EMMANUELLE LAFOUX, DIRECTRICE DE LA CPAM DU RHÔNE : « IL FAUT AVOIR À L’ESPRIT QUE LA VACCINATION EST UN GESTE ALTRUISTE »
D’ici à la fin de l’année, le gouvernement devrait décider de rendre obligatoires onze vaccins au lieu de trois jusqu’à présent. La défiance de la population – 41 % des Français sont méfiants à l’égard des vaccins selon une étude commanditée par l’OMS – a
Le passage de trois à 11 vaccins obligatoires sera vraisemblablement déployé à partir de début 2018. Comment cette mesure a- t- elle été décidée ?
J’entends dire partout que l’adoption de cette mesure est brutale et se fait sans concertation. Pourtant le projet était déjà sur le bureau de la précédente ministre, Marisol Touraine, qui avait organisé une concertation citoyenne l’année dernière, réunissant citoyens et professionnels.
Est- ce que les risques sanitaires sont tels qu’il faille prendre une telle mesure ?
Il y a deux éléments à prendre en compte. Les trois vaccinations obligatoires ( la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite) sont très bien appliquées en France, avec des taux de vaccination de l’ordre de 97 %. En revanche, pour les vaccins qui sont seulement recommandés, nous sommes en « sous- vaccination » et cela pose de réels risques sanitaires. Nous estimons que, pour qu’une population soit vaccinée correctement, il faut être à 95 %, ce taux garantit une couverture suffisante pour stopper la propagation d’une épidémie. Dans le contexte de migrations internationales actuelles, avec des populations qui se déplacent beaucoup plus qu’avant, les menaces bactériologiques sont accrues. Nous observons des risques sanitaires importants. Comme, par exemple, en 2010- 2011 avec une épidémie de rougeole. Il faut bien se rendre compte que chaque maladie – rougeole, hépatite B, méningite, etc. – peut entraîner des décès et des complications graves laissant des séquelles irrémédiables. Par conséquent, pourquoi faudrait- il attendre pour agir en sachant que le risque est présent ?
Au lieu de rendre la vaccination obligatoire ne vaudrait- il pas mieux que la population soit informée des risques sanitaires, que la rougeole peut être mortelle pour un enfant en bas âge, par exemple ?
Je ne suis pas sûre que la population soit correctement informée. La prise de conscience collective est difficile car ces maladies ne sont plus immédiatement visibles dans l’environnement. Compte tenu du faible taux de cas, les gens ne connaissent pas d’enfants touchés dans leur entourage immédiat. Ce qui est compliqué, c’est de percevoir l’enjeu sur des maladies dont les conséquences ne sont plus visibles aujourd’hui. Les grandes pathologies, comme la tuberculose, par exemple, ont marqué les esprits par leur ampleur. Aujourd’hui les familles n’ont heureusement plus à vivre ça, mais il faut avoir à l’esprit que la vaccination est le seul moyen de se protéger contre certaines maladies infectieuses.
La crise de la grippe aviaire, la vaccination de masse contre le virus H1N1 n’a- t- elle pas contribué à rendre la vaccination impopulaire ?
Le nombre de vaccinations a été important mais comme il n’y a pas eu de pandémie, la population a pensé qu’il s’agissait d’une mesure inutile. Pourtant, de l’avis de nombreux épidémiologistes, il y avait un risque d’épidémie de grippe grave. Au moment de H1N1, l’OMS a pensé qu’elle allait avoir lieu. Et puis le pire ne s’est pas réalisé. Cet épisode a été délétère pour la vaccination. Les polémiques ont créé beaucoup de tensions et un buzz très négatif. C’est cela
qui contribue à faire qu’aujourd’hui la France est le pays dans lequel la vaccination inspire le moins de confiance de tous les pays développés.
Comment expliquer la coexistence de vaccins recommandés et obligatoires ?
