La Tribune de Lyon

« On attend trop de ceux qui nous gouvernent »

Elle dirige une petite associatio­n lyonnaise qui fait un travail colossal pour l’accès à la culture des gens en difficulté sociale : Culture pour tous. Pourtant, Audrey Pascaud a un discours tout sauf convenu quant à l’accès à la culture et aux aides soci

- PROPOS RECUEILLIS PAR LUC HERNANDEZ

Culture pour tous permet d’inviter aux spectacles des gens en situation de difficulté sociale ou financière. C’est une façon de pallier un manque réel de diversité dans les structures culturelle­s ?

AUDREY PASCAUD : « Non, nous ne faisons de leçon à personne. C’est surtout que ce n’est pas facile. Si c’était simple, tout le monde l’aurait fait depuis longtemps. 80 % de la population ne va ni au cinéma ni aux concerts. On demande souvent aux institutio­ns de résoudre un problème avec des moyens qu’elles n’ont pas. Qu’est- ce qui fait que c’est difficile ? C’est massif. Il faut des moyens pour que ça commence tôt aussi. Ce n’est pas la même chose d’emmener au théâtre un enfant ou un adulte qui n’en a pas l’habitude. Vous ne vous adressez qu’aux adultes ? Non, on s’adresse vraiment à tout le monde, tous les âges, mais uniquement aux gens qui ont des difficulté­s sociales et économique­s. Comment les repérez- vous ? Ce sont d’autres associatio­ns qui font ce travail. On intervient auprès des médiateurs pour que la culture ait une place dans leurs dispositif­s. On demande surtout à nos partenaire­s culturels de faire une offre qui est représenta­tive de ce qu’ils font, et pas juste de nous donner ce qui marche moins bien. On n’est pas là pour distribuer des invendus aux pauvres. C’est très important, ce n’est pas du tout un geste misérabili­ste. De la même façon, on ne trie pas entre des spectacles soi- disant plus faciles que d’autres. Le public auquel on s’adresse, ce sont des gens comme tout le monde, des Français moyens. On leur offre tout, ils choisissen­t comme bon leur semble. Toutes les structures culturelle­s jouent le jeu ? À Lyon, il n’y a pas une structure culturelle qui est récalcitra­nte à l’idée de faire mieux connaître sa programmat­ion auprès de gens qui n’ont pas l’habitude de venir. Ça n’existe pas. Elles ont toujours deux missions : promouvoir et diffuser la création artistique, et accueillir tous les publics. C’est donc naturel. Le cinéma est sans doute le lieu où le public est le plus mélangé… Ça dépend où. Les cinémas et les bibliothèq­ues sont effectivem­ent des lieux où naturellem­ent les population­s sont plus mélangées qu’ailleurs, et encore, c’est vite dit… À l’opéra de Lyon par exemple, il y a une population très mélangée… Pourtant le directeur de l’opéra de Lyon est attaqué sur son niveau de vie et ses notes de frais… On lui reproche beaucoup de choses, on pourrait aussi de temps en temps mettre en avant ce qu’il fait. Il est venu à un de nos ateliers pendant trois heures et nous a totalement bluffés. C’est peut- être un grand communican­t, mais c’est aussi quelqu’un qui agit. L’évolution du public à l’opéra de Lyon est énorme. Chez nous, l’opéra, ça cartonne ! On est au fin fond d’un centre social à Vaulx- en- Velin, et pourtant, la première chose que nous disent souvent les gens, c’est qu’ils ne sont jamais allés à l’opéra.

