La Revue du Vin de France

Bordeaux by Chanel en beau livre

- Idelette Fritsch Michel Dovaz

On le sait peu : le vignoble des Côtes de Millau, en sud Aveyron, compte 2 000 ans d’histoire et un passé de vins fins servis à la table des papes d’Avignon. Surtout, il y a ces 200 caves d’élevage à faire pâlir les crayères champenois­es, les fameuses caves à fleurines du village de Compeyre (lire La RVF n° 622), aux portes de Millau. Sauf que depuis des décennies, ces failles de rochers d’où s’échappent des souffles froids utilisés pour l’affinage du célèbre fromage de Roquefort, n’ont plus abrité une seule barrique de vin.

Le vignoble, amputé au XIXe siècle de ses cépages autochtone­s sous les coups du phylloxéra, avait cédé à la mode des variétés à gros rendements puis versé dans les vins de piètre qualité. « Sur les 1 053 hectares cultivés en 1964, ne restaient que quelques coteaux lors de mon installati­on en 1984 », se souvient Alain Montrozier, dernier vigneron à Compeyre. Pendant trois décennies, il s’est battu pour relever le vignoble et créer un outil commun de vinificati­on : la cave coopérativ­e d’Aguessac, la plus petite de France (quatre viticulteu­rs pour 30 hectares), sortie de terre en 2012, un an après le décret de l’AOP.

FER SERVADOU TRÈS FIN

Manquait un vin étendard pour incarner ce vignoble de 60 hectares aujourd’hui. C’est chose faite. « Ils ne savaient pas ce qui se cachait dans leurs sols, or il suffit de se baisser pour réveiller ce grand terroir », jure Olivier Jullien, chef de file des Terrasses du Larzac. Le fameux vigneron de Jonquières est venu en ami vinifier une cuvée nouvelle, Calibre 12, avec Ghislain Montrozier qui cultive en bio les 13 hectares de son père Alain.

Un duo qui fait des étincelles et livre un joli canon qui détonne en bouche : gamay croquant, syrah poivrée et fer servadou tout en finesse. Sorti en Vin de Pays de l’Aveyron, il a été vinifié dans l’ancienne structure d’Aguessac, devenue une coopérativ­e d’utilisatio­n de matériel agricole (CUMA). Un symbole pour ce Calibre 12 conçu « comme une marque collective, le dénominate­ur commun d’une vallée ». Avec, en plus, la puissance de feu de Sébastien Pradal, beau gosse aveyronnai­s devenu sommelier, restaurate­ur et agent spécialisé dans les vins d’auteurs tels le Mas Jullien ou le domaine A. et P. de Villaine. En mai, il diffusera 30 000 bouteilles de Calibre 12 via son réseau au prix de 12 euros.

Cela a l’air compliqué, mais ce ne l’est pas : il s’agit d’un double livre relié en son centre par un cahier, chacun des livres disposant d’un “livre de cave” imprimé sur papier noir et astucieuse­ment disposé. L’un en ouverture protégé par le cartonnage de la reliure, l’autre symétrique­ment, en fin de volume. Autre subtilité : l’usage de deux papiers, l’un “épais”, blanc, avec marges, l’autre plus léger… Des détails qui montrent la considérat­ion accordée aux lecteurs.

Pourquoi ce format géant ? Pourquoi ces soins exceptionn­els ? Parce que les grands vins le méritent, en l’occurrence le château Rauzan-Ségla (deuxième Grand cru classé de Margaux) sur la Rive gauche et le château Canon (Premier Grand cru classé de Saint-Émilion) sur la Rive droite. Deux domaines appartenan­t au même propriétai­re, la maison Chanel, connue pour promouvoir la qualité. Les textes, plus nombreux qu’on le croit, sont constammen­t évocateurs et les cinq photograph­es justifient le format de ce livre unique.

D’une Rive à l’autre, Alice Biscarrat, Aymeric Mantoux, Patrick Wald Lasowski et 5 photograph­es 36 x 28 cm, 272 p., 150 €, Éditions de La Martinière

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Alain Montrozier (à g.), son fils Ghislain et son père Pierre, 93 ans, lors des vendanges de Calibre 12.
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