La Tribune de Lyon

Portraits - Hubert Julien- Laferrière, la revanche du loser

Nonchalant, naïf, fêtard… La réputation d’Hubert JulienLafe­rrière depuis ses débuts en politique a toujours compromis ses chances de devenir député. Après dix ans d’attente et de trahisons politiques subies, il vient enfin d’être élu au Palais Bourbon. Et

- ANTOINE COMTE

Le rendez- vous a été fixé au restaurant l’Institutio­n début septembre. L’interview s’apprête à démarrer, quand soudain : « Bonjour Monsieur le député, qu’est- ce qui vous ferait plaisir ? » , lance un serveur, avec un grand sourire. Cette formule de politesse, le garçon de café de l’établissem­ent de la rue de la Ré ne le sait sans doute pas, mais Hubert Julien- Laferrière rêve de l’entendre depuis dix ans. « Bonjour, je vais prendre un café s’il

vous plaît » , rétorque- t- il, après avoir marqué un temps d’arrêt, comme pour savourer l’instant. Si le jeune quinqua, reconnaiss­able à ses airs de dandy et à sa chevelure blanche immaculée, semble avoir encore bien du mal à réaliser qu’il a rejoint les bancs de l’Assemblée nationale, c’est parce qu’avec le temps, plus personne à Lyon ne

croyait en ses chances de le voir un jour devenir député. Pressenti pour être le candidat du PS lors de plusieurs élections majeures dans le Rhône, il s’est en effet à chaque fois fait coiffer au poteau. « J’avoue que si cette fois- ci, la députation m’était encore passée sous le nez, je serai resté maire du 9e arrondisse­ment, mais j’aurais sans doute levé le pied pour lancer à côté quelque chose à moi dans la coopératio­n internatio­nale » , reconnaît le nouveau député de La République en marche, qui préfère ne pas trop s’étendre sur le

sujet. « Franchemen­t, jusqu’au dernier moment, on a cru cette fois encore que Collomb lui ferait un enfant dans le dos. Les noms de Bruno Bonnell ou de Fouziya Bouzerda ont circulé pour le remplacer dans la 2e circonscri­ption, car tout le monde disait qu’il ne serait pas à la hauteur du job » , raconte un cadre macroniste lyonnais, qui décrit un élu « trop gentil et incapable de pousser un coup de gueule pour imposer sa légitimité » .

De l’UNEF au PS. Pourtant, tout avait bien commencé pour ce Parisien qui s’installe à Lyon en 1987 pour « s’émanciper de la tutelle familiale » et surtout intégrer l’institut d’études politiques de l’avenue Berthelot. « Je me souviens d’un étudiant déjà très intéressé par

la politique bien sûr, mais aussi par les questions de société et l’inter

national » , raconte Jérôme Sturla, l’ancien maire socialiste de Décines et copain de promo d’HJL. Membre du syndicat étudiant de gauche UNEF et mobilisé contre la loi Devaquet qui prévoyait d’imposer une sélection à l’entrée des université­s, le jeune étudiant prometteur se voit proposer la présidence des Jeunes socialiste­s du Rhône. Mais c’est une rencontre fortuite qui va lui permettre de se lancer dans le grand bain de la politique, alors qu’il n’a que 25 ans. En 1991, il se rend à l’université d’été du Parti socialiste de Ramatuel. Sans objectif, ni prétention.

« Juste pour voir » , assure- t- il. Mais à peine arrivé, il croise sur place un certain Gérard Collomb. Ce dernier lui propose de venir déjeuner avec lui. « Gérard était à l’époque en pleine traversée du désert. Il vait tout perdu face à Michel Noir. Mais ce qui m’intéressai­t chez lui, c’était le fait qu’il soit secrétaire général de la fondation Jean Jaurès. Cette fondation travaillai­t beaucoup avec l’Amérique latine, l’une de mes passions » , raconte- t- il. Les deux hommes deviennent alors des amis proches et Collomb, qui prépare déjà les municipale­s de 1995, lui propose de rejoindre sa petite équipe qui sera par la suite composée de JeanYves Sécheresse, l’actuel adjoint à la Sécurité de la Ville de Lyon ou encore de Nathalie Perrin- Gilbert, la maire du 1er. Hubert Julien- Laferrière accepte mais décide malgré tout de partir au Canada dans le cadre d’un échange internatio­nal avec l’université Lyon 3. « J’étais chanteur de folk dans les pubs de Vancouver. Je jouais cinq soirs par semaine pour

« Il est tellement naïf qu’on a parfois envie de le secouer pour lui dire de se rebeller. De péter une durite quoi ! »

gagner ma vie » , rapporte- il, sans savoir encore à l’époque que cette expérience sera décisive dans la suite de sa carrière politique lors de son retour à Lyon un an plus tard. « Collomb a demandé à Hubert de jouer de la guitare à ses côtés pendant qu’il faisait campagne en 1995 dans les maisons de retraite du 9e arrondisse­ment. C’était un peu sa caution jeune, sa touche branchouil­le de l’époque » , raconte un élu lyonnais, un brin moqueur.

Ascension supersoniq­ue. Cette fidélité sans faille au candidat de la gauche va finir par payer. Le jeune directeur de campagne de Gérard Collomb qui parvient à reprendre trois arrondisse­ments à la droite, est promu conseiller municipal, conseiller communauta­ire et adjoint à la Culture dans le 9e arrondisse­ment. Il a 29 ans. Une ascension politique supersoniq­ue qui se poursuit en 2001 avec l’accession de Collomb à la mairie centrale. « On était très proches avec Gérard. J’ai même célébré son mariage avec Caroline à la mairie du 9e au début des années 2000 » , se souvient celui qui deviendra maire du 9e entre 2003 et 2008, puis de 2014 à son élection de député en juin dernier.

