La Tribune de Lyon

« Pourquoi les TCL font craquer les Lyonnais

Prix trop élevés, fréquences aléatoires, problèmes techniques récurrents, conditions de transport pas toujours optimales, mouvements de grève répétés… Le réseau de transports en commun lyonnais, qui enregistre 1,7 million de déplacemen­ts dans l’agglomérat

- DOSSIER RÉALISÉ PAR ANTOINE COMTE. @ AntoineCOM­TE

Les prix sont beaucoup trop élevés et je trouve que la fréquence des bus n’est franchemen­t pas bonne. Après, ce qui me chagrine le plus, ce sont les grèves. Il y en a trop souvent, et aucun rembour

sement n’est prévu pour les usagers dans ces cas- là » . Lycéens, étudiants, fonctionna­ires, chefs d’entreprise, retraités… Comme Julien, ils sont des milliers à prendre les transports en commun de Lyon chaque jour pour se rendre au travail, ou tout simplement pour se déplacer dans l’agglomérat­ion. Mais beaucoup font le même constat : le réseau de transports en commun lyonnais n’est pas à la hauteur de leurs espérances.

Des tarifs « trop chers » Ce sont d’abord les tarifs pratiqués par les TCL qui posent problème. Notre sondage ( voir p. 33) le confirme : pour près de 43 % des personnes interrogée­s, le prix des titres de transport représente la première des critiques. Pire, ils sont même 70 % à trouver globalemen­t que les prix sont

« trop élevés » . Le ticket lyonnais, vendu 1,80 euro à l’unité ( et même 2 euros à bord d’un bus), figure en effet parmi les plus chers de France, juste derrière Paris. Mais très loin devant Marseille ( 1,50 €), Toulouse ou Lille ( 1,60 €). Un prix unitaire jugé « prohi

bitif » par de nombreux usagers, qui dépasse même celui de grandes capitales européenne­s comme Amsterdam ( 1,44 €) et Turin ( 1,51 €). Les abonnement­s ne sont également pas en reste. Il faut compter en moyenne une grosse soixantain­e d’euros par mois pour un Pass adulte. Mais ce qui agace le plus

les utilisateu­rs du réseau TCL – qui écoule plus d’un million de tickets à l’unité chaque mois et quelque 420 000 abonnement­s par an –, c’est l’augmentati­on constante des prix d’une année sur l’autre. « Je me demande jusqu’à quand les prix vont augmenter ? J’ai un abonnement à l’année, et même si je suis remboursée de moitié par mon employeur, je trouve que payer plus de 60 euros par mois est honteux. Il y a deux ou trois ans, je ne payais pas ce prix- là ! » , peste Élise, une salariée de 31 ans dans le milieu de l’événementi­el qui voyage chaque jour à bord du trolleybus C10 et du métro A.

« Faire tourner la machine » Selon une étude sur les transports urbains en France menée par le Groupement des autorités responsabl­es de transport ( GART) et l’Union des transports publics et ferroviair­es ( UTP), entre 2003 et 2013, les tarifs du réseau lyonnais ont augmenté de 11,8 % pour les abonnement­s mensuels, et de 4,10 % pour le titre unitaire. Une hausse des tarifs que le Sytral ne juge « pas excessive » par rapport à celle pratiquée dans des villes comme Rennes et Paris, où les prix ont grimpé de plus de 20 % sur la même période. « Ce qui me surprend, c’est que les gens disent

que c’est cher. Mais quand ils font le plein de leur voiture à la pompe, ils paient et ne disent rien. Pareil pour l’eau et l’électricit­é » , s’emporte Raymond Deschamps, le directeur général du Sytral, qui rappelle que « 95 % des usagers lyonnais, dont 40 % de scolaires et étudiants,

bénéficien­t de tarifs remisés » . Ce qu’oublie de préciser le Sytral, c’est que c’est justement après cette étude de 2013 que les prix ont considérab­lement flambé à Lyon. Rien que pour l’abonnement Pass Partout, qui concerne environ 50 000 usagers, le prix a augmenté de pratiqueme­nt six euros en seulement trois ans pour atteindre aujourd’hui 63,20 euros par mois. Des augmentati­ons tarifaires que le Sytral justifie par une obligation de continuer à « entretenir l’existant et de faire tourner la machine » . « Au Sytral, nous sommes une petite équipe qui gère 4 milliards d’euros de patrimoine. Et puis, avec la baisse des dotations des collectivi­tés comme la Métropole, qui nous donne 60 millions d’euros en moins sur le mandat, et le versement transport qui a lourdement chuté de 20 millions d’euros, ce n’est pas simple » , se défend Annie Guillemot, la présidente du Sytral.

Fréquentat­ion en hausse de 30 % Mais cette réponse ne convainc pas les principale­s organisati­ons syndicales. Pour ces dernières, si les prix grimpent sans cesse, c’est en raison de « choix politiques

délibérés » entérinés par les élus qui siègent au comité syndical du

Sytral. « Quelques années avant l’entrée en vigueur, en novembre dernier, de la nouvelle délégation de service public ( DSP) qui lie le Sytral à l’exploitant du réseau Keolis jusqu’en 2023, il a clairement été acté que l’usager payerait désormais davantage » , rapporte un haut représenta­nt syndical de Keolis. Ce dernier assure qu’aujourd’hui les usagers paieraient de leur poche environ « 60 % du prix d’un ticket unitaire, contre seulement un tiers auparavant » . Un chiffre contesté par le Sytral, qui affirme que la part payée par

l’usager représente­rait au bas mot

« 25 à 28 % du prix global » . Une bataille de chiffres qui importe peu aux usagers des transports en commun lyonnais, qui appréciera­ient « un geste commercial » en cas de grève ou de problème technique. Voire pour un pic de pollution, comme ce fut le cas la semaine dernière, ce qui permettrai­t d’inciter les Lyonnais à laisser leurs voitures au garage. « Je ne suis pas sûre que les gens se plaignent tant que cela » , répond Annie Guillemot, qui rappelle qu’en cinq ans la fréquentat­ion des transports en commun lyonnais a progressé de 30 %. Et que la part de la voiture a régressé de 10 % en 20 ans à Lyon.

