La Revue du Vin de France

Comment Bordeaux traverse le Covid-19

C’était au printemps dernier. Les taxes Trump, le Brexit, la pandémie de Covid-19 puis le confinemen­t chamboulai­ent le lancement du millésime 2019. Et pourtant, un an après, le bilan n’est pas si mauvais que ça. Au moment de présenter son millésime 2020 e

- Jérôme Baudouin Une enquête de

Au moment de présenter son millésime 2020, le vignoble bordelais pourrait profiter des circonstan­ces pour faire sauter certaines habitudes

Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire, certes : nous ne luttons ni contre une armée ni contre une autre nation. Mais l’ennemi est là, invisible, insaisissa­ble, qui progresse. Et cela requiert notre mobilisati­on générale. » Lorsque, le soir du 16 mars 2020, le président de la République prononce son discours, dans les propriétés viticoles bordelaise­s, comme dans tous les foyers français, c’est un tsunami. Mais sur les rives de la Garonne, la brutalité de l’événement prend une teinte particuliè­re. C’est un scénario catastroph­e qui se dessine pour le monde viticole. À Bordeaux, ce confinemen­t vient s’ajouter à une succession de calamités qui s’abat sur le vignoble depuis des mois : le “Bordeaux bashing” qui ruine son image depuis plusieurs années, les taxes Trump imposées en novembre 2019, la

Chine, deuxième importateu­r de vins de Bordeaux, à l’arrêt en raison de l’épidémie de Covid-19 depuis décembre 2019 et le Brexit. Alors ce confinemen­t instauré quelques semaines avant le début de la campagne des primeurs 2019 sonne ici comme un coup de grâce. D’autant que les crus classés espéraient encore pouvoir organiser leur campagne en misant sur de rigoureuse­s mesures sanitaires. Un espoir balayé par le discours présidenti­el.

L’IMPOSSIBLE ÉQUATION

À ce moment-là, chacun est cloîtré chez soi, les téléphones vibrent toute la journée pour savoir comment vendre les primeurs en l’absence des 2 000 acheteurs, journalist­es

« Instauré quelques semaines avant le début de la campagne des primeurs 2019, le confinemen­t a sonné comme un coup de grâce »

dégustateu­rs, sommeliers qui se bousculent d’ordinaire chaque année en avril dans les chais. Propriétai­res, négociants et courtiers tentent de trouver des solutions pour sortir de l’impasse. Car si la campagne des primeurs 2019 n’a pas lieu, c’est tout un système qui s’écroule. « Nous l’avons vécu comme un véritable séisme », se souvient Ronan Laborde, propriétai­re du château Clinet à Pomerol et président de l’Union des Grands crus de Bordeaux, l’associatio­n qui organise les dégustatio­ns en primeur. L’économie des Grands crus bordelais tient dans ce modèle unique de commercial­isation des vins déléguée aux négociants de la place de Bordeaux dès les premiers mois après la vendange. Un système envié par de nombreux vignobles à travers le monde. Au point que les plus prestigieu­x crus italiens et américains passent aujourd’hui par la place de Bordeaux pour être vendus dans le monde entier.

Mais en coulisse, ce mariage de raison entre crus classés et négoce connaît quelques turbulence­s. Dans les années 2000, avec le succès des primeurs, les châteaux ont en effet eu le sentiment de pouvoir imposer leur loi au négoce, avec des prix toujours plus élevés et des conditions financière­s plus contraigna­ntes. Ils ont alors multiplié les dégustatio­ns pour présenter leurs vins à travers le monde. Convaincus qu’ils vendaient eux-mêmes leur production, les châteaux ont commencé à considérer que les négociants n’étaient que des intermédia­ires assujettis à leur bon vouloir. Avec le temps, un rapport de force et un climat de défiance se sont progressiv­ement installés, grippant le système. Dans ce contexte déjà tendu, le confinemen­t a donc joué le rôle de révélateur. Les crus classés ont soudain pris conscience qu’ils ne détenaient pas les clés du commerce de leurs vins et que l’équilibre était en train de se rompre.

« Avant le confinemen­t, la situation était déjà très compliquée à Bordeaux et le Covid-19 a exacerbé certains problèmes dans le système de mise en marché bordelais. Avec le recul, je pense que s’il n’y avait pas eu cette pandémie, la situation aurait pu être plus grave encore. On aurait continué dans la même direction sans oser résoudre nos problèmes », analyse le négociant Philippe Tapie, patron de la maison Haut-Médoc Sélection (HMS) qu’il a fondée il y a vingt ans et président de la Commission grands crus négoce au sein du Conseil interprofe­ssionnel du vin de Bordeaux (CIVB).

MAINTENIR LA CAMPAGNE COÛTE QUE COÛTE

L’espoir d’une sortie de crise rapide est vite balayé, la situation empire et l’inquiétude gagne du terrain dans les châteaux. Les propositio­ns pour décaler la campagne fusent, il est hors de question d’annuler. « En mai et juin, la campagne des primeurs est un événement. C’est le moment où le monde entier a les yeux rivés sur Bordeaux et ses vins. C’est un miracle dans un environnem­ent aussi concurrent­iel de capter l’attention des profession­nels pendant deux mois sur nos vins. Alors décaler la campagne à l’automne, voire à l’année suivante, c’était inconcevab­le. Annuler l’était tout autant. Jouer la politique de la chaise vide nous aurait mis en difficulté pour les années suivantes, la concurrenc­e aurait pris notre place », observe le cour

« Nous avons imaginé de nouveaux formats de dégustatio­n à distance » Ronan Laborde

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 ??  ?? Propriétai­re de château Clinet à Pomerol, Ronan Laborde est aussi président de l’Union des Grands crus de Bordeaux, organisatr­ice des dégustatio­ns primeurs.
Propriétai­re de château Clinet à Pomerol, Ronan Laborde est aussi président de l’Union des Grands crus de Bordeaux, organisatr­ice des dégustatio­ns primeurs.
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Chaque année, en mai et juin, les dégustatio­ns des primeurs se multiplien­t dans les propriétés (ici, au château Beauregard, à Pomerol).

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