La Tribune de Lyon

« Me traîner sur scène jusqu’à 60 ans, ce n’était pas mon truc »

Ancienne danseuse, la directrice de la Maison de la danse raconte pour la première fois son enfance normande, sa drôle de formation et sa rencontre insolite avec Guy Darmet. En défendant le défilé et la Biennale, qui se tiennent du 14 au 30 septembre, com

- PROPOS RECUEILLIS PAR LUC HERNANDEZ

En 1981, vous avez rencontré José Montalvo avec qui vous allez danser dans le monde entier, mais que faisiezvou­s avant ?

Dominique Hervieu : « J’étais gymnaste en Normandie, à un bon niveau régional disons. Je suis née dans une petite ville au bord de la baie Saint- Michel ( Coutances, ndlr), je dis souvent que j’ai appris à marcher dans les sables mouvants, c’est pour ça que j’ai dansé. Dans ces petites villes, il n’y avait pas de formation pour être danseuse. J’ai donc commencé par la gym. J’avais une prof de danse classique qui m’utilisait comme joker pendant les galas, elle me lançait sur scène pour faire des pointes et je faisais mon impro de petite danseuse ! ( rires) C’était une formation pas du tout académique, cela m’a permis de développer un imaginaire folkloriqu­e de danseuse classique. En fait, j’ai abordé le classique par la fantaisie. J’ai toujours eu cette double appartenan­ce, et le goût du cross over.

En arrivant à Paris aussi ?

Oui, c’était le passage obligé. J’ai fait du jazz, du classique, j’ai dansé dans des pubs, et à côté je faisais une formation contempora­ine chez Peter Goss, c’est là que j’ai rencontré Montalvo. Il avait repéré que j’assurai à la barre, il me copiait ! ( rires) Il m’a demandé ensuite de faire un travail de recherche avec lui. C’était lui et moi 6 heures par jour pendant 4 ans et demi, un vrai laboratoir­e ! J’ai découvert l’histoire des arts, l’ouverture sur les arts plastiques, je me suis engouffrée là- dedans comme une dingue. J’étais un peu sa créature. On a fait de l’enseigneme­nt, du training, des médecines douces, j’ai tout essayé ! Je me suis élaboré une approche du mouvement qui me sert encore aujourd’hui.

Comment la compagnie a commencé ?

Au bout de 4 ans et demi, j’ai montré un petit solo de 3 minutes au concours de Nyons. C’était à la fois très exigeant du point de vue de l’écriture, et drôle, la marque de fabrique de Montalvo/ Hervieu. Comme on n’était pas du tout académique, on n’a pas eu de prix du jury, mais celui du public. Mais aussi la carte d’un certain Guy Darmet qui était dans le jury et avait beaucoup aimé. Il nous a invités au Théâtre de la Croix- Rousse à l’époque pour faire un trio.

Quand est- ce que la créature s’est affranchie de son Pygmalion ?

À quarante ans j’ai décidé d’arrêter de danser, ça me faisait mal aux genoux. J’ai choisi de devenir chorégraph­e de la compagnie. Ça a duré dix ans. Ensuite j’ai été nommée directrice de Chaillot et le glissement s’est opéré.

C’était un combat que de diriger le premier théâtre national consacré à la danse…

Oui, le monde du théâtre voyait ça d’un très mauvais oeil, même si j’ai toujours maintenu du théâtre au sein de la programmat­ion, avec Warlikowsk­i ou Mouawad. C’était une vraie lutte de territoire et de légitimité… Des gens de l’équipe des costumes avaient dit à mon arrivée : « On n’a pas fait tout ce parcours pour laver des joggings » ! C’était violent… Mais ça s’est fait : au bout de deux ans, il y avait un public nombreux.

La culture reste- t- elle aujourd’hui aussi un combat dans un environnem­ent sécuritair­e ?

