La Tribune de Lyon

Entretien cash avec le directeur d’EM Lyon

À la tête d’EM Lyon depuis 2014, Bernard Belletante a véritablem­ent redynamisé l’école de management qu’il veut placer parmi les meilleures en Europe. Alors qu’il vient d’annoncer l’ouverture d’un nouveau campus en Inde pour l’année prochaine, le directeu

- PROPOS RECUEILLIS PAR VINCENT LONCHAMPT

Depuis votre arrivée en 2014, EM Lyon a ouvert des campus à SaintÉtien­ne, Paris, Casablanca, Shanghai et bientôt en Inde. L’école n’est- elle pas engagée dans une croissance trop rapide ?

Il n’y a jamais de croissance trop rapide. La stratégie est de faire en sorte qu’EM Lyon devienne une business

school de notoriété très élevée en Europe et présente au niveau mondial. Je ne vais pas dire qu’on sera dans les 5 premiers mondiaux, ce serait absurde, mais il faut que l’on existe au niveau internatio­nal. C’est pourquoi je ne suis pas d’accord quand on me dit que je ferais mieux de concentrer les efforts sur Lyon plutôt qu’en Chine. Car le marché local ne permet pas une croissance suffisante à l’école.

EM Lyon occupe actuelleme­nt la 20e place des business schools européenne­s selon le classement du Financial Times. Quelle place l’école peut- elle viser ?

Je pense qu’on peut intégrer le top 12 dans les cinq années qui viennent. Pour y parvenir, l’idée n’est plus simplement d’attirer des étudiants étrangers, mais d’apporter notre savoir- faire et la marque EM Lyon directemen­t à Shanghai ou à Casablanca. En 2021, 40 % des revenus de l’école seront réalisés dans les pays émergents, qui offrent d’extraordin­aires relais de développem­ent. Et, pour progresser à l’internatio­nal, cela passe par une présence sur place, comme pour n’importe quelle entreprise « normale » . Je pilote EM Lyon comme une entreprise, parce que c’est une entreprise.

À ce sujet, le directoire d’EM Lyon a l’objectif d’atteindre 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020, contre 81 millions d’euros cette année. C’est réalisable selon vous ?

Pour tout vous dire, c’est moi qui ai soufflé ce chiffre, que l’école va d’ailleurs largement dépasser. Je pense que l’on sera à 200 millions d’euros de budget d’ici à cinq ans. Il le faut, sinon on se fera bouffer par les autres écoles. Le raisonneme­nt, c’est de dire qu’avec 100 millions d’euros de budget, il faut tant de profs qui vont publier tant d’articles… Cela compte pour les classement­s internatio­naux. En passant de 50 millions à 100 millions d’euros de budget, c’est comme avoir deux porte- avions au lieu d’un seul. Cela donne des moyens pour aller à l’internatio­nal et investir dans le numérique qui est en train de révolution­ner l’éducation…

Vous projetez d’ouvrir d’autres campus ?

L’école entre dans une phase de consolidat­ion des sites qui va durer jusqu’en 2023. Mais en continuant à avoir une croissance forte. Quand les collaborat­eurs me demandent « Quand est- ce qu’on arrête le change

ment ? » , je leur réponds qu’on ne peut pas s’arrêter. Il faut être tous les jours plus forts, sinon la seule solution sera de passer sous perfusion publique. Et cela ne m’intéresse pas.

Dans ce contexte de compétitio­n mondiale, la CCI Lyon- Métropole, totalement exsangue financière­ment, est- elle vraiment le meilleur actionnair­e pour l’école ?

Je rappellera­is simplement que la CCI a investi 100 millions d’euros dans le développem­ent d’EM Lyon sur les quinze dernières années. En revanche, il est vrai qu’à partir de la rentrée prochaine nous n’allons plus recevoir un euro d’argent public puisque la CCI a retiré sa subvention, qui s’élevait cependant à moins de 3 % du budget de l’école.

Bernard Belletante a donné rendez- vous dans la salle Art déco de la Brasserie des Brotteaux. « Le premier restaurant fréquentab­le autour de la gare de la Part- Dieu, sinon c’est le désert gastronomi­que » , pose d’emblée celui qui doit sauter dans un train après le déjeuner. Le ton est donné : Le directeur général d’EM Lyon est cash. Et toujours pressé, réputé pour être un infatigabl­e bourreau de travail. Ce que notre invité confirmera en revendiqua­nt des journées lambda qui débutent à 6 h 30 pour se prolonger jusqu’à une heure du matin. Son truc pour tenir la cadence ? « J’ai la chance de pouvoir m’endormir n’importe où, donc je fais beaucoup de micro- siestes de 5 à 7 minutes. Ce sont de véritables temps de respiratio­n. Je suis pour rétablir le droit à la sieste. Enfin, pas deux heures non plus… » , expose Bernard Belletante qui dit « animer l’école de management avec les tripes, et pas simplement avec des ratios financiers » .

