Point de vue de Béatrice Kammerer, fondatrice des vendredis Intellos
Qui a dit que la parentalité était une aff aire personnelle ? Entre les conseils des pro- et des anti-, des expérimentés et des curieux, l’éducation d’un enfant devient vite propriété de tous. Pour lutter contre cela, une science de la parentalité doit ém
« Comment oserions- nous prétendre qu’il n’est pas possible de vulgariser, d’une manière scientifi que et non injonctive, les savoirs en éducation et parentalité ? »
Il est une chose qu’aucun parent n’ignore : avoir un enfant est un choix personnel… dont absolument tout le monde se mêle ! Il suffi t bien souvent d’un pipi victorieux sur un bâtonnet rose pour que les conseilleurs zélés accourent de tous bords : il y a la famille qui commente votre âge, la stabilité de votre couple et de votre emploi ; il y a les amis- déjà- parents qui vous demandent si vous comptez allaiter au sein, demander une péridurale ou l’inscrire dans une crèche Montessori ; les amis- non- parents qui érigent d’un ton sentencieux le mausolée de votre jeunesse insouciante ; il y a votre employeur, qui s’inquiète de savoir si vous serez toujours aussi disponible, énergique, et effi cace une fois devenu parent ; il y a les médecins, et leur liste fabuleuse de consignes alimentaires, examens et normes propres à scruter chacune de vos cellules ; sans oublier les badauds qui veulent tripoter le ventre rebondi, les magazines spécialisés et leurs très longues listes d’injonctions éducatives et autres conseils pour faire « le plus beau » des bébés.
Dès lors, devenir parent a- t- il encore quoi que ce soit de « naturel » ,
d’instinctif ( ou juste seulement de spontané) ou bien est- ce seulement un art diffi cile, une science capricieuse, qui nécessiterait formation et informations ? Pour les parents d’aujourd’hui, l’injonction paradoxale est omniprésente : tantôt on en appelle à leur sens pratique ( surtout si ce sont des hommes), à leurs hormones ( surtout si ce sont des femmes) avant de leur prodiguer, à grand renfort de manuels prêt- à- l’em- ploi, quelques tonnes de conseils péremptoires et normes éducatives étriquées. Comment s’y retrouver ? Qui croire ? Comment faire des choix qui ont du sens, pour une famille donnée, un parent donné, un enfant donné, à un moment donné ? Et comment réussir à envisager que d’autres familles en fassent de différents, sans que cela ne remette en cause la pertinence pour nous- mêmes de nos orientations ?
Car il faut bien admettre que les tensions individuelles autour de la parentalité
ont la fâcheuse tendance à prendre – à l’échelle collective – des allures de guerre de tranchées : il y a les pro- et les anti- écrans, les proet les anti- « laisser pleurer les bébés » , les pro- et les anti- punitions, les pro- et les anti- écoles alternatives, etc. Et si la véritable solution n’était plus de distribuer les bons et les mauvais points, de dire qui a raison et qui a tort, de fertiliser toujours davantage le terreau des querelles en sommant les parents de choisir leur camp, mais bien au contraire de lever le voile sur ces partis pris éducatifs ? D’où viennent- ils ? De quelle filiation idéologique sont- ils issus ? Quels groupes sociaux les portent ? Quelles disciplines universitaires les ont défendus ( ou combattus) ? Quels arguments les uns et les autres s’opposent- ils ? Qu’est- ce qui fait la popularité de ces débats sur la scène publique ?
Aujourd’hui, dans les rayonnages des librairies s’étalent des ouvrages bigarrés
entendant sensibiliser le quidam à la mécanique des trous noirs, aux dernières découvertes de génétique, ou aux subtilités de la climatologie : comment oserions- nous prétendre qu’il n’est pas possible de vulgariser de même, d’une manière scientifi que et non injonctive, les savoirs en éducation et parentalité ? Ne serait- ce d’ailleurs pas là le seul moyen de permettre aux parents ( et aux non- parents !) de se réapproprier le droit de débattre des questions d’éducation et d’apaiser enfi n ces éternels affrontements, ces dissensions éducatives qui nous empêchent de nous souvenir qu’il y a au moins mille et une façons d’aimer et d’accompagner un enfant afin qu’il devienne un adulte heureux et apte à prendre une place active dans la société.