De Tony l’Américain à Parker le Lyonnais
Son arrivée à l’Asvel en 2009, en tant qu’actionnaire minoritaire, avait fait grand bruit. Tony Parker, le plus grand basketteur français de l’histoire, posait ses valises à Lyon. Une ville à laquelle rien ne le rattache, mais qui l’adopte très vite. De s
Ils sont trois à poser devant l’objectif. Tony Parker, le propriétaire de l’Asvel, et Gaëtan Müller, son président délégué, qui encadrent Hervé Legros, le
président d’Alila, un groupe lyonnais spécialisé dans le logement social. Le patron de cette entreprise en pleine expansion est le dernier gros poisson ferré par le club de basket lyonnais, après notamment LDLC. com, Floriot ou Adéquat. La scène a eu lieu en septembre dernier, deux mois seulement après la présentation de la future grande salle qui accueillera la « Green Army » . Espérée depuis l’arrivée de Parker au club en 2009, l’Arena est, avec le projet de la Tony Parker Academy ( voir
encadré), l’un des deux gros chantiers qui doivent permettre à TP ( prononcer « Tipi » ) et à l’Asvel d’assumer leurs ambitions. Nouveaux sponsors et actionnaires, grands projets… le boss Parker défriche tous azimuts. Mais s’il est aujourd’hui le patron incontesté du basket lyonnais, pleinement intégré dans le tissu économico- politique local, c’est que Parker – le petit Normand qui a grandi à Rouen avant de devenir une des stars de la NBA – a su poser ses jalons adroitement. Le basketteur a suivi un chemin méthodiquement construit, guidé par une seule volonté : faire de l’Asvel une des meilleures équipes d’Europe.
« On déjeune ensemble. On reste trois heures à table, et à la fin Tony dit “Banco ”. On s’est tapé dans la main et c’était fait. Un gentlemen’s agreement » , raconte Gilles Moretton.
Gentlemen’s agreement. Lorsqu’il débarque à l’Association Sportive Villeurbanne Éveil Lyonnais, en 2009, Tony Parker est déjà LA superstar du basket français. Joueur majeur des San Antonio Spurs depuis 2001, trois fois champion de NBA ( il le sera une quatrième fois en 2014), régulièrement présent au All- Star Game, il est accueilli à bras ouverts dans l’agglomération. D’autant plus que rien, a priori, ne le prédestinait à rejoindre Lyon. Il connaît sa première expérience de dirigeant au Paris Basket Racing en 2005. L’affaire se termine brutalement et le basketteur cherche un nouveau club où poser ses bagages de patron. « Il a prospecté un peu partout, avant de retenir trois clubs, raconte Gaëtan Müller, ami d’enfance de Parker, qui chapeaute aujourd’hui le club en l’absence du big boss. Il y avait Rouen, club de notre ville d’origine, Lille, qui était en N1 ( 3e division, NDLR) et avait un potentiel intéressant, et l’Asvel, où il y avait déjà tout. C’est ici qu’il y avait le potentiel pour aller le plus haut, et plus vite. » Une histoire de hasard, mais pas seulement. Gi l les Moretton, propriétaire du club depuis 2001, saisit vite l’opportunité que représente l’arrivée de Tony Parker à l’Asvel. « Tony prend directement contact avec nous, sans intermédiaire. Il nous demande des renseignements assez précis, qu’on lui envoie. Les discussions durent six mois, puis on décide d’aller le voir à San Antonio pour lui présenter le projet. » Les deux hommes se retrouvent dans un mall. « On déjeune ensemble, on reste trois heures à table. À la fin, Tony dit “Banco ”. Il prend d’abord 10 % du club, et on convient qu’il prendra les commandes dès qu’il sera prêt. On s’est tapé dans la main et c’était fait. Un gentlemen’s agreement. » Le Normand saute le pas et fait son arrivée dans la métropole lyonnaise. Comme une évidence, celui qui est amené à devenir le plus grand joueur de l’histoire du basket français rejoignait, à 26 ans, le club le plus titré du pays.
