La Revue du Vin de France

L’effet nocebo en dégustatio­n

- Fabrizio Bucella Professeur à l’Université libre de Bruxelles

Nous connaisson­s tous l’effet placebo (“je plairai” en latin), c’est-à-dire l’effet psychologi­que positif lié à l’absorption d’une substance sans efficacité thérapeuti­que démontrée. Une illustrati­on de cet effet : faire croire qu’un vin vaut très cher pour qu’il paraisse meilleur qu’il ne l’est réellement. L’effet nocebo (“je nuirai”) nous est moins familier. Exemple : un vin qui estprésent­écommebonm­archésembl­e quelconque alors qu’il est magnifique !

Dans les deux cas, il s’agit de flouer le dégustateu­r, de démontrer que son attente prend le pas sur ses sensations et que c’est elle l’origine de son plaisir. Mais est-il possible de tester l’influence de nos attentes sur nos sensations sans être trompé ? L’économiste californie­n Robin Goldstein a eu une idée astucieuse. Il a formé deux groupes de personnes à qui il a servi deux vins : l’un à l’aveugle, l’autre étiquette découverte.

Le vin étiquette découverte était accompagné de son prix : 5 $ (environ 4,40 €) pour le premier groupe, 50 $ (environ 44 €) pour le second. Les deux groupes pensaient que le vin à l’aveugle était différent du vin servi étiquette découverte, alors que les deux vins proposés étaient identiques.

Résultat : 59 % des sujets ayant fait l’expérience avec le vin à 50 $ ont préféré la bouteille dont ils connaissai­ent le prix. En revanche, seulement 26 % des sujets ayant dégusté le vin à 5 $ ont choisi la bouteille dont le prix était affiché.

Ces données sont cohérentes avec la théorie des perspectiv­es de Kahneman et Tversky émise en 1979 et récompensé­e par un prix Nobel en 2002. Celle-ci énonce une aversion au risque. En résumé, la crainte de perdre 1000 euros n’est pas compensée par l’espoir d’en gagner 1 000 (on table plutôt sur un gain de 2 500 pour compenser psychologi­quement la perte de 1 000). Il est donc logique que les sujets prennent le risque de préférer la bouteille mystère lorsqu’ils ont l’informatio­n que le vin identifié coûte 5 $, mais qu’ils réfutent le risque avec le vin à 50 $.

L’expérience nous enseigne surtout qu’en matière de goût, nous ne considéron­s pas nos choix comme fiables, sinon le risque n’existerait pas. Si saint Thomas avait prétendu croire ce qu’il goûtait et non ce qu’il voyait, il ne serait pas passé à la postérité comme exemple canonique du sceptique, mais comme un farfelu.

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L’attente du dégustateu­r prend le pas sur ses sensations ; c’est elle l’origine de son plaisir.

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