Pour une politique des jeux responsable… et raisonnable
JEAN- PIERRE MARTIGNONI, SOCIOLOGUE À L’UNIVERSITÉ LYON 2
Depuis des années, les campagnes de prévention contre l’addiction se sont imposées dans le milieu des jeux d’argent en France. Une hypocrisie, pour Jean- Pierre Martignoni, sociologue lyonnais spécialiste de la question, qui défend une meilleure prise en compte politique des jeux.
Les jeux d’argent représentent un formidable impôt
démocratique, volontaire pour les joueurs, indolore pour les non- joueurs. Autre vertu des jeux de hasard, chacun a sa chance, quelle que soit son origine sociale ou sa richesse : Fortuna, la divinité latine de la chance, a les yeux bandés. Cet « impôt sur les imbéciles » , comme le nomment de manière ethnocentrée et avec mépris ses détracteurs, ne fait pas que des perdants. Il donne du bonheur aux gens. La FDJ a fait 235 millionnaires en 2016, sans oublier les milliers de gains intermédiaires qui améliorent l’ordinaire des Français. Historiquement, cet impôt citoyen est un phénomène universel dont la finalité humanitaire vise le développement du bien commun. Les loteries importées d’Italie par Casanova ont fait rentrer de l’argent dans les caisses publiques. La manne ludique a aidé les gueules cassées de la Grande Guerre. En 1933, la Loterie Nationale a permis de lutter contre les calamités agricoles. Dans une période où les Français subissent une fiscalité confiscatoire, chacun devrait se réjouir de cet impôt qui rapporte de l’argent à l’État, aux communes, soutient le sport, la culture… Mais actuellement cette pratique culturelle populaire est en permanence médical isée par les addictologues qui exploitent le business du jeu compulsi f. L’association « Jeu = drogue » est omniprésente, l’ « État croupier » a transformé la moralisation en « pathologisation » . Le gouvernement multiplie les mesures liberticides et fiscales contre l’économie des jeux mais également contre le tabac avec l’affreux « paquet neutre » . Ces mesures morbides salissent la profession des buralistes, boostent le marché clandestin des cigarettes, stigmatisent treize millions de fumeurs. Fait social et culturel très ancien, le jeu n’est pas une maladie. C’est un loisir, une passion qui a même parfois des effets thérapeutiques grâce à l’espoir qu’il suscite, aux sociabilités et socialités qu’il entraîne. Loteries, casinos, hippodromes font en outre partie du patrimoine ludique national. Les 44 700 points de vente de proximité ( 12 800 pour le PMU, 31 900 pour la FDJ) jouent un rôle social insoupçonné dans la vie de nos villes, quartiers et campagnes. L’hypocrisie actuelle apparaît donc contre- productive. Cette politique ambiguë gêne les opérateurs. Les casinotiers ont perdu 24 % de leur volume d’affaire en sept ans, le PMU recule. Seule la FDJ, forte de son monopole, en profite ( 14,3 milliards en 2016). Mais pour combien de temps ? L’opérateur historique a perdu 1,6 million de joueurs en six ans. Un récent rapport de la Cour des comptes propose d’augmenter encore les mesures liberticides sur le gambling en identifiant tous les joueurs ( plus de 40 millions de personnes) pour lutter contre le jeu excessif, le jeu des mineurs, les interdits de jeu ( 35 000 personnes seulement), le financement du terrorisme, le blanchiment d’argent…
Il faut désormais s’interroger pour savoir si l’État ne s’engage pas dans une néoprohibition aussi bien en matière de jeux que de tabac. Les producteurs de vins, d’alcool et de spiritueux ont su mieux lutter contre cette hygiénisation de la vie sociétale qui empoisonne les Français, tout en les culpabilisant. Le slogan « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé : à consommer avec modération » apparaît comme un slogan aimable, respectueux des libertés. Souhaitons que le futur Président de la République revienne à une politique responsable mais raisonnable, aussi bien en matière de jeux d’argent qu’en matière de tabac.
« Le jeu n’est pas une maladie. C’est un loisir, une passion qui a même parfois des effets thérapeutiques grâce à l’espoir qu’il suscite. »