La vaccination était obligatoire du temps des grands fléaux sanitaires quand les populations étaient massivement touchées. Et puis dans les années 1970, toutes les nouvelles vaccinations ont été introduites par la recommandation. Mais le fait qu’elles soient recommandées ne veut pas dire qu’elles soient moins importantes. L’un des problèmes, spécifiquement français, est cette coexistence de l’obligatoire et du recommandé. Le message est flou. Le choix annoncé pour début 2018 est d’aller vers une homogénéisation pour gagner en clarté.
Comment rend- on un vaccin obligatoire ?
À l’heure actuelle les modalités ne sont pas définies. Pour le rendre obligatoire, il y a la loi, et pour évaluer si la vaccination est bien réalisée, il y a l’école, la collectivité commune à tous les enfants. Cependant, chaque famille doit être correctement informée. Avant, les enfants mourraient des maladies infectieuses et cette mortalité infantile n’a diminué qu’à partir du moment où on les a vaccinés. Au- delà de rendre un vaccin obligatoire, il y a un effort de pédagogie à faire. La CPAM du Rhône est très engagée dans la pédagogie vaccinale. Nous envoyons des courriers de rappels, en particulier pour Rougeole- Oreillons- Rubéole, et cela fonctionne. Avec ces courriers nous augmentons de 20 %, dans le Rhône, la proportion de vaccination.
« Toutes ces polémiques autour de la vaccination ne sont pas documentées sur le plan scientifique. »
Quel message voudriez- vous faire passer pour inciter les lecteurs à se faire vacciner ?
La vaccination est un sujet de conscience individuelle. C’est la rencontre de la décision personnelle et de la nécessité publique. Il faut avoir à l’esprit que la vaccination est un geste altruiste : on se vaccine pour se protéger mais aussi pour protéger les autres. Chaque personne vaccinée protège les bébés qui ne le sont pas encore ainsi que les personnes immunodéficientes. C’est un geste généreux qui pose une interrogation personnelle dans une dimension collective.
Comment expliquez- vous que certains vaccins soient largement sous- utilisés ?
Aujourd’hui, dans le Rhône, environ 75 % des enfants sont vaccinés pour l’ensemble des pathologies recommandées et obligatoires mais l’objectif des 95 % n’est atteint que sur la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite. Pour la rougeole et la rubéole, par exemple le taux n’est que de 78 % pour les enfants de 2 ans, 83 % pour l’hépatite B, 89 % pour la coqueluche et seulement 69 % pour le méningocoque. Nous faisons des rattrapages vaccinaux pour un grand nombre d’enfants chaque année. À chaque fois qu’un foyer d’infection est repéré, l’ensemble de l’entourage est vacciné. En parallèle, la CPAM du Rhône va pouvoir assurer des rattrapages vaccinaux, à partir de l’automne, dans les centres d’examens de santé ( CES), au nombre de quatre dans le département. La loi de modernisation de la Santé favorise la possibilité de vaccination pour des professionnels de santé dont ceux des CES, acteurs de la prévention.
Les détracteurs de la vaccination mettent en avant les risques sanitaires ? Que leur répondez- vous ?
Des informations erronées circulent sur les réseaux sociaux mais il faut avoir à l’esprit que quand nous vaccinons massivement une population, il y a des risques de concomitance de certaines complications. Ce sont des concomitances temporelles qui ne sont pas prouvées. Toutes ces polémiques ne sont pas documentées sur le plan scientifique. Vous avez des populations qui sont heureuses de faire vacciner leurs enfants. Elles ont conscience que les vaccins les protégeront. Pour nous, qui vivons dans un niveau de bien- être élevé, nous avons plus de mal à avoir une vision altruiste. L’enfant qui n’est pas vacciné n’a pas choisi. C’est cela qui légitime l’action publique.
La santé est- elle une équation économique ? Les laboratoires sont accusés de pousser à la vaccination obligatoire pour vendre leurs vaccins, qu’en pensez- vous ?
Cet argument ne tient pas car si vous attrapez une hépatite A ou B je peux vous dire que les labos vont vous vendre des traitements à vie. Je trouve préférable d’investir pour rembourser des vaccins que de payer des milliers de journées de réanimation pour des enfants qui ont attrapé la rougeole. C’est moins cher de vacciner que de soigner.