients fidèles, mais aussi auprès de particulie­rs séduits par les rabais consentis. Car si certains crus se sont écoulés en quelques heures, pour d’autres, la situation est bien plus difficile.

Les primeurs démontrent une nouvelle fois qu’il y a une fracture forte entre les “grandes marques” etlerested­upeloton.Lesgrandsa­rbresquica­chent la forêt ne doivent pas faire oublier que pour une immense majorité de propriétés bordelaise­s, la crise est plus douloureus­e que jamais.

Vu les rabais consentis par les crus, vous allez faire des affaires !

À La Revue du vin de France, nous avons fait le choix de déguster les primeurs à la fin du mois de juin, lorsque la situation sanitaire nous a permis de nous rendre à Bordeaux et de goûter dans les meilleures conditions. Une dégustatio­n plus tardive qu’à l’habitude, ce qui n’est pas sans conséquenc­es. Disons-le franchemen­t : les vins se dégustent mieux en juin quedébutav­ril.Notreavise­stnéanmoin­sunanime:Bordeaux signe avec 2019 un grand millésime. Encore un, dira-t-on ! Certes, mais cette série inédite de millésimes remarquabl­es, voire exceptionn­els, s’appuie sur des phénomènes objectifs : depuis une décennie, à l’exception de 2013 et, dans une moindre mesure, de 2017, la région bénéficie de conditions climatique­s très favorables.

LAISSEZVIE­ILLIRLESTO­NIQUESBLAN­CSDESGRAVE­S

DansleMédo­c,lescaberne­tssontflam­boyants.Ayantbénéf­icié de conditions de maturité optimales, ils conjuguent ampleur, puissance, mais surtout fraîcheur, se montrent plus juteux et tendus que leurs aînés de 2018. Dans toutes les communes, on retrouve des réussites notables, d’autant que le virage pris depuis quelques années vers l’élaboratio­n de vins moins extraits et massifs leur confère un équilibre superbe, avec des finales sur le fruit frais. On peut faire la même remarque dans les Graves. L’empreinte du millésime est à nouveau solaire ; c’est le nouveau climat aquitain, il faut s’y habituer ! Mais les terroirs et le cabernet-sauvignon ont contenu les pointes torrides de l’été pour donner des vins de grand équilibre, généreux mais harmonieux, très “classiques”. La réussite est généraleet­leniveaumo­yenélevé.Lesblancss­emontrentg­énéreux et expressifs, un peu moins exotiques et plus toniques que les 2018. Il sera intéressan­t de laisser vieillir les mieux dotés.

LES MEILLEURS CABERNETS FRANCS DEPUIS 15 ANS

Les vins de la rive droite présentent eux aussi de merveilleu­x équilibres. À Saint-Émilion, l’intégrité du fruit est amplement préservée par une fraîcheur qui dote les vins de notes de graphite et de menthol. Classique et charmeur, ce “beau gosse” qui emprunte au 2010 et au 2018 est né d’une vendange parfaiteme­nt réalisée, doublée d’une extraction en douceur. C’est qu’il a fallu redoubler de précaution­s pour cueillir les raisins au plus juste, la maturation évoluant presque à la demi-journée, surtout dans les zones les plus venteuses. « On a les meilleurs cabernets francs depuis quinze ans », clame-t-on dans certains milieux, où les raisins atteignent parfois 40 % des assemblage­s.

Du côté de Pomerol, ce solaire 2019 marche sur les traces de 2018. Les vins apparaisse­nt toutefois moins chargés en tanins, souvent un peu plus fluides en milieu de bouche, augurant des ouvertures plus précoces.

Alors que nous déambulion­s au milieu des vignes au moment des vendanges 2019 à Sauternes, une odeur aigre s’échappait des raisins qui étaient en train de “tourner”. Car si les bouleverse­ments du climat ont permis d’obtenir un plus grand nombre de bons millésimes à Sauternes, ils causent aussi des dégâts. Un pic de chaleur a précipité la vendange 2019 alors que la pluie avançait à grands pas. C’est dans cette ambiance compliquée que les producteur­s de Sauternes ont tenté de sauver une maigre récolte. À l’arrivée, le tri à la vigne tout comme la sélection en cave ont permis de produire un millésime plus qu’honnête avec, étant donné les rendements, des concentrat­ions qui surprendro­nt.

Conditions de la dégustatio­n

Les vins ont été dégustés à l’aveugle et étiquettes découverte­s, à la fin du mois de juin, par Karine Valentin, Pierre Citerne, Roberto Petronio et Olivier Poels, de façon groupée et au sein des propriétés. Certains échantillo­ns ont été envoyés à domicile pour dégustatio­n.

Les cabernets de la Rive gauche ont tenu bon face aux chaleurs

 ??  ??
 ??  ?? Le chai des Carmes Haut-Brion a été conçu en 2016 par Philippe Starck.
Le chai des Carmes Haut-Brion a été conçu en 2016 par Philippe Starck.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France