Théâtre : la menace fantôme
C’ était on ne peut plus réjouissant d’aller voir La Mouette de Tchekhov dans la version rock’n’roll de Thomas Ostermeier au théâtre de Villefranche la semaine dernière, seul théâtre avec la Comédie de Valence à le programmer dans la région, quand autrefois Ostermeier venait au TNP ou aux Célestins. D’abord parce qu’entre la musique live merveilleusement chantée et des extraits de Sufjan Stevens, Ostermeier est on ne peut plus fidèle à cette mélancolie revenue du désir propre à l’auteur russe. Même les femmes dépressives sont belles et on a envie de les prendre dans nos bras. Avec une peintre en live dessinant les paysages abstraits de la campagne, Ostermeier insuffle à la moindre scène de loto un souffle arraché à la vie. Toute la « comédie » de Tchekhov est là, dans cette absence de hiérarchie entre le drame amoureux et les petites choses de la vie avec lesquelles chaque personnage se débat. Mais surtout, Ostermeier se permet un prologue improvisé hilarant dans lequel il rejoue la querelle des Classiques et des Modernes. Comment monter Tchekhov pour un public d’aujourd’hui ? La sublime Valérie Dréville commence par lire un extrait de Plateforme de Michel Houellebecq sur l’impuissance de l’homme occidental. Une belle introduction qui résonne on ne peut mieux avec le propos de Tchekhov. Juste avant que le jeune et beau Matthieu Sampeur ne se lance dans un monologue hilarant sur ce qu’est devenu le théâtre aujourd’hui. Soit un art moderne aseptisé toujours dans les mêmes clichés esthétiques : un « cube
blanc avec néons et micros intégrés » , ou comment Ostermeier s’amuse de lui- même en pleine autodérision. Soit un « théâtre classique que plus personne ne veut voir » , qui remplit sa salle d’un « public scolaire
puni et contraint » de se farcir des spectacles datés ( qu’un public payant a déserté depuis longtemps). C’est évidemment un rien exagéré et chargé de la mauvaise foi pamphlétaire du metteur en scène allemand. Mais qui peut dire sincèrement que c’est faux ? Quand on va au théâtre, on se retrouve à faire un retour vers le futur au lycée, entouré de classes bien plus nombreuses qu’un public adulte et volontaire. Il ne faudrait pas que ça devienne une habitude. Heureusement, il reste encore Villefranche ou Valence pour secouer le cocotier.