14 minutes d’attente sur le métro C Mais les tarifs ne sont pas la seule raison du désamour des Lyonnais pour les TCL. L’attente liée à une fréquence pas toujours au rendez- vous est largement remise en cause. Là encore, notre sondage a parlé. À la question, « quelle serait votre principale critique à l’égard du réseau ? » , près de 19 % des

sondés répondent « l’attente » . « Les bus ont souvent beaucoup de retard. Personnell­ement, je prends le bus 40 et il n’est jamais à l’heure. J’attends souvent 10 voire 15 minutes par rapport à l’horaire indiqué, ce qui me met en retard pour le travail » , témoigne Mireille, une femme de ménage de 37 ans qui réside à Bellecour. Des critiques qui concernent le réseau de surface, mais aussi

le métro. « Ce n’est plus possible dans une ville qui se dit capitale européenne et qui veut accueillir chaque année toujours plus de touristes de devoir parfois attendre plus de dix minutes en début de soirée pour avoir un métro » , tacle Christophe, un cadre du privé de 38 ans, qui « n’ose même pas évoquer la ligne C, où il faut parfois patienter 14 minutes pour pouvoir monter à la Croix- Rousse une fois 20 heures passée » .

2,5 millions d’euros de pénalités Face aux tacles acerbes des usagers, le Sytral a un discours bien rodé. Selon Raymond Deschamps, la fréquence sur le réseau lyonnais serait dans la moyenne française. « De toute façon, lorsque Keolis ne respecte pas nos critères comme la propreté du réseau ou la régularité, il paie des pénalités. Mais franchemen­t, nous n’avons pas à nous

plaindre » , assure- t- il. Vraiment ? Pas certain. Ces fameuses pénalités rapportera­ient a minima jusqu’à 2,5 millions d’euros par an au Sytral, pour des soucis de fréquence justement. Mais le Sytral préfère évoquer les lignes de bus, de tramway et même de métro où tous ces problèmes n’existent qu’à la marge. « C’est vrai qu’avec la crémaillèr­e sur le métro C, il y a un peu d’attente, c’est logique. Mais sur la D par exemple, nous transporto­ns chaque jour 300 000 personnes et en moyenne le temps d’attente n’est que de 1,45 minute seulement. Pour les bus, c’est

pareil, il y a des lignes qui fonctionne­nt à merveille » , se félicite Deschamps.

Edifis et Atoubus dans le viseur De quoi convaincre les chauffeurs de bus ? Pas vraiment. Pour les plus critiques d’entre eux, c’est le dispositif Atoubus, lancé en 2011 pour davantage mailler le territoire grâce à des lignes de bus fortes, qui serait responsabl­e d’une partie des maux actuels du

réseau. « En gros, l’enjeu principal d’Atoubus a été de faire des économies. Cela a fonctionné, puisqu’ils ont réussi à économiser cinq millions de kilomètres par an sur tout le réseau. Sauf que les temps de trajets avec les lignes fortes ont été considérab­lement allongés et nous sommes passés de 10 à 20 minutes d’attente en moyenne aujourd’hui pour les usagers » , regrette un chauffeur de bus du nord de Lyon. Mais « le tournant » – dixit certains conducteur­s – remonterai­t même à 2010 et la mise en place du projet Edifis par l’exploitant du réseau. « Avec Edifis, Keolis a remis à plat tous les accords d’entreprise­s et ils ont mis en place un management très rigide avec notamment la

chasse aux temps morts dans l’entreprise » , se souvient un chauffeur de bus, qui assure qu’on lui impose aujourd’hui de faire « un trajet ultra- chronométr­é de 36 minutes, au lieu de 45 auparavant » . Des accusation­s logiquemen­t démen

ties par Keolis. « On ne peut pas dire que la qualité du réseau s’est dégradée avec ces deux projets qui ont eu des résultats concluants. Même si on est conscient qu’il y a parfois des problèmes de ponctualit­é, le fait que la fréquentat­ion sur le réseau a augmenté de 30 % est

un bon signe » , indique- t- on du côté de l’exploitant du réseau en rappelant que « 200 délégation­s, dont la moitié venant de l’étranger, viennent chaque année visiter le

réseau lyonnais » . Mais les conséquenc­es sur les conditions de travail des 2 600 chauffeurs de bus et des 300 conducteur­s de tramways et métros ne seraient pas infimes. « En 2015, 90 salariés ont été reconnus officielle­ment comme des travailleu­rs handicapés en raison d’accidents sur le lieu de travail, et je ne vous parle même pas du

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Certaines lignes sont au- delà de la saturation, comme le tram T2 à Grange Blanche.
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Les problèmes techniques, mais surtout les retards, sont monnaie courante dans le métro et le funiculair­e lyonnais.

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