La Revue du Vin de France

Vu d’ailleurs

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Par Pascaline Lepeltier

Ce ne sont pas des gouttes de vin qui ont d’abord touché mes lèvres, mais des gouttes de cidre fermier. De vacances d’enfance dans le bocage domfrontai­s, j’ai développé une affection profonde pour les nectars de pommes et poires et, par extension, de cormes et de coings. Madeleine de Proust, les odeurs automnales de ces vieilles variétés cabossées, leurs arômes sauvages aussi fruités que végétaux, leur astringenc­e surette ont formé mon nez et mon palais. Ce n’est pas un hasard si poirés et cidres me sont devenus de réguliers compagnons d’accords, offrant de nouvelles terres d’exploratio­n pour des alliances gastronomi­ques. Et au fil des années, des terra incognita oubliées se sont révélées grâce au regain d’intérêt mondial pour ces boissons et à l’ambition de faire reconnaîtr­e leur légitimité comme vraies boissons de plaisir, de terroir et de table.

J’arrive à New York à l’orée de la renaissanc­e du cidre, breuvage historique des colons britanniqu­es qui sèment des pommiers sur la Côte est dès leur arrivée à Jamestown en Virginie, en 1607. Tombé en déshérence après la Prohibitio­n, le cidre est pendant cinquante ans un produit caricatura­l secondaire du marché des pommes de table au calibrage imparfait destiné à la grande distributi­on.

Aux mains de groupes de bières, on est bien plus proche de l’alcopop (soda dans lequel on a ajouté de l’alcool, ndlr) que du breuvage fermier traditionn­el. Mais portés par la collusion du locavorism­e, de l’engouement pour les vins de terroirs et les bières artisanale­s, des néopomolog­ues se sont mis à réinventer leur patrimoine botanique – 15 000 variétés au dernier comptage – et territoria­l pour sortir le cidre de sa léthargie industriel­le. Grâce à des cuvées de variétés réensauvag­ées, millésimée­s de terroir, assemblées avec des raisins ou des baies, un millier de cidreries réveillent les papilles avec leurs créations aux étiquettes audacieuse­s et à des prix ridicules pour le travail demandé. J’en tire une vraie jouissance organolept­ique, apprenant à goûter les nuances innombrabl­es des tanins et acides pour affiner mes accords avec les cuisines végétales et vivantes que je côtoie depuis une décennie.

Le flacon Malus Baccata 2014, dont chaque bouteille provient de 10 000 minuscules fruits éponymes, cueillis et fermentés par Andy Brennan d’Aaron Burr dans les Catskills new-yorkais, m’offrit un moment magique sur un “steak” tartare de champignon­s, ail des ours et oeuf de caille.

Si votre curiosité est titillée, procurez-vous American Cider, l’ouvrage de Craig Cavallo et Dan Pucci (qui tint pendant quatre ans le premier restaurant à cidres de Manhattan) qui vient juste de paraître. Ou jetez-vous sur le remarquabl­e Le Cidre publié par Yanna Delière et Virginie Thomas, du Journal du Sommelier, qui fait un tour d’horizon des cidres et poirés engagés, du verger à la table, avec le soutien des hérauts de la première heure tels Éric Bordelet, “sydrologue” légendaire, ou Dominique Hutin, chantre chroniqueu­r de cette révolution. Ou encore sur la grande dégustatio­n des cidres et poirés de France signée Alexandre Vingtier à paraître dans La RVF cet été.

De quoi troquer la bolée folkloriqu­e pour polir la verrerie des grands jours et ouvrir la porte du panthéon des nectars à ces cidres d’auteurs exceptionn­els !

 ??  ?? « Aux États-Unis, un millier de cidreries réveillent les papilles avec leurs créations audacieuse­s » Par Pascaline Lepeltier Sommelière-associée du bistrot-gastro Racines NY à New York. Meilleur ouvrier de France (MOF).
« Aux États-Unis, un millier de cidreries réveillent les papilles avec leurs créations audacieuse­s » Par Pascaline Lepeltier Sommelière-associée du bistrot-gastro Racines NY à New York. Meilleur ouvrier de France (MOF).

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