La Tribune de Lyon

« Je ne suis le valet ou le toutou de personne »

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE COMTE @ AntoineCOM­TE

Préfet du Rhône et de la région Auvergne Rhône- Alpes depuis pratiqueme­nt deux ans, Michel Delpuech est du genre discret. Pourtant, celui qui est le représenta­nt de l’État à Lyon et sa grande Région sait aussi se confier sur des sujets où l’on ne l’attend pas forcément. Comme le football, qu’il a pratiqué sur les bancs de l’ENA, avec un certain François Hollande…

Quel bilan tirez- vous après deux années passées à Lyon ?

MICHEL DELPUECH : « Ce qui m’a frappé dès que je suis arrivé ici, c’est le système lyonnais et sa dynamique. Tous les acteurs politiques, économique­s et administra­tifs de la ville se connaissen­t, ce qui crée une synergie qui tire tout le monde vers le haut. À Lyon, je n’ai jamais perçu de vision divergente sur l’avenir du territoire. En fait, c’est une ville équilibrée dans laquelle on passe d’un quartier à l’autre sans avoir le sentiment de passer d’un monde à l’autre. On va vous voir préfet encore longtemps ici alors ? Vous savez, on ne maîtrise rien quand on est préfet. Une fois qu’on s’installe dans le poste, on y est et quelque part, il n’y a ni avant ni après. Ensuite, c’est vrai que les coupures sont toujours brutales. On laisse beaucoup de soi- même, de son coeur… Et puis inversemen­t, on découvre des gens qu’on ne connaissai­t pas, de nouvelles expérience­s, jusqu’à la prochaine mutation. C’est quoi être préfet aujourd’hui en France ? Je crois que nous sommes une incarnatio­n et un repère de la République. Nous avons la charge de la représenta­tion de l’État, du gouverneme­nt, les intérêts nationaux, le respect des lois… Et puis, dans la pratique, notre activité nous amène à être au contact de toute la société. Je peux aller visiter un 31 décembre un centre qui accueille des femmes en difficulté avec leurs enfants à qui je caresse la joue. Mais je peux aussi être reçu par les gens les plus fortunés de la Cité une semaine plus tard. En fait, je sens dans ma fonction une profonde liberté. Une liberté qui veut dire aussi responsabi­lité. Je mets en oeuvre de manière loyale la politique du gouverneme­nt car c’est mon rôle, mais je ne suis le valet ou le toutou de personne. D’ailleurs, tous ceux qui ont voulu me considérer ainsi se sont cassés les dents. Quelle est votre relation justement avec François Hollande ? Elle un peu particuliè­re. Nous étions ensemble à l’ENA et nous avions une grande camaraderi­e sur les terrains de football. On jouait milieu de terrain tous les deux. Nous échangeons d’ailleurs chaque année nos voeux sous deux formes. D’abord des voeux adressés au Président de la République, de manière officielle, accompagné­s d’un petit mot amical à côté. Et lui me répond de la même façon : un mot adressé au préfet, un autre à Michel. Un “vous” d’un côté, un “toi” de l’autre. C’est une relation qui s’est créée à l’ENA, lorsque nous étions membres de la célèbre promotion Voltaire. Mais je n’aime pas trop parler de moi, je suis très pudique. Justement, quand vous êtes arrivé à Lyon en 2015, on entendait le microcosme lyonnais dire : « On va regretter le préfet Carenco et son franc- parler… » Comment l’avez- vous vécu ? Cela ne m’a pas fait plaisir du tout. J’ai entendu de choses injustes et approximat­ives sur moi. Je n’aime pas qu’on parle des gens sans les connaître. J’ai entendu que j’étais froid et sur la réserve. Ce qui est faux. Je préfère simplement communique­r sur mon boulot que sur ma personne. Je ne passe pas mon temps à dire ce que je fais. Je fais et puis c’est aux gens d’apprécier. Mais aujourd’hui, ça va mieux ? Oui, mais je ne pense pas avoir changé. Je ne suis pas différent à Lyon de ce que j’étais à Bordeaux, en Picardie, en Corse ou dans les Hautes- Seine. J’ai aujourd’hui de très bonnes relations avec les mondes économique, associatif, culturel ou encore politique lyonnais. Sur le dossier des migrants, on a quand même senti que la situation était tendue avec Laurent Wauquiez, non ? Nous avons mené cette affaire sans jamais regarder si

