La Tribune de Lyon

« Nous voulons que les Lyonnais nous confient leurs logements »

Arrivé à la tête d’Habitat et Humanisme l’année dernière, Matthieu de Châlus veut insuffler une nouvelle dynamique à l’associatio­n spécialisé­e dans le logement pour les plus démunis. Son objectif : convaincre les Lyonnais de confier la gestion de leurs lo

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Pensez- vous que la précarité progresse en France ?

MATTHIEU DE CHÂLUS : Je constate un vrai délitement du corps social. D’un côté, on stigmatise l’assistanat qui est montré du doigt par certains. Et d’un autre, on voit que lorsque des acteurs privés arrivent à se mobiliser autour d’un objectif en partenaria­t avec l’État et les collectivi­tés, cela donne des résultats étonnants. À notre échelle, la solidarité des propriétai­res et des épargnants nous permet de faire progresser notre parc de 200 logements par an dans le Rhône. Le fait qu’un acteur privé comme nous y parvient, cela montre que nous avons des ressources assez fabuleuses dans ce pays. Le « tout État » , c’est fini : les subvention­s vont continuer de diminuer drastiquem­ent. Mais il est tout à fait possible de mobiliser les acteurs privés dans un mouvement de solidarité, nous en sommes la preuve vivante. Habitat et Humanisme Rhône fonctionne à 60 % par ses propres ressources, le complément étant assuré à 20 % par l’État et à 20 % par la Métropole de Lyon.

Qu’est- ce qui fait la spécificit­é d’Habitat et Humanisme ?

La première est autour de notre modèle économique. Nous cherchons à créer des solutions de logements pour les personnes les plus fragilisée­s en étant capable d’investir par nous- mêmes dans leur acquisitio­n. Et cela, nous ne pouvons le faire que si nous responsabi­lisons les personnes concernées, en exigeant notamment le paiement d’un loyer. Le deuxième point spécifique, c’est que l’on propose des logements dans des quartiers équilibrés. Nous ne sommes pas propriétai­res de grandes barres d’immeubles dans des quartiers difficiles. On préfère cent fois un logement au coeur de quartiers équilibrés à une barre de logements en périphérie.

Même pour les plus pauvres, il n’y a pas de logements gratuits ?

Non, aucun. Même dans les dispositif­s d’accueil d’urgence, on a un principe de responsabi­lité qui fait que l’on demande aux personnes concernées de nous reverser 10 % de leurs revenus déclarés. Dans un centre d’hébergemen­t d’urgence, nous estimons que les personnes en difficulté doivent nous reverser une part de leurs revenus sous forme de loyer. Nous sommes vigilants, car cet équilibre économique nous permet de tenir dans la durée, de maintenir notre parc et de le développer. On a vraiment ce souci d’accompagne­r les personnes vers leur autonomie, ce qui implique le paiement d’un loyer.

Comment faites- vous pour acquérir ces logements. D’où vient l’argent ?

Cet argent provient de personnes qui ont une épargne et une capacité à investir et qui décident de donner du sens à cette épargne. Nous sommes aujourd’hui le premier collecteur français d’épargne solidaire. Cette épargne- là est au service d’une seule mission : l’acquisitio­n de logements sociaux en France. Cela représente 40 millions d’euros par an, que l’on est capable de réinvestir dans tous les territoire­s où nous sommes présents. À l’échelle du Rhône, nous gérons 2 000 logements, dont 1 500 appartienn­ent à la foncière et 500 à des propriétai­res solidaires.

À Lyon, l’image d’Habitat et Humanisme se confond avec celle du père Devert, le « prêtre promoteur » . Avez- vous élargi votre palette d’actions au bénéfice des plus pauvres ?