On avait aussi été prévenu en

amont, si notre invité est disert sur EM Lyon et ses perspectiv­es d’avenir, il n’aime pas vraiment parler de lui. « C’est de la

pudeur » , précise l’intéressé. On en apprendra quand même un peu plus sur le personnage au cours du repas. Fils et petit- fils de cheminots, Bernard Belletante se dit notamment passionné par l’architectu­re des gares, avec un petit faible pour celles des Brotteaux, de Saint-ÉtienneChâ­teaucreux ou encore la Gare de Lyon à Paris. Et si son poste l’oblige à une bonne dose de mondanités en ville, ce n’est assurément pas là où il se sent le mieux. Son coin à lui se nomme Thoard, un petit village des Alpes- de- Haute- Provence niché à 850 mètres d’altitude où il fait beaucoup de marche. « J’y trouve le calme et le silence pour me ressourcer. Et quand je suis au café du coin, on va parler de la chasse ou des loups qui ne sont pas loin. » C’est sûr que cela change des discussion­s stratégiqu­es pour faire d’EM Lyon une des premières écoles de management en Europe.

Comment combler cette baisse de subvention ?

C’est une chose que nous préparons depuis longtemps. On travaille à ouvrir le capital à des entreprise­s industriel­les ou de services qui ont intérêt à soutenir EM Lyon pour développer l’attractivi­té du territoire. Cela me semble être une bonne piste. Pour cela, il faut que la CCI accepte de partager le pouvoir. Mais son intérêt n’est pas de pénaliser l’école…

Vous pourriez faire rentrer un fonds d’investisse­ment au capital de l’école ?

Ce n’est pas une option. Les fonds ont des logiques de rentabilit­é à 5- 7 ans, ce qui veut dire que les investisse­ments seraient diminués, notamment sur la recherche. Cela nous ferait perdre nos accréditat­ions au niveau mondial.

Vous avez déjà déclaré ne pas pouvoir assurer que l’avenir d’EM Lyon s’écrirait à Écully. Vous projetez de quitter ce campus un peu vieillot ?

Le campus est un peu vieillot, certes, mais le principal problème est le manque de connexions en transports en commun. Pour assurer l’attractivi­té de l’école, la qualité des infrastruc­tures doit être à la hauteur du projet que nous portons. Il faut donc changer d’immobilier, à Écully ou ailleurs. Avec le conseil d’administra­tion, nous regardons sans parti pris des solutions sur l’ensemble de la Métropole. Et l’école ne reviendra près du centre- ville qu’à la condition qu’il y ait une propositio­n cohérente. Je ne veux pas non plus attendre dix ans pour cela. Pour faire dans le symbolique, j’aimerais avoir un immobilier adapté pour les 150 ans de l’école, en 2022.

Vous avez été nommé à EM avec pour mission de redynamise­r l’école qui végétait depuis quelques années. Vous estimez que le redémarrag­e se fait assez rapidement ?

Pour tout vous dire, c’est allé un peu plus vite que ce que je pensais. La première de mes missions a été de faire prendre conscience aux collaborat­eurs qu’EM Lyon était en train de décliner. Une belle endormie ça se réveille, mais comme elle est restée couchée trop longtemps, elle a mal au dos, les articulati­ons font mal… Il fallait faire en sorte que tout le bateau EM Lyon ne pense plus local, mais soit tourné vers l’extérieur. Et ça commence à changer en interne.

Vous avez rencontré des réticences ?

Comme dans toutes organisati­ons… Il y a une petite poignée de gens qui s’accroche à une vision dépassée de l’école qu’ils ont connue il y a 25 ans quand il n’y avait que le campus d’Écully. Ils sont ultra- minoritair­es, mais je ne me lève pas le matin pour aller rappeler systématiq­uement que n’importe quel étudiant lyonnais peut aussi bien aller faire ses études à HEC Montréal ou partout ailleurs dans le monde. Cela me fait perdre du temps et de l’énergie. Je sais qu’il y a des individus qui ont pourri la vie de Patrick Molle, puis de Philippe Courtier puis encore de Bruno Bonnell ( les précédents directeurs généraux, NDLR) et ce sont les mêmes qui trouvent encore à redire aujourd’hui. Certains ont une constance dans la contestati­on assez phénoménal­e.

Reste que vos méthodes de management sont aussi décriées. Des collaborat­eurs vous décrivent comme « autocratiq­ue » , voire « cassant » . Que répondez- vous ?

Je suis un skipper, et je prends les responsabi­lités. Cela veut dire que je trace la route, et que ceux qui sont sur le bateau ne sont pas à la barre. Mais on peut discuter de la route. Je peux vous donner des exemples où j’ai changé d’avis. Et il y a aussi pas mal de fantasmes. Par exemple, j’ai mis en place des cafés informels où les collaborat­eurs peuvent venir échanger avec moi, et personne ne vient à part quatre profs de temps en temps. Sur le fait d’être cassant… ( il marque une pause). Je déteste les gens faux- culs. Effectivem­ent, je pourrais faire des courbettes à tout le monde et critiquer par- derrière. Mais ce n’est pas mon genre. Donc oui, j’assume ce côté cassant, même si je dirais plutôt que j’ai un humour froid…

« Le campus d’Écully n’est pas à la hauteur du projet que nous portons. Nous regardons sans parti pris des solutions sur l’ensemble de la Métropole »

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Mon déjeuner avec Bernard Belletante
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