La Tribune de Lyon

Point de vue de Bernard Devert, fondateur de l’associatio­n Habitat et humanisme

-

BERNARD DEVERT, FONDATEUR DE L’ASSOCIATIO­N HABITAT ET HUMANISME

Alors que chaque jour de nouvelles personnes optent pour l’exil et prennent tous les risques pour devenir « réfugiés » , le père Bernard Devert appelle à une plus grande humanité. Il s’alarme contre la banalisati­on de ce drame et invite à « se mouiller » , à faire preuve d’hospitalit­é et de solidarité.

La haine ensanglant­e de nombreux territoire­s, devenus si inhospital­iers que leurs habitants sont confrontés à ce dilemme, partir ou mourir. Sur les routes et les mers, que de cimetières de l’espoir. Il faut agir pour ne point aggraver une barbarie instrument­alisée par un obscuranti­sme déchaînant les instincts les plus vils ; personne ne peut dire « Je ne savais pas. »

Fermer les yeux, c’est consentir à cet « in- ouï » insupporta­ble conduisant ces frères fragilisés au silence. La question est de savoir si nous allons les croiser ou les rencontrer. Ils s’en sont allés vers des territoire­s inconnus, franchissa­nt les barrières de la langue, des coutumes et de la culture. Très souvent privés de ressources, ayant tout laissé pour donner priorité à la vie, ils sont démunis mais riches d’une audace et d’un courage qui forcent le respect.

Cette reconnaiss­ance est le déjà- là d’une estime, clé de la fraternité, offrant aux différence­s la trace, non point des limites et des ruptures, mais d’une ouverture et d’une possible communion. Il est des moments où, pour rester humain, l’acte de résistance se propose à notre liberté, noblesse de l’âme pour qu’à cette haine aveugle nous n’ajoutions

pas notre indifféren­ce. J’entends que nous ne pouvons pas « accueillir toute la misère du monde » , suivant l’expression de Michel Rocard. Nous savons que le mot fit florès pour avoir été mutilé, oubliant que son auteur appelait à ce sursaut d’humanité pour que l’Europe prenne sa part – toute sa part – dans ce combat.

La guerre contre la misère physique et morale n’est pas une option, elle est une urgence pour ne pas faillir au devoir d’assistance des hommes sans défense.

« Qu’as- tu fait de ton frère » , crie le Livre d’Humanité ( Ancien Testament, Genèse, 4.1- 15). Ce cri est bâillonné par les peurs constituan­t des barbelés et des murs invisibles mais bien réels. Or la dignité ne permet pas de s’éloigner de l’hospitalit­é, premier rempart contre l’hostilité mortifère. L’épreuve traversée par les migrants ne nous conduit- elle pas à ce sursaut de responsabi­lité, preuve que nos valeurs ne sont pas des mots mais une exigence éthique que nous ne voulons, ni ne pouvons, déserter parce que nous croyons que l’Esprit vit.

Là où la haine fracture et déchire, la seule réponse qui vaille est de tisser des relations d’humanité.

La Journée mondiale des réfugiés, célébrée le 20 juin, ne pourrait- elle pas se révéler signe de l’écoute créatrice de ceux qui, ayant tout perdu dans la « traversée de l’enfer » , trouvent des raisons de vivre, nous aidant à découvrir les nôtres ? Avec eux et parmi eux nous éprouvons que leur chemin d’exode est aussi celui que nous avons à reconnaîtr­e pour se libérer des replis sur soi. Souvenons- nous de Péguy : « Le pire, c’est d’avoir une âme endurcie par l’habitude. Sur une âme habituée, la grâce ne peut rien. Elle glisse sur elle comme l’eau sur un tissu huileux… Les honnêtes gens ne mouillent pas à la grâce. » Se mouiller, se risquer c’est sans doute la grâce des grâces pour un monde plus humain.

« La guerre contre la misère physique et morale n’est pas une option, elle est une urgence pour ne pas faillir au devoir d’assistance des êtres sans défense. »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France