La Tribune de Lyon

Sébastien Bouillet : « Si je n’étais pas allé au Japon, je n’en serais pas là aujourd’hui »

La maison Bouillet, incontourn­able pâtisserie chocolater­ie née à la CroixRouss­e, fête ses 40 ans cet automne. L’occasion de revenir avec Sébastien Bouillet, le fils du fondateur, aujourd’hui aux manettes de l’affaire familiale, sur le développem­ent hors n

- PROPOS RECUEILLIS PAR VÉRONIQUE LOPES

Vous faites partie des rares Lyonnais à être présent au Japon. Déjà quatre boutiques et bientôt une cinquième… pourquoi un tel développem­ent ?

SÉBASTIEN BOUILLET : Pour l’instant, nous avons quatre points de vente, trois à Tokyo et un à Osaka. En octobre, nous en ouvrons effectivem­ent un cinquième à Nagoya. Les Japonais sont de grands consommate­urs de chocolat, surtout à la Saint- Valentin. Pendant cette période, on arrive à une vingtaine de points de vente Bouillet au Japon, notamment sur des salons et des magasins éphémères. Pour vous donner un ordre d’idées, l’année dernière, on a vendu 70 000 rouges à lèvres en chocolat en l’espace de trois semaines. Cette année on en a prévu 90 000 exemplaire­s.

Et cela fait dix ans que votre aventure japonaise dure…

Oui, et ça n’arrête pas de grandir. On a déjà changé trois fois de laboratoir­e de fabricatio­n, pour pouvoir faire face la demande.

Comment avez- vous réussi à percer là- bas ? En 2007, vous n’étiez pas le pâtissier français le plus en vogue…

Les Japonais sont friands de nouveautés. Ils veulent le petit rookie, celui que personne ne connaît… Ce qui était mon cas ! J’ai été contacté parce qu’à l’époque j’envoyais des chocolats pour le Salon du chocolat au Japon, où un corner était réservé aux chocolatie­rs de régions. Et un jour, mon contact là- bas m’a mis en relation avec une marque pour faire des démonstrat­ions dans des écoles, devant des centaines de pâtissiers japonais. Grâce à ces prestation­s j’ai rencontré un homme d’affaires, qui lançait sa propre marque de chocolat et voulait m’embaucher pour une mission de conseils. Ce que j’ai fait. Deux ans plus tard, il m’a proposé d’avoir un stand sur un salon pour tester le marché. Face au succès qu’on a rencontré, il m’a proposé de monter la marque Sébastien Bouillet au Japon, en prenant un corner dans une sorte de Harrod’s à la Japonaise. Je me suis retrouvé à côté de grosses pointures, comme Pierre Hermé. C’était incroyable ! À vrai dire, le Japon a été une opportunit­é que j’ai su saisir.

Ce défi japonais ne vous a pas fait peur ?

Au début, il fallait former des équipes sur place, adapter les recettes à cause du taux d’humidité qui n’est pas le même… Et puis en tant qu’étranger, on ne possède pas son entreprise là- bas, mais on fait un partenaria­t avec un Japonais. Ce qui veut dire que je ne prends aucun risque financier. Demain si tout s’arrête, je ne touche plus de dividende, c’est tout. Je ne perds pas de plumes.

Ce marché, c’est un peu la poule aux oeufs d’or pour vous…

Le Japon m’a surtout permis d’apprendre beaucoup de choses que j’ai ensuite mises en place à Lyon. J’ai modifié mon processus de production, ramené des techniques d’emballage, et même des recettes. Si je n’y étais pas allé, je ne serais pas là où j’en suis actuelleme­nt. Aujourd’hui, j’y vais quatre fois par an et je ne m’en lasse pas. C’est comme un deuxième pays pour moi.

Vous n’avez pas envie de vous développer ailleurs, à New York, Londres, Paris ?

Il ne faut jamais dire jamais, mais Paris c’est non. Tous les meilleurs pâtissiers sont là- bas, et il y a au moins une pâtisserie qui ouvre tous les mois. Ce n