L’effet nocebo en dégustation
Nous connaissons tous l’effet placebo (“je plairai” en latin), c’est-à-dire l’effet psychologique positif lié à l’absorption d’une substance sans efficacité thérapeutique démontrée. Une illustration de cet effet : faire croire qu’un vin vaut très cher pour qu’il paraisse meilleur qu’il ne l’est réellement. L’effet nocebo (“je nuirai”) nous est moins familier. Exemple : un vin qui estprésentécommebonmarchésemble quelconque alors qu’il est magnifique !
Dans les deux cas, il s’agit de flouer le dégustateur, de démontrer que son attente prend le pas sur ses sensations et que c’est elle l’origine de son plaisir. Mais est-il possible de tester l’influence de nos attentes sur nos sensations sans être trompé ? L’économiste californien Robin Goldstein a eu une idée astucieuse. Il a formé deux groupes de personnes à qui il a servi deux vins : l’un à l’aveugle, l’autre étiquette découverte.
Le vin étiquette découverte était accompagné de son prix : 5 $ (environ 4,40 €) pour le premier groupe, 50 $ (environ 44 €) pour le second. Les deux groupes pensaient que le vin à l’aveugle était différent du vin servi étiquette découverte, alors que les deux vins proposés étaient identiques.
Résultat : 59 % des sujets ayant fait l’expérience avec le vin à 50 $ ont préféré la bouteille dont ils connaissaient le prix. En revanche, seulement 26 % des sujets ayant dégusté le vin à 5 $ ont choisi la bouteille dont le prix était affiché.
Ces données sont cohérentes avec la théorie des perspectives de Kahneman et Tversky émise en 1979 et récompensée par un prix Nobel en 2002. Celle-ci énonce une aversion au risque. En résumé, la crainte de perdre 1000 euros n’est pas compensée par l’espoir d’en gagner 1 000 (on table plutôt sur un gain de 2 500 pour compenser psychologiquement la perte de 1 000). Il est donc logique que les sujets prennent le risque de préférer la bouteille mystère lorsqu’ils ont l’information que le vin identifié coûte 5 $, mais qu’ils réfutent le risque avec le vin à 50 $.
L’expérience nous enseigne surtout qu’en matière de goût, nous ne considérons pas nos choix comme fiables, sinon le risque n’existerait pas. Si saint Thomas avait prétendu croire ce qu’il goûtait et non ce qu’il voyait, il ne serait pas passé à la postérité comme exemple canonique du sceptique, mais comme un farfelu.