La Tribune de Lyon

Catherine Dérioz se bat pour la photo à Lyon depuis 35 ans

Sur les pentes de la Croix- Rousse, le Réverbère est la plus ancienne galerie photo de France toujours en activité. Ce mois- ci s’achève l’exposition dédiée à son 35e anniversai­re. L’occasion de revenir sur cette aventure avec Catherine Dérioz, qui tient

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLINE SICARD

Pour les 35 ans du Réverbère, vous avez organisé une exposition anniversai­re un peu particuliè­re…

CATHERINE DÉRIOZ : Le photograph­e Denis Roche est décédé alors qu’on préparait notre exposition anniversai­re. C’était non seulement un ami mais aussi un père spirituel, il travaillai­t avec nous depuis 28 ans. C’était donc impensable de ne pas lui rendre hommage. La première partie de l’exposition est partie d’un concept qu’il avait inventé, « la photolalie » , qui est « la conver

sation tue entre deux images » . On a demandé aux photograph­es de la galerie de choisir une image de Denis à mettre en résonance avec une de leur photo. Pour le deuxième volet qui a lieu en ce moment, on a donné la parole à neuf artistes qu’on a, soit totalement découvert, comme Arièle Bozon, soit qu’on accompagne depuis longtemps comme Rip Hopkins.

Quelles ont été les exposition­s les plus marquantes de la galerie selon vous ?

Choisir entre nos artistes, ce serait comme choisir entre ses enfants ! Évidemment, il y a eu des moments forts, comme l’accord de Denis Roche pour exposer chez nous ou l’exposition de William Klein pour les 10 ans de la galerie. Mais en soi, chaque exposition représente une prise de risques. À chaque fois, je retrouve l’excitation et l’angoisse des débuts.

Quelle est la particular­ité du Réverbère ?

Quand on a débuté, le public connaissai­t seulement la photo de guerre ou de mode. Nous, on voulait défendre la photograph­ie comme une image artistique, montrer qu’elle pouvait être multiple. On n’est pas dans l’image choc ou facile mais réflexive. Dans notre première galerie rue Neuve, on était contraint par l’espace restreint, c’était dur de se renouveler. Depuis qu’on a emménagé rue Burdeau ( en 1989 ndlr), l’espace permet de faire de grandes exposition­s, personnell­es et collective­s, dans lesquelles on sent l’écriture de chacun.

Comment vous êtes vous imposés face aux galeries parisienne­s ?

On a inventé notre système de façon instinctiv­e. On était jeune, on n’était pas du milieu, bref, on avait peu d’atouts ! Mais comme nous l’a dit un jour William Klein, « on avait faim » . On a aussi voulu se différenci­er de l’attitude des galeries parisienne­s en travaillan­t l’accueil du public. Les gens s’attendent d’ailleurs rarement à tomber directemen­t sur moi à la galerie, avec mon bureau en plein milieu. Moi qui avais peur de pousser la porte de ce genre d’endroit, je voulais que le public n’ait pas cette appréhensi­on. Qu’il ne vienne pas pour voir la galeriste mais les photos. On a volontaire­ment gardé le nom de la librairie qui précédait la galerie pour montrer que c’était une aventure collective avec des artistes.

Pas trop difficile de vivre rue Burdeau, « LA » rue des galeries à Lyon ? Il se dit souvent que c’est un vrai panier de crabes…

Quand on a créé ce lieu en 1989, on était alors la première galerie de la rue. À l’époque, le quartier était mal réputé, tous les rez- de- chaussée étaient fermés, il y avait des dealers, on se faisait taguer… Puis assez vite deux autres galeries se sont installées, on a été trois pendant longtemps. Il y a dix ans, la rue a connu un renouveau avec l’installati­on de nouvelles galeries. Aujourd’hui, on est une petite dizaine. Bien sûr, il y a eu des périodes difficiles liées à des problèmes d’ego et de concurrenc­e.

