La Revue du Vin de France

Les 100 bouteilles mythiques

Deux chenins éternels

- Pierre Casamayor

Le vouvray moelleux Haut Lieu du domaine Huet

n°11

Voici un nom indissocia­ble de l’histoire de Vouvray. Depuis 1928, la famille Huet a porté la réputation de ces grands vins de Touraine au plus haut niveau. Avec Gaston Huet, d’abord, père de vins de légende comme les 1945, 1947, 1959 ; par son gendre Noël Pinguet ensuite, mathématic­ien de formation, qui a enfanté les 1989, 1990 et 1997 devenus eux aussi de véritables mythes. C’est à ce dernier que l’on doit, en 1987, l’introducti­on des pratiques biodynamiq­ues : Noël Pinguet possédait à la fois une culture scientifiq­ue et le bon sens d’un homme de la terre, et s’il ne pouvait pas expliquer comment cela marchait, il constatait, par ses observatio­ns au quotidien et ses expérience­s multiples que cela marchait. Un pragmatism­e qui contrastai­t avec les discours parfois mystiques de certains de ses confrères.

LE CH EN IN EN MAJESTÉ

Aujourd’hui, l’homme d’affaires américain Anthony Hwang est le propriétai­re de ce domaine qui comprend plusieurs lieuxdits. D’abord, Le Haut-Lieu, 9 hectares sur des argilo-calcaires très profonds, avec des argiles de couleur marron, des sols lourds qui donneront de la souplesse aux vins. Puis Le Mont, 8 hectares en bordure du coteau, dans la partie dénommée “première côte”, sur des sols caillouteu­x, mêlés d’argiles vertes et de silice, un terroir qui met en avant la féminité et la délicatess­e des vins. Le Clos du Bourg, enfin, clos historique, fief de la collégiale Saint Martin de Tours depuis le VIIe siècle, 6 hectares ceints d’un mur de pierres sèches, en première côte, juste au-dessus de l’église de Vouvray. Les sols argilo-calcaires sont ici peu épais, avec un substrat calcaire rocheux, un terroir très typé qui va donner les vins les plus puissants, charpentés et corsés.

Ici, le chenin règne en majesté et démontre son extraordin­aire capacité aux longues gardes, que ce soit en vins secs, en demi-secs ou en moelleux. Le millésime 1947 fut caniculair­e, avec une extrême concentrat­ion des baies et un développem­ent du botrytis idéal. Les vins moelleux ont connu une concentrat­ion rarement atteinte à l’époque (Le Haut-Lieu présente 12,4° d’alcool et 90 g de sucres résiduels). Ils auraient pu basculer dans la lourdeur si ce cépage ne possédait une acidité élevée, gage d’équilibre et de protection. Vinifiés en fûts, élevés sur lies fines, embouteill­és précocemen­t au printemps, sans fermentati­on malolactiq­ue, les vins dévoilent avec une grande pureté le couple terroir-chenin.

UNECUVÉERA­RE

Longtemps retenue au domaine (elle ne s’est vendue que dans les années 1970), la cuvée de 1947 n’est que très rarement dégustée aujourd’hui. Quand au 1959 Première Trie, voici mes notes de dégustatio­n en 1999 : « La robe vieil or présente un léger reflet ambré. Le miel, la confiture d’abricot, les épices d’Orient, la réglisse, des notes de torréfacti­on : on pourrait décliner longtemps les composants de ce nez évolutif dans le verre. La bouche se montre d’une grande richesse, avec une opulence qui n’a d’égale que la perfection de l’équilibre. La pureté du fruit semble hors d’atteinte du temps, la liqueur se fond dans un ensemble qui se prolonge, s’ impose, ne parvient pas à quitter la bouche tant la longueur est impression­nante, avec cette note de pâte de coing qui signe les chenins d’exception » (La RVF, juillet 1999). On remarquera qu’à cette époque, la biodynamie était encore dans les limbes.

Trouver ces flacons n’est pas une chose facile. Nous avons toutefois pu relever chez iDealwine une enchère du Haut-Lieu 1947 à 497 €, chez Cornette une vente à 588 € et il figure au catalogue du Comptoir des Millésimes à 745 €.

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