Malédictio­n. Mais lorsqu’à moins de 40 ans, on a goûté quasiment à toutes les fonctions politiques locales, forcément la tentation de viser plus haut est grande. Hubert Julien- Laferrière tente donc une première fois sa chance lors des législativ­es de 2007. Premier échec. Collomb ne récompense pas sa fidélité et choisit Pierre- Alain Muet. « En 2007, je devais être le candidat de la majorité municipale, mais Collomb voulait un poids lourd. Alors, il a choisi Pierre- Alain parce

que c’était l’ex- conseiller économique de Jospin. Franchemen­t, je crois qu’on aurait gagné dans tous les cas » , regrette Hubert Julien- Laferrière.

« Trop lisse et naïf » . Rebelote cinq ans plus tard. Le petit protégé de Collomb, qui a obtenu entre- temps le poste très convoité de vice- président en charge de la coopératio­n internatio­nale au Grand Lyon, retente sa chance. Mais Collomb et le PS choisissen­t à nouveau Muet. Un nouvel affront que l’élu assure avoir « mal vécu » , mais qu’il pense pouvoir effacer en se présentant trois ans plus tard sur la liste de Jean- Jack Queyranne lors des régionales. Nouveau sacrifice. Collomb préfère sauver la tête de son épouse Caroline, également candidate sur la liste du président PS sortant du Conseil régional, plutôt que de récompense­r enfin celui qui est désormais surnommé « le cocu

du Roi » . « Ce qu’a accepté Hubert en se sacrifiant à toutes les élections, personne ne l’aurait accepté. Il est trop inoffensif et c’est pour cela que Collomb, à qui il doit tout, en a profité » , analyse une élue lyonnaise de la majorité. Un sentiment partagé par bon nombre de conseiller­s municipaux de la majorité encore aujourd’hui. « On se demande parfois ce qu’il fait en politique, ce milieu malsain où tous les coups

sont permis. Il est tellement naïf qu’on a parfois envie de le secouer pour lui dire de se rebeller. De péter une durite quoi ! » , lâche un élu du 9e qui le connaît bien. Et qui, comme plusieurs élus de l’arrondisse­ment dont il a été maire à deux reprises, sont unanimes pour dire qu’il « n’a jamais vraiment piloté ses équipes » .

« Le problème d’Hubert, c’est qu’il est trop lisse. C’est un dandy nonchalant, très calme et posé, qui donne l’impression de ne jamais prendre les missions qu’on lui confie à brasle- corps » , critique Christelle Madeleine, une élue UDI du 9e. Réputation de fêtard. Cette réputation, le nouveau député assure ne pas la comprendre. « J’ai bossé comme un chien dans le 9e. Je ne travaille jamais en dilettante. Les journalist­es qui écrivent cela en se basant sur des jalousies d’autres élus feraient mieux de venir voir mon travail sur le terrain » , fustige le macroniste, qui conteste également l’image de fêtard qui lui

colle à la peau depuis 20 ans. « Il y a même certains de vos confrères qui, à une époque, voulaient m’interviewe­r dans le cadre d’un dossier sur les boîtes de nuit lyonnaises parce qu’ils pensaient que je sortais tous les soirs. En fait, c’est juste que

Lyon People m’a beaucoup pris en photo lorsque je participai­s à des inaugurati­ons, rien de plus » , râle- t- il, remonté comme rarement. Le signe d’une rébellion et d’une volonté d’émancipati­on de l’emprise collombist­e ? À 51 ans, il serait temps. Une renaissanc­e. « Hubert est passionné et très investi à l’Assemblée. C’est un nouveau mandat qui lui convient comme un gant. Il a notamment une vraie expertise sur le travail législatif et la Constituti­on » , assure son collègue lyonnais Thomas Rudigoz, qui regrette que « son flegme très britanniqu­e le fasse parfois passer pour un branleur » . Un avis partagé par son prédécesse­ur dans la circonscri­ption qui soutenait pourtant son adversaire

Nathalie Perrin- Gilbert. « Depuis son élection, j’ai eu Hubert au téléphone pour lui donner quelques conseils. Je pense qu’il a bien fait de rejoindre la commission des affaires étrangères à l’Assemblée. Il a toujours été bon dans le domaine de la coopératio­n internatio­nale » , confie Muet. Sous entendu : une renaissanc­e politique pour un élu qui n’a jamais vraiment été pris au sérieux. L’intéressé qui assure n’être habité par « aucune envie de revanche personnell­e » , le reconnaît

quand même : « C’est un nouveau départ pour moi » . Avant d’ajouter : « mais, si je suis député aujourd’hui, c’est aussi parce que j’ai su attendre et rester zen » . Décidément, Hubert Julien- Laferrière ne changera jamais.

« J’ai bossé comme un chien dans le 9e. Je ne travaille jamais en dilettante. C’est fou, cette réputation »

 ??  ?? Gérard Collomb, Hubert JulienLafe­rrière et David Kimelfeld, le maire du 4e, lors des dernières élections législativ­es.
Gérard Collomb, Hubert JulienLafe­rrière et David Kimelfeld, le maire du 4e, lors des dernières élections législativ­es.
 ??  ?? Hubert Julien- Laferrière, le 8 septembre dernier sur la terrasse du restaurant l’Institutio­n à Lyon.
Hubert Julien- Laferrière, le 8 septembre dernier sur la terrasse du restaurant l’Institutio­n à Lyon.
 ??  ?? Hubert JulienLafe­rrière est un fou de treks et autres randonnées. Sa dernière sortie en date : le dangereux sentier du GR20 cet été en Corse.
Hubert JulienLafe­rrière est un fou de treks et autres randonnées. Sa dernière sortie en date : le dangereux sentier du GR20 cet été en Corse.

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