Minoritaire et omniprésent. Pour la discrétion, en revanche, on repassera. Détenant rapidement 20 % des parts du club, l’actionnaire minoritaire Parker attire toute la lumière. Les Tony Parker Camps, organisés chaque été depuis 2013 à Villeurbanne, drainent leurs cohortes de journalistes et de curieux en quête d’un autographe. Lors du lock- out de
( grève des joueurs, NDLR), la en NBA 2011, qui avait immobilisé le championnatplusieurs semaines, américain l’internatio- durant nal français vient jouer à l’Asvel. Il participe à sept matches de Pro A, tous dans des salles remplies de spectateurs en quête de paillettes. Pour Lyon, c’est une aubaine. « Avoir Tony Parker en tant qu’investisseur privé, c’est énorme pour l’agglomération, estime Thierry Braillard, secrétaire d’État aux Sports et ancien adjoint aux Sports à la mairie de Lyon. C’est un rayonnement exceptionnel, cela a clairement permis d’attirer des investisseurs pour le projet de salle. » « Tony Parker a su fédérer autour de lui. Son nom donne confiance. Il brille » , synthétise pour sa part Jean- Paul Bret, le maire de Villeurbanne. L’actuel adjoint aux Sports de Lyon, Yann Cucherat, souligne sa « fierté de le voir à la tête de l’Asvel » , et l’adoube lui aussi. De quoi autoriser le basketteurentrepreneur à tout se permettre ? On n’en est pas loin. Après trois années passées en tant qu’actionnaire minoritaire, TP montre des signes de frustration. Le projet de grande salle n’avance pas assez vite, le club ne se développe pas assez. « Si ça traîne, c’est parce qu’en France cela va trop lentement » , affirme- t- il en substance. Parker, un homme pressé ? « Ce n’est pas l’étiquette que je veux lui coller, répond Yann Cucherat. C’est un passionné et un sportif de haut niveau : il a besoin d’avancer. S’il n’avance pas, il est dépassé. » Une mental ité probablement renforcée par une vision américaine des choses, plus directe. « Parker, à partir du moment où il décide quelque chose, cela doit être fait en un an, pose Jean
Paul Bret. Mais nous lui avons apporté des clés pour l’aider à comprendre la manière dont se passent les choses en France. » Ce que Gaëtan Müller résume
à sa manière : « À Lyon, quand on prend le temps, ça finit par porter ses fruits »
Tony met la pression. Reste que la salle tarde à se concrétiser. Un premier projet est annulé, un deuxième retoqué au dernier moment, fin 2012. En cause, notamment, la r ival ité entre Lyon et Vi l leurbanne, deux villes candidates pour accueil
lir l’infrastructure. « À Villeurbanne, Jean- Paul Bret a un côté
Astérix et Obélix, village gaulois contre le reste du monde, affirme
un élu. Il voulait que le projet se fasse à l’emplacement du stade Georges- Lyvet, et pas à proximité du Carré de Soie, parce que le terrain retenu n’était pas entièrement sur Villeurbanne. On a perdu une bonne année » . Visé, Jean- Paul Bret botte en touche. « C’est une histoire ancienne, une histoire de journalistes. L’image est triviale, mais c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses : aujourd’hui, les choses ont avancé. La salle à Villeurbanne et la Parker Academy vont se faire. » Subsiste malgré tout l’impression qu’un Tony Parker pas encore président a assez de pouvoir pour faire bouger les choses. Le temps de l’apprentissage prend fin. « Tony a très vite voulu des responsabilités. En moins de deux ans, il gérait tout l’aspect sportif » détaille Gilles Moretton. En
2013, agacé par cette salle dont la construction ne débute pas, il menace d’aller voir ailleurs. Il s’adresse dans un premier temps aux actionnaires du club. « Il leur a fait savoir qu’il pouvait partir, qu’il avait d’autres opportunités