Il y a un discours sécuritair­e parce qu’il y a des problèmes de sécurité. Mais pour le travail d’éducation ar-

tistique que je fais avec le projet Babel 8.3 ou le défilé de la Biennale, je me sens encouragée par les politiques. Il doit y avoir une précaution sécuritair­e, par exemple en regroupant le défilé dans l’enceinte du stade de Gerland. Mais l’ablation du défilé n’a jamais été d’actualité. Il s’agit de préserver notre modèle culturel dans un environnem­ent à risque. Ce qui va redonner au défilé une dimension militante. Vous parlez peu de votre passé de danseuse… Oui, parce que je sais que c’est la plus belle partie de ma vie. En danse, on devient l’oeuvre elle- même sur une scène, c’est un sentiment extraordin­aire à vivre sur un plateau. Mais au- delà de l’émotion, maintenant je transmets, et c’est aussi magnifique. Me traîner sur

« Je suis à fond dans l’action, mais j’ai besoin régulièrem­ent de me retrancher, de lire... qu’on ne m’emmerde pas !. »

scène jusqu’à 60 ans, ce n’était pas mon truc ! Par contre, ça m’a donné confiance dans mon art. C’est ça que je porte. Ça doit aussi changer votre rapport aux artistes pour la programmat­ion ? Oui, Decouflé, Preljocaj ou Merzouki, j’ai dansé avec eux, ce sont des copains. On gagne du temps : on a une complicité de fabricatio­n, on connaît les cuisines. Mais ce n’est pas parce que je sais d’où ils partent que je suis plus cool, ensuite je prends mes responsabi­lités… C’est l’aventure esthétique qui m’intéresse. C’est un de vos principaux apports à la Maison de la danse, cette réflexion esthétique, non ? Oui, ça n’enlève rien à l’émotion ou à la grandeur de l’oeuvre que de mieux la comprendre ! Je reproche souvent aux branchés d’avoir une espèce de mépris pour l’histoire. On a souvent l’impression qu’on relie la danse à l’éphémère, à l’air du temps, comme si cela ne demandait pas de travail en amont de la part des danseurs… Ça nuit à son art. Il faut se méfier de la posture « cultureuse » . Je préfère l'ouverture à tous les styles de danse et tenter de trouver le meilleur de chacun des re- gistres. L’important, c’est d’en faire l’expérience. On peut ne pas aimer une création mais en comprendre la démarche. À la fin du défilé de la Biennale, vous tenez à présenter une création, et pas seulement en faire un rendez- vous festif… Oui, c’est très important. Je suis plus une baroque qu’une conceptuel­le ! Dans le baroque, on superpose les couches. Oui à la fête, oui au monde, oui aux amateurs, mais il faut aussi montrer le meilleur de la création d’un artiste. La dernière fois, il y avait 15 000 personnes place Bellecour et pas un bruit pendant Dada Masilo. Je n’ai jamais ressenti une forme d’entièreté aussi grande. On est vraiment dans le rapport miraculeux de la danse : regrouper des milliers de gens émus autour d’un spectacle sans parole. Une étude est en cours pour réformer la structure des Biennales. Comment la verriez- vous évoluer ? C’est a priori le rapprochem­ent entre la Maison de la danse et la Biennale ( structure indépendan­te, ndlr) qui permettra le mieux de garder les marges artistique­s. C’est mon objectif. Mais les politiques choisiront ce qu’ils estimeront être le plus pertinent. Qu’attendez- vous du nouveau lieu au musée Guimet ? L’enjeu, c’est le projet : un lieu de création de danse unique à Lyon qui rayonne internatio­nalement, ce n’est pas rien. Je n’ai pas d’enjeu d’image personnell­e là- dessus. C’est pour ça que je suis venue à Lyon : créer un lieu d’accueil des artistes. Il ne faut rien rabattre de cette ambition. Qu’est- ce qui vous caractéris­e et qu’on n’imaginerai­t pas forcément de vous? J’ai besoin de repli. Je suis à fond dans l’action, mais j’ai régulièrem­ent besoin de me retrancher, de lire, de n’être que dans une dimension introspect­ive, qu’on ne m’emmerde pas! Je peux me replier comme une huître, je reste normande ! Je jardine, je lis et j’écoute de la musique.

Baroque ?

Oui, et Chopin. Quand j’ai envie de pleurer, j’écoute Chopin ! ( rires) ça marche à chaque fois…

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