les communes de la Région qui allaient accueillir des migrants étaient de droite ou de gauche. Mais après, je pense qu’on ne peut pas appeler à la résistance – et j’insiste sur ce mot – contre une politique d’État. Je suis le représenta­nt de l’État, et j’ai dit ce que j’avais à dire. Vous aviez même démenti les chiffres donnés par le président de la Région sur le nombre de migrants accueillis dans une commune de Haute- Loire… Oui, parce qu’il s’agissait d’inexactitu­des. Heureuseme­nt, le problème a été rapidement réglé avec le maire de cette petite commune. Mais vous savez, personne n’a souhaité cette vague de migrants, ni nous, ni eux. C’est une réalité et il faut que notre pays et l’Europe l’affrontent. Et cet effort à faire, pour aider au démantèlem­ent de la “Jungle de Calais”, nous l’avons fait ici dans la Région avec l’accueil de 694 migrants majeurs et 269 mineurs. Je ne dis pas que c’est rien, mais il faut rapporter ces chiffres au Territoire, et on voit bien que ce n’est pas une vague non plus… De toute façon, je militerai toujours pour le vivre ensemble et ce que nous avons fait répond à cela, je crois. Le vivre ensemble, c’est aussi la circulatio­n alternée que vous avez mise en place pour la première fois à Lyon… Oui, car nos concitoyen­s attendent de nous des réponses sur cet enjeu de santé publique. Et si début décembre, j’ai mis en place la circulatio­n alternée, qui était devenue indispensa­ble pour réduire la pollution dans l’agglomérat­ion lyonnaise, j’aurais aimé qu’on puisse la combiner sans attendre avec le système de vignettes qui permet aux véhicules non polluants de circuler quand même. Nous avons finalement pu le faire il y a quelques semaines, mais à terme je souhaitera­is qu’on puisse même mettre uniquement en place la circulatio­n différenci­ée avec ces fameuses vignettes. C’est moins contraigna­nt et surtout beaucoup plus intelligen­t. J’attends encore malgré tout que le nombre d’automobili­stes disposant de vignettes soit suffisant. Sur le dernier épisode en janvier, cela ne concernait que 20 000 automobili­stes. Heureuseme­nt, ça pro- gresse, nous sommes à 160 000 vignettes dans le Rhône aujourd’hui. Est- ce vraiment la seule solution pour réduire la pollution en ville ?

Non mais je veux aller plus loin, la Dreal ( Direction régionale de l’environnem­ent, de l’aménagemen­t et du

logement, NDLR) dit aujourd’hui que les pics de pollution sont dus à 55 % à la combustion, 20 % à l’industrie et 25 % à la circulatio­n. Donc, avec la circulatio­n alternée, nous ne traitons qu’un bout du sujet. J’ai donc demandé qu’on regarde la question de la combustion, notamment concernant les chaudières à bois, pour lesquelles je souhaite qu’on utilise le dispositif de secours permettant de fonctionne­r au gaz quand nous aurons un autre épisode de pollution. Un autre dossier vous a aussi beaucoup occupé, c’est le musée des Tissus : où en sommes- nous aujourd’hui ? Je n’ai eu qu’un seul souci dans cette affaire : c’est de tout faire pour éviter la catastroph­e. J’ai la faiblesse de penser que j’y suis arrivé, puisque j’ai réussi à faire entrer Gérard Collomb dans le jeu. Et dès lors que la collectivi­té lyonnaise a suivi, nous avons été en capacité de trouver une solution intéressan­te. D’ailleurs, j’ai bon espoir pour son avenir. Quand la mariée est belle, on a envie d’être à son bras, non ? Les élections approchent, ce n’est pas trop frustrant de devoir entrer dans une période de silence sur ces dossiers très politiques ? Si, parce que je n’ai plus le droit de m’exprimer à compter du 24 mars et ce jusqu’au 18 juin. Mais, ne vous inquiétez pas, je continue à travailler quand même ! Comment voyez- vous la suite de votre carrière ? Le problème, hélas, c’est que j’en ai fait davantage qu’il ne m’en reste à faire… En gros, il me reste quatre ans avant la retraite. Mais mon sujet est surtout de savoir ce que je vais faire après. Je ne m’imagine pas une seconde ne rien faire. J’ai vu tellement de collègues ou d’hommes politiques arrêter du jour au lendemain et se retrouver dans des situations mortifères… Je vais plutôt chercher à continuer à travailler. Pourquoi ne pas être avocat par exemple ? C’est vrai, j’aime bien le droit et j’ai toujours aimé défendre des causes. »

« Une fois à la retraite, je n’imagine pas une seconde ne rien faire. Comme j’aime bien le droit et défendre des causes, pourquoi ne pas devenir avocat ? »

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