Je ne sais pas si ça vient de nous mais en France, ceux qui ont du succès se font taper dessus. D’un côté, ces galeries avaient besoin de nous parce qu’on était un peu la locomotive et en même temps, elles avaient envie de prendre le pas sur nous. Maintenant on s’entend bien, tout le monde a compris que c’était dans notre intérêt de se regrouper. On organise même des vernissage­s communs. Comment tient- on financière­ment pendant 35 ans quand on est une galerie privée ? On se le demande soi- même ! Dans l’imaginaire des gens, galerie rime avec argent et champagne alors que dans la réalité, je ne me paye même pas au SMIC. On vit essentiell­ement grâce aux collection­neurs. Ils nous ont fait confiance dès le début alors qu’il y a 30 ans, la photograph­ie n’était pas considérée comme un art. Vous ne demandez pas de subvention­s publiques ? Non, nous avons choisi d’être une galerie, donc d’être indépendan­t, de choisir nos artistes, de prendre le temps de les accompagne­r. On s’autofinanc­e, c’est dur mais c’est la liberté. Par contre, on demande à la Ville de nous aider ponctuelle­ment à faire notre travail, par exemple quand on participe à la fois à la Fiac et à Paris photo. On lui demande aussi de donner plus d’aides aux institutio­ns pour qu’elles puissent acheter des photos afin de former un fonds. Ce n’est pas pour nous mais pour la photograph­ie et l’image de Lyon. Mais nos politiques ont du mal avec ça. Trouvez- vous que la photo est un art bien représenté à Lyon ? On est pauvre en inst itutions. Mis à par t la Bibliothèq­ue municipale qui doit faire deux exposition­s photo par an, la Ville ne fait pas grand- chose pour cet art. Il y a 10 ans, le photograph­e Marc Riboud, qui était lyonnais d’origine, a souhaité faire une donation de ses oeuvres à la Ville en échange d’un lieu permanent dédié à la photo mais le projet n’a pas abouti. Là, on était vraiment en colère parce que nous, on ne va pas durer, une galerie, c’est difficile à transmettr­e. La Ville trouve qu’on fait du bon travail, qu’on met Lyon en valeur. Mais il faut un lieu pour pérenniser notre action, ça fait 10 ans qu’on bassine la Ville avec ça. Heureuseme­nt à Lyon, il y a un vrai tissu associatif et des petites structures qui font pas mal de choses avec leurs moyens. Et puis il y a des laboratoir­es photo, des magasins qui vendent du matériel profession­nel, des encadreurs, des écoles… on a la chaîne complète pour se cultiver en photo et la pratiquer. Comment donner plus d’écho à ces actions ? Depuis trois ans, j’édite bénévoleme­nt le carnet

Photograph­ie( s) Lyon & Co qui regroupe tous les trois mois les événements qui ont lieu autour de la photograph­ie. C’est une façon de montrer à la Ville qu’on peut se débrouille­r sans elle en mutualisan­t tous les acteurs de la culture, qu’ils soient publics ou privés. Je crois vraiment que l’union fait la force et aujourd’hui, grâce à cette idée, l’ambiance est plus chaleureus­e entre les différents acteurs, cela a contribué à casser les jalousies.

« Dans l’imaginaire des gens, galerie rime avec argent et champagne alors que dans la réalité, je ne me paye même pas au SMIC. »

Thierry Frémaux a le projet de créer un centre de la photograph­ie à l’Institut Lumière, qu’en pensez- vous ? J’aimerais qu’on fasse des choses avec Thierry pour penser ensemble la pérennité de la photo. C’est un art que le public trouve plus accessible, il faut en profiter. Mais pour l’instant, je n’en sais pas plus sur ce projet. On n’arrive pas à trouver le temps de se poser ensemble autour d’une table pour en parler. Vous allez être associés à la prochaine exposition du musée des Beaux- Arts, c’est une première pour vous… C’est un magnifique cadeau pour nos 35 ans. Le musée des Beaux- Arts a demandé à mon mari, Jacques, d’être commissair­e pour la section photo de sa prochaine exposition, en décembre, autour de l’art mexicain moderne, Los Modernos. C’est la première fois que le musée va exposer des photos. La directrice du musée, Sylvie Ramond, nous a également demandé d’être partenaire et d’organiser en parallèle une exposition dans notre galerie. C’est merveilleu­x que le musée ait spontanéme­nt pensé à nous. C’est une victoire pour la photograph­ie à Lyon.

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