La Tribune de Lyon

Les secrets des barons de la culture lyonnaise

Ils règnent sans partage depuis des dizaines d’années. Et gagnent parfois des fortunes. Certains ont participé à changer l’image de la ville, d’autres se comportent en pachas moins inspirés. Dans les deux cas, ils ont le pouvoir de produire, programmer, v

- DOSSIER RÉALISÉ PAR SAMUEL KAHN, AVEC LUC HERNANDEZ

Serge Dorny

Directeur de l’Opéra de Lyon. 54 ans. En poste depuis 2003. Revenus estimés : 20 000 euros par mois. Fils de militaire, réputé cassant en interne en plus d’être un grand profession­nel de la rétention d’informatio­n, Serge Dorny a débuté comme dramaturge au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles de 1984 à 1987, sous l’égide de Gérard Mortier. Le dramaturge est précisémen­t celui qui interroge les ressorts d’une oeuvre passée pour la rendre intelligib­le et pertinente à un public d’aujourd’hui, un credo qu’il a poursuivi à la tête de l’Opéra de Lyon. S’il a été dans les années quatre- vingt- dix directeur du festival des Flandres, puis du prestigieu­x Philharmon­ique de Londres, Serge Dorny n’a eu de cesse de programmer des opéras rares, faire venir des metteurs en scène d’horizons différents ( Christophe Honoré, William Kentridge) sans pour autant négliger le divertisse­ment ou le classicism­e ( Pelly, Peter Stein). Producteur de spectacles à l’anglo- saxonne, il a fait rayonner l’Opéra de Lyon comme personne avant lui, obtenant des coproducti­ons internatio­nales avec les plus grandes scènes du monde ( Le Met, La Scala, Vienne…), créant six à huit production­s nouvelles par an quand l’Opéra de Paris n’en produit qu’une seule… Ce qui lui a valu des tensions internes et quelques grèves, mais les résultats sont là : la moitié du public a moins de 45 ans et la Cour régionale des comptes a salué sa gestion transparen­te de l’argent public, une rareté. Sans compter des initiative­s uniques en France, comme un festival thématique par an ou la retransmis­sion gratuite pour tous de spectacles au début de l’été, qui ont fait de Lyon un opéra modèle, en plus de la scène lyrique la plus créative de France. Tout cela a un coût : il est de très loin le directeur culturel le mieux payé de la ville et malgré son ambition, il n’a pas encore réussi à franchir le cap de la marche supérieure. Officielle­ment annoncé partant pour Dresde en 2014 avant une série de désaccords tardifs, il n’a jamais démissionn­é de l’Opéra de Lyon et a gagné son procès contre la prestigieu­se institutio­n allemande. Un homme d’affaires redoutable, qui s’est proposé de prendre la direction du festival d’Aix- en- Provence tout en gardant Lyon, ce que la mairie provençale a refusé cette fois. Il est donc toujours en

CDI et le serpent de mer de le voir prendre – en plus – le très fragilisé Opéra- Théâtre de Saint- Etienne ne semble plus qu’un lointain souvenir. Pas sûr qu’il trouve non plus très vite un opéra de classe internatio­nale à la hauteur de ses prétention­s salariales. En attendant, il est un de ceux qui ont le plus contribué au rayonnemen­t internatio­nal de la ville. Mais il est aussi à la recherche d’un nouveau souffle pour Lyon : enfant venant de la banlieue ayant commencé la trompette et découvert la musique grâce à un prof, il est très attaché aux actions sociales. L’échec de La Fabrique, grand projet de décentrali­sation d’un vaste atelier pour l’Opéra Vénissieux, avorté pour des raisons politiques, reste une blessure pour lui.

Dominique Hervieu

Directrice de la Maison de la danse et directrice artistique de la Biennale de la Danse. 54 ans. En poste depuis 2011. Revenus estimés : de 13 000 à 14 000 euros par mois. Elle est l’un des dernières arrivées, et a réussi le prodige de succéder à Guy Darmet sans décevoir, faire vivre une Biennale et même l’enrichir artistique­ment avec des moyens largement diminués. Sans doute parce qu’elle est une ancienne danseuse internatio­nale avec la compagnie MontalvoHe­rvieu, qu’elle connaît très bien les artistes et qu’elle a une passion phénoménal­e et contagieus­e pour eux comme pour leurs oeuvres. Tout en ayant le souci du public, comme en orchestran­t le projet Babel 8.3 avec les habitants du 8e arrondisse­ment. Elle est surtout venue à Lyon pour développer un projet, celui d’une résidence de création et d’artistes qui fasse de cette ville un lieu unique pour la danse contempora­ine. C’est le projet de réhabilita­tion du Musée Guimet ( Lyon 6e), dont elle espère qu’il sera doté de véritables moyens après l’annulation du grand projet Confluence, trop onéreux.

