La Revue du Vin de France

Les actus du vin

Des signatures du vignoble français tels Anselme et Guillaume Selosse, le domaine Prieuré Roch ou le château Rayas refusent de vendre leurs vins sur Internet. Mais le Covid-19 pourrait rebattre les cartes.

- Fabien Humbert

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Incroyable mais vrai ! En 2021, tels les Gaulois du village d’Astérix, une poignée de prestigieu­x domaines français, comme la Romanée-Conti, Prieuré Roch ou Jean-Marc Roulot en Bourgogne, le domaine Jacques Selosse en Champagne, le château Rayas à Châteauneu­f-du-Pape… résistent encore et toujours à l’envahisseu­r numérique et refusent mordicus de vendre leurs vins sur Internet.

FIDÈLES AUX CAVISTES

« Cette décision prend racine dans l’histoire du domaine, raconte Guillaume Selosse au domaine Jacques Selosse, à Avize, en Champagne. Lorsque mes parents ont repris le domaine en 1974, les débuts ont été difficiles et pendant vingt ans, ce sont des cavistes, en premier lieu Lucien Legrand, qui les ont aidés à gagner en notoriété. Maintenant que le succès est là, ils entendent leur rester fidèles. »

L’attachemen­t n’est cependant pas la seule motivation des intéressés. Bien des vignerons célèbres pensent que les cavistes conseillen­t mieux leurs clients, qu’eux seuls sont capables de réserver leurs vins si prisés à la bonne personne (qui saura l’apprécier). À l’inverse, les sites internet sont accusés de vendre au premier venu, un(e) anonyme qui avec un carnet de chèques bien fourni pourra rafler la mise. « Nous faisons des vins avec une âme, nous voulons qu’ils soient vendus par des gens capables de transmettr­e cette émotion », confie Bernard Noblet, le mythique chef de cave de la RomanéeCon­ti, aujourd’hui en retraite.

C’est ainsi que tous les ans, agents, particulie­rs et restaurate­urs bénéfician­t des précieuses allocation­s se pressent au domaine de la Romanée-Conti afin de déguster le nouveau millésime… et de signer la charte de bonne conduite ! Conditions de vente, zone de chalandise, prix à pratiquer, et bien sûr interdicti­on de revendre sur Internet… y sont inscrits noir sur blanc. Une pratique qui devient de plus en plus courante chez les vignerons devenus spéculatif­s.

RAYÉS DES LISTES !

Au domaine de la Romanée-Conti, gare à ceux qui ne jouent pas le jeu. « Nous disposons de moyens pour remonter jusqu’au client qui a revendu son vin sur Internet, prévient Bernard Noblet. La sanction ?

Ils sont rayés des listes. Nous sommes intransige­ants, nous ne voulons pas de spéculatio­n. »

Et pourtant il n’est pas rare de retrouver des vins de château Rayas, Selosse ou du DRC sur Internet… Comment ? « 90 % de nos vins sont des allocation­s directes, mais lorsque notre stock est épuisé ou que le domaine ne veut vraiment pas vendre en ligne, nous allons les acheter en seconde main chez des particulie­rs, des restaurate­urs qui veulent se refaire une trésorerie ou encore des grossistes spécialisé­s… C’est un marché très important, détaille Bernard Le Marois qui dirige le site wineandco.

Naturellem­ent, les vignerons concernés apprécient peu : ils voient-là un dévoiement de leurs précieuses bouteilles et déclinent toute responsabi­lité si le vin présente un éventuel défaut…

DES MENTALITÉS QUI ÉVOLUENT

La crise du Covid-19 pourrait cependant les conduire à mettre un peu d’eau… dans leur vin. « Nous avons conscience de la situation sanitaire, les gens se déplacent moins en boutique, admet Guillaume Selosse, lui-même acheteur de vins en ligne à titre personnel. Nous acceptons que nos bouteilles soient présentes sur le site internet d’un caviste, mais pas que le prix soit affiché ou qu’on puisse la mettre dans le panier. Cela doit rester une vitrine. »

Aux Caves Legrand à Paris, alors qu’il avait toujours refusé de vendre du vin (hors primeurs) sur Internet pour privilégie­r le contact avec le client et le conseil, Gérard Sibourd-Baudry réfléchit, prudemment, à faire ses premiers pas en ligne. « Nous pourrions vendre certains vins produits en grande quantité et qui ne demandent pas d’explicatio­ns trop poussées sur Internet, ou proposer un système de préréserva­tion pour nos clients japonais ou américains… précise-t-il. En revanche, nous continuero­ns à réserver les vins des domaines dont nous avons signé la charte de bonne conduite à nos clients physiques. » Les lignes bougent…

La vente en ligne va-t-elle rattraper son retard ? Bernard Le Marois y croit : « Nous aussi allons voir les domaines, nous leur expliquons que nous portons le vin en stock. Nous écrivons les fiches produits avec eux, ils maîtrisent leur image et leur positionne­ment ».

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S’ils considèren­t Internet comme une vitrine, pas question pour Anselme et Guillaume Selosse d’y vendre leurs Grands crus de Champagne.

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