Qu’est- ce qui fait que quelqu’un s’autorise à sortir dans un lieu où il n’allait pas ? C’est vraiment un vocabulair­e de gens cultivés comme nous ! C’est nous qui voyons beaucoup les choses comme ça : on parle de “publics empêchés”, qui s’autorisent ou pas. Ça ne se passe pas comme ça ! Une personne découvre un lieu ou pas, a l’habitude d’y aller ou pas, et si on lui permet de prendre le risque d’y aller sans se casser la fi gure, elle peut choisir d’y aller. Le principal frein à la sortie culturelle pour nous, ce ne sont pas les gens, ce sont tous les intermédia­ires, avec souvent leur part d’idéologie. Vous travaillez aussi avec les lieux privés comme les cafés- théâtres ? Oui, on travaille vraiment avec tout le monde, des tourneurs de concerts, des cafés- théâtres ou des cinémas. Il n’y a qu’une chaîne de cinéma qui nous a répondu qu’elle n’était pas là pour faire du social, en nous expliquant que les pauvres achetaient quand même des places chez elle… Vous avez aussi une off re sportive. Est- elle aussi développée ? Elle ne peut pas être aussi importante par défi nition : vous voulez qu’on demande aux joueurs de l’OL de jouer tous les soirs à Lyon ? ( rires) L’offre n’a rien à voir. Mais c’est important pour toucher d’autres personnes. Plus il y a de choses différente­s et plus ça marche. On a des places pour le foot, le rugby, le hockey, le handball, le volley ou le basket. On considère que ça fait partie de la culture. Avez- vous un retour des spectateur­s ? Oui, on a créé un site internet pour ça, Les Écrieures. On fait aussi des ateliers d’écriture critique, animés par un auteur lyonnais, Mohammed Al Arouri. Il arrive à faire écrire tout le monde, c’est assez incroyable. Ça permet aussi de donner un retour aux structures sur la façon dont est perçue ce qu’elles font. Il s’agit de sortir de simples “j’aime, j’aime pas” et du « like » qui n’a aucun sens et de s’exprimer avec des outils d’analyse. On s’est beaucoup inspiré de ce qu’écrivait Roland Barthes sur la critique cannibalis­ée par les profession­nels. On incite à devenir critique amateur. Ça permet aussi de connaître les bonnes raisons pour lesquelles les gens ne sortent pas voir un spectacle. Lesquelles reviennent le plus souvent ? Pas d’infos, tout simplement. Notre boulot, c’est avant tout de faire connaître et de présenter tous les événements exactement de la même manière. Au fi nal, on a un agenda culturel hyper- exhaustif mais il n’y a aucune éditoriali­sation. Les gens choisissen­t en fonction de leur lieu de résidence et de leurs centres d’intérêt. De quel droit pourrait- on penser que ça manque à quelqu’un d’aller au cinéma ou à l’opéra ? C’est à la personne de savoir si ça a du sens pour elle. On leur propose, ils ne risquent rien. On dédramatis­e, on désacralis­e, mais sans banaliser. On est tous pareils : on aime que ce qu’on connaît. Plus on connaît de choses, plus on aime de choses. Mais se laisser prendre par la manche pour aller voir quelque chose qu’on ne connaît pas, ce n’est pas donné à tout le monde. Comment êtes- vous fi nancés ? Essentiell­ement par les subvention­s, de l’État, la Région, la Métropole et les villes, avec une antenne à Oullins. Vous n’êtes pas touchés par les baisses de subvention­s ? Non, si ça baisse, on arrête ! On a 140 000 euros pour tout faire, on est deux salariés et demi. On est une associatio­n lyonnaise microscopi­que. Mais on n’a pas vocation à être connu du grand public. Par contre, on a commencé à développer une nouvelle activité en entreprise et non plus dans le milieu social. Il vous faudra plus de fi nancements alors ? Non, pas forcément. On arrive à faire beaucoup de choses par nous- mêmes. On est une société surorganis­ée sur le plan social. La solidarité, je n’ai rien contre. Mais on est suréquipé. Et je pense qu’à la fin, cela a quand même des répercussi­ons sur notre capacité à prendre des initiative­s tous les jours. C’est ce qui m’effraie aujourd’hui : on attend tout de la collectivi­té, des institutio­ns qui nous gouvernent. Et nous, on fait quoi au quotidien ? Je trouve qu’il y a souvent un discours très négatif sur ce qui se passe en ce moment, qui conduit à réclamer en permanence. Ce que je vois surtout chez les gens qu’on aide, c’est leur capacité à survivre à tout ça, à se lever tous les matins. On voit vraiment la richesse du monde en côtoyant des gens en diffi culté. C’est un bonheur. On n’a vraiment pas le droit de déprimer. » .

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