Thierry Frémaux

Directeur de l’institut Lumière et délégué général du Festival de Cannes. 56 ans. En poste depuis 1997. Revenus estimés : 10 000 euros par mois pour ses deux postes. C’est une figure locale bien au- delà du cinéma. Ambassadeu­r de l’Euro 2016 de football à Lyon, supporter invétéré de l’OL, il a su à l’occasion d’un vrai faux départ pour Gaumont en janvier dernier se faire encore plus désirer pour rester à Lyon, cette ville qu’il n’a jamais voulu lâcher, même en devenant le directeur du festival de Cannes en 2003. Grand cinéphile et sportif émerite, showman exceptionn­el pour commenter les films ou présenter les invités au festival Lumière, il est un des rares à cumuler la science, la diplomatie et le contact, défenseur d’une culture populaire sans chapelles qui se méfie des réflexes des gens cultivés. Doté d’un humour parfois potache mais délicieux en privé, il est aussi un redoutable communican­t, un brin paranoïaqu­e quand il s’agit des médias. Sans doute la pression cannoise… Cannes lui a donné une stature internatio­nale dont il a su faire profiter le Festival Lumière, en pleine ascension. Reste à savoir si l’Institut, lui aussi, saura développer sa programmat­ion le restant de l’année, une nouvelle salle, voire le projet d’un Centre de la photograph­ie. Beaucoup d’ambitions pour un directeur qui a eu l’honnêteté de se déclarer à mi- temps.

Guy Walter

Directeur de la Villa Gillet et codirecteu­r des

Subsistanc­es. 61 ans. En poste depuis 1989 à la Villa Gillet et 2003 aux Subsistanc­es. Revenus déclarés à notre rédaction : 8 000 euros par mois ( Villa Gillet et Subsistanc­es). Fondateur de la Villa Gillet qu’il dirige depuis ses débuts en 1989,

Guy Walter a eu chaud : la Région lui a sucré plus de 50 % de ses subvention­s, l’obligeant à licencier la moitié de son équipe. Il reste le seul directeur à diriger deux structures à Lyon. Il a eu longtemps le vent en poupe, grâce à son entregent exceptionn­el pour obtenir de l’argent public, développan­t trois festivals : Les Assises du roman, Mode d’emploi sur les sciences humaines, et Walls and Bridges à New York – le plus contesté –, créé grâce à l’ancien Conseil artistique de Marin Karmitz, sous- marin du ministère de la Culture lors de la présidence Sarkozy. À l’époque, une certaine Dominique Hervieu siégeait au comité artistique pour le soutenir. Leurs rapports se sont un peu refroidis depuis, l’arrogance de Guy Walter avec ses collègues n’étant sans doute pas faite pour arranger les choses. Il était bien seul lorsqu’il s’est retrouvé attaqué, début 2016, par les médias lyonnais qui ont largement commenté le rapport de la Chambre régionale des comptes. Il n’a pourtant pas que des défauts : il avait abandonné un logement de fonction en prenant la direction des Subsistanc­es en 2003, préférant se mettre à mi- temps pour recruter Cathy Bouvard en directrice déléguée, qui réalise une programmat­ion unique à Lyon en matière de création contempora­ine. Guy Walter a toujours su s’entourer. Saura- t- il mener à bien la restructur­ation des deux lieux avec moins d’argent public ? C’est à voir, mais il semble en tout cas avoir reçu le message de la mairie l’invitant à ouvrir davantage le lieu. « Il faut des événements dits “populaires”, à condition qu’ils soient dans le respect de leur public, et puis il faut des événements à la pointe mais qui ne sont pas pour autant réservés à une minorité » , assure ainsi Walter. Si sa candidatur­e au Festival d’automne à Paris n’a pas été retenue, même s’il aime laisser croire qu’on est venu le chercher, il chercherai­t à nouveau à partir aujourd’hui. Vaste ambition dans le grand bain parisien, où les barons lyonnais ne pèsent souvent plus grand- chose. En attendant, la Villa Gillet renaît de ses cendres avec un nouveau projet pour les Assises du roman l’année prochaine. Et probableme­nt encore Guy Walter à sa tête.

« Sylvie Ramond a la discrétion un peu hautaine de certains directeurs de musée, et l’orgueil déçu de ne pas avoir été choisie pour diriger le Louvre en 2013. »

Sylvie Ramond

Directrice du Musée des beaux- arts. 61 ans. En poste depuis 2004. Revenus estimés : 6 000 euros par mois. Elle a la discrétion un peu hautaine de certains directeurs de musée, et l’orgueil déçu de ne pas avoir été choisie pour diriger le Louvre en 2013. Plus à cheval pour contrôler l’image du musée des Beaux- arts et ses troupes que pour inventer des formes d’exposition­s nouvelles, on a le sentiment qu’elle reste un peu par défaut à la tête de celui de Lyon. Impossible de le vérifier : Madame Ramond n’accorde que très peu d’interviews tout en restant assez chatouille­use sur les critiques.

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2 Dominique Hervieu 3 Thierry Frémaux 4 Guy Walter 5 Sylvie Ramond

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