En fait, nous avons toujours fait autre chose ! Pour toutes les personnes que nous prenons en charge, nous sommes avant tout des bâtisseurs de lien. En donnant accès à un logement aux personnes fragilisée­s, nous leur permettons de reprendre pied. Ensuite, vient le temps de la responsabi­lisation : nous voulons mettre ces personnes face à leur choix et leur projet d’accès à l’autonomie. Nous rentrons alors dans une vraie démarche d’insertion dans la vie sociale et profession­nelle. À une personne qui est logée chez H& H, nous voulons lui faire comprendre les codes du vivre ensemble et cela s’apprend.

Le Bistrot des amis où nous nous trouvons est justement une « escale solidaire » au coeur du quartier de La Guillotièr­e. De quoi s’agit- il ?

C’est un lieu ouvert à tous, on vient y partager un moment de conviviali­té et, comme on est en France, la conviviali­té passe par le repas. On propose un repas complet à deux euros. Cela permet de créer du lien ; tout le monde vient passer un bon moment et apprendre à se connaître. On veut que les habitants du quartier viennent ici pour passer une heure. Et ça marche, puisque cela fait vingt ans que Le Bistrot des amis existe. Nous souhaitons d’ailleurs amplifier ces lieux d’accueil et ouvrir de nouvelles escales pour resserrer les liens entre les habitants et nos locataires. Notre objectif est d’en ouvrir deux par an au cours des trois prochaines années, jusqu’à en avoir une dizaine d’ici à trois ans. La prochaine sera ouverte dans le 6e arrondisse­ment. Il s’agit de l’un des quartiers les plus bourgeois de Lyon et cela nous va très bien.

Que demandez- vous aux Lyonnais ?

Des logements ! Chaque année, dans le Rhône, 60 000 personnes demandent un logement social et seulement 15 000 en obtiennent un. Il y a des besoins très forts. Et, dans le même temps, plus de 50 000 logements privés sont vacants dans la Métropole. Il nous faut convaincre ces propriétai­res de nous confier ces logements vacants. Nous voulons les rassurer sur les locataires. Nous sommes très attentifs à l’efficacité économique, car elle nous permet de dégager des marges pour proposer des services de meilleure qualité.

Comment arrivez- vous à convaincre autant de propriétai­res de vous confier leur logement ?

Aujourd’hui, ces propriétai­res solidaires sont nos meilleurs ambassadeu­rs. Ces personnes ont une exigence pour leur patrimoine, mais souhaitent également lui donner du sens. Compte tenu des diverses aides et abattement­s, il est parfois plus intéressan­t de confier son bien à une régie sociale qu’à une régie « classique » . Le propriétai­re est accompagné de Aà Z et est totalement libéré de la gestion du bien. Comme n’importe quelle régie, on fait face à des situations d’impayés, mais ce qui nous caractéris­e, c’est que l’on intervient immédiatem­ent pour comprendre la situation. Et nous pouvons aller jusqu’à l’expulsion…

Comment souhaitez- vous vous y prendre pour transforme­r la culture de l’associatio­n ?

Aujourd’hui, Habitat et Humanisme dans le Rhône, c’est 120 salariés, 500 bénévoles et plus de 10 millions d’euros de budget. Je veux impulser un pilotage par objectif qui va nous permettre d’être plus efficace et de capter davantage de logements. En France, il existe une vraie demande d’engagement de solidarité, mais les gens ne savent pas trop comment s’y prendre. Si on leur propose un message clair et des solutions concrètes et démontrant notre efficacité, je pense que la générosité pourra mieux s’exprimer. Il ne faut pas se contenter d’une posture morale pour faire le bien. L’équipe de direction a été changée. J’essaye d’insuffler un esprit d’entreprene­uriat au sein de l’associatio­n et une culture de l’efficacité en travaillan­t par objectif. Cela marche plutôt bien, puisque le nombre de nos bénévoles continue d’augmenter. Ce n’est pas parce que l’on travaille dans la solidarité que l’on doit faire la gueule. Nous ne pilotons pas l’organisati­on comme une associatio­n qui compte sur des subvention­s, mais comme une entreprise.

« Nous ne pilotons pas l’organisati­on comme une associatio­n qui compte sur des subvention­s, mais comme une entreprise. »

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