ailleurs, raconte Gaëtan Müller. Montpellier et le PSG ( qui n’a finalement pas concrétisé son intention d’intégrer le club de Paris- Levallois, NDLR) étaient
notamment intéressés. » L’information remonte également aux oreilles des élus locaux. « Tony a mis une sorte de pression : “Je quitte le club si cela n’avance pas ”, rembobine Thierry Braillard. C’est un avertissement que les édiles ont su entendre »
Prise de pouvoir. De toute façon, TP voit déjà plus loin. Les choses traînent ? Il va les prendre en mains. En septembre 2013, il est champion d’Europe avec l’équipe de France. Leader des Bleus, la trentaine passée, il va prendre les rênes de l’Asvel. Et comme ça ne se passe pas aussi vite qu’il ne le souhaite, il active ses réseaux lyonnais, déjà conséquents. C’est par l’intermédiaire d’un ami que Bruno Rousset, PDG du groupe lyonnais d’assurance April, est invité au gala annuel du bas-
ketteur. « C’était la première fois que je le rencontrais, se souvient
l’entrepreneur. On discute un petit moment dans la soirée et Tony me dit qu’il a quelques difficultés avec les actionnaires de l’Asvel. Il me dit qu’il est déçu, qu’ils n’ont pas tenu leurs promesses. » Bruno Rousset se souvient d’une « discussion assez forte : une personnalité comme Tony Parker, c’est important pour Lyon » . Suite à cette rencontre, il n’hésite pas longtemps. « Les actionnaires, je les connais. J’ai pris contact avec eux et les choses
sont allées assez vite. » Le gala a lieu en septembre 2013. Six mois plus tard, l’Asvel est rachetée par Tony Parker. Sa holding, Infinity Nine Sports ( INS), acquiert 80 % des parts du club, pour un montant gardé secret. Bruno Rousset acquiert lui- même quelques parts, comme plusieurs autres Lyonnais, figurant au rang de « facilitateurs » dans le langage de Tony Parker et son acolyte Gaëtan Müller. Jacques Gaillard, le patron de TLM, est de ceux- là. Actionnaire historique du club, il fait partie de ceux qui ont assuré la transmission. Il possède à la fois des parts à travers INS et
des parts en son nom. Philippe Sauze, ami de Tony Parker, passé d’Electronic Arts au groupe lyonnais LDLC. com, joue les intermédiaires. « Son travail a été impor
tant, lâche Gaëtan Müller. Il n’y est pas pour rien si aujourd’hui on
se tutoie avec Gérard Collomb » . Le président délégué, par ailleurs lui aussi ancien basketteur pro, cite également les noms de JeanClaude Lavorel ( propriétaire du Marriott), Hervé Legros ( Alila) ou encore Jacques- Édouard Charret
( ex- Toupargel). Des gens « avec
qui l’on a de forts liens d’amitié » , développe- t- il. Des amis bien souvent grisonnants et au portefeuille bien rempli, a priori plus habitués aux déjeuners d’affaires qu’aux paniers à trois points. Jacques- Édouard Charret, par exemple, connaît Tony Parker depuis 2010. A lors président du directoire de Quick, il rencontre le basket teur dans le but « d’en faire une égérie de la marque. Nous avons sympathisé
et sommes restés très proches. En 2014, quand Tony m’a demandé de l’accompagner en tant qu’administrateur, j’ai accepté » . Ce Lyonnais de naissance
rejoint la « Green Army » de TP. « Tony a beau être brillant, il a aussi besoin d’aide : là, on parle de gestion d’entreprise, poursuit- il. Mais c’est la qualité du projet qui m’a donné envie de m’accrocher. Je ne suis pas venu que par amitié. »
