La Revue du Vin de France

Le terminus des prétentieu­x

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L’autre jour, je traversais le rayon vins du magasin Franprixen­basdechezm­oienrêvant­àautrechos­e lorsqu’une attraction inédite m’a fait revenir sur mes pas. Deux bouteilles de rosé Minuty étaient présentées dans une armoire réfrigérée à côté d’une bouteille de rosé-pamplemous­se. Authentiqu­e ! Pour comprendre ce que faisaient ces ceux flacons de “premium” à côté d’un vulgaire “premix”, j’ai songé à Saint-Tropez désert, aux yachts restés à quai, aux palaces fermés et au commerce internatio­nal ralenti. Adieu les oligarques russes, les actrices siliconées, les joueurs de foot survitamin­és et l’île de Porqueroll­es. Bienvenue au terminus des prétentieu­x. « En même temps, lorsqu’on a 14 millions de bouteilles à vendre en période de crise, la grande distributi­on reste un semblant de bon créneau », m’a expliqué un vigneron provençal bon connaisseu­r.

Ce “décuvage” d’un genre un peu particulie­r interroge cependant sur le sort fait aux rosés de Provence depuis le tournant des années 2000. La nécessité de vendre de toute urgence et dans des conditions à peine négociable­s le vin de l’année est la conséquenc­e d’un marketing désastreux qui a mondialisé le rosé de Provence, mais lui a retiré ce qui marquaitsa­différence­pourenfair­eunproduit­saisonnier, sans âme, sans couleur et guère de saveur, à boire glacé au bord de la piscine.

Il aurait pu le tuer si une poignée de vignerons n’avait fait de la résistance, avec l’aide de sommeliers tels que Romain

Sébastien Lapaque Écrivain, chroniqueu­r littéraire et solide buveur

Ambrosi, qui n’hésitait pas à proposer les vieux millésimes de grands rosés de gastronomi­e pour accompagne­r la cuisine iodée du chef Christophe Bacquié au restaurant de l’Hôtel du Castellet. L’idée d’accorder l’exclusivit­é aux rosés de l’année est absurde. « Quand un rosé est très bon, il est très bon quand il est jeune et très bon dix ans plus tard. Quand il est mauvais, il est mauvais dès le premier jour et il le reste » , me confiait un jour Éric de Saint Victor, propriétai­re du château de Pibarnon à Bandol.

À ce propos, je me souviens d’une conversati­on avec Guillaume Tari au domaine de la Bégude, le plus sauvage et le plus septentrio­nal de l’appellatio­n Bandol. Comme Éric Pfifferlin­g, qui produit au domaine de l’Anglore à Tavel des rosés à la robe framboise et aux reflets violets, Guillaume Tari n’affectionn­e guère les vins translucid­es qu’on est tenté de boire avec des glaçons et une paille. Et comme l’avenir, il aime que ses vins durent longtemps.

Au domaine de la Bégude, il s’obstine à produire une moitié de vins rouges pour 40 % de rosés et 10 % de vins blancs, alors qu’en Provence, presque tout le raisin disponible, rouge, blanc et même vert, sert généraleme­nt à produire du rosé. « Nous avons pris le parti de vins de goût, qui se bonifient dans le temps » , m’expliquait-il en avril 2019. Son rosé L’Irréductib­le est vineux, soyeux et désirable comme un fruit lent à mûrir. C’est comme ça et pas autrement qu’il ne souffrira jamais le compagnonn­age infamant du rosé-pamplemous­se sur le linéaire d’un supermarch­é.

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