La « TP family » intègre l’Asvel. Voici donc le roi Parker sur son trône, secondé par son âme damnée Gaëtan Mül ler. À ses côtés, tout un aréopage de conseillers, amis et acteurs lyonnais qui l’aident définitivement à s’installer dans le paysage. Et il faut dire que, une fois Parker aux commandes, les choses bougent à toute allure. Au sein du club, d’abord. Ils ne sont pas nombreux, ceux qui étaient là avant l’arrivée de Parker. Il y a bien Nordine Ghrib, baladé de poste en poste – il a été tour à tour manager général, assistant, directeur sportif, directeur du centre de formation… – mais c’est l’un des derniers. Exit Gilles Moretton et Antony Thiodet, qui portaient le club depuis plus de dix ans. Arrivent Gaëtan Müller donc, au poste de président délégué, mais aussi TJ Parker, le frère de Tony, en tant qu’assistant- coach, et son beau- frère aux relat ions média. Rien d’anormal, pour JacquesÉdouard Charret. « Cela se comprend. Comment pouvez- vous gérer une entreprise quand vous êtes à 6 000 kilomètres, si vous n’avez pas des personnes de confiance autour de vous ? » L’ancien directeur général de Quick se souvient de sa première rencontre avec Parker. « C’était à l’occasion d’un petit- déjeuner, dans un hôtel parisien. Je m’attendais à ce que l’on ne soit que tous les deux, mais au fil de la discussion, toute sa famille est arrivée, ainsi que deux de ses amis proches. Il fonctionne comme ça, en tribu. » Aller plus haut. Le nouveau propriétaire de l’Asvel sait s’entourer, et aussi écouter. Au sein du conseil d’administration, il conserve un certain nombre d’anciens qui forment l’ADN du club ( « une bonne
moitié » , à en croire Jacques- Édouard Charret) et y ajoute certains de ses proches, habitués à son mode de fonctionnement. Un mode fait de discussions rapides, « franches, transparentes et régulières, témoigne Yann Cucherat. Dès qu’il y a besoin, on se téléphone » . Jean- Paul Bret parle de quelqu’un qui « a un emploi du temps très serré. Il remplit ses entretiens de manière intense mais accorde toujours de l’attention à son interlocuteur. Par contre, c’est de la com’ à l’américaine : s’il dit deux minutes, c’est deux minutes. » « Ce club n’est pas la danseuse de Tony,
martèle pour sa part Gaëtan Müller. On réalise un rêve de gosse, mais on gère ce club comme une entreprise. » Pour l’heure, les résultats suivent. Tony le pressé va très vite. Moins de trois ans après son rachat, l’Asvel a été sacrée champion de France, affiche des taux de remplissage record à l’Astroballe et a vu ses recettes augmenter de près de 40 %. Tous les voyants sont au vert, et les amitiés locales de Parker n’y sont pas pour rien. Jacques- Édouard Charret a bien sa petite idée sur les raisons de ce succès. « Tout a été fait à la lyonnaise. Les gens qui entourent Tony se connaissent tous eux- mêmes. » Parker fait désormais partie des grands noms du sport lyonnais, au même titre que Jean- Michel Aulas à l’OL et Olivier Ginon au LOU. À tel point qu’aujourd’hui, « c’est difficile de lui dire non. Si tu t’opposes à Tony Parker, tu es grillé à vie, affirme un proche du club. C’est la personnalité numéro 1 du basket français, et pour longtemps encore. Journalistes, joueurs, entraîneurs… tous font profil bas. » De quoi mettre en doute ses rêves de grandeur pour l’Asvel ? Même pas. « Avec lui, tout se transforme en or, en deux ans il a été champion de France. Donc,
pourquoi pas imaginer un avenir doré » , juge un journaliste lyonnais spécialisé dans le basket. TP, lui, ne compte pas s’arrêter là. Il veut se consacrer cette année au développement du basket féminin à l’Asvel. La partie s’annonce difficile. Pas sûr que cela le rebute.
« Ce club n’est pas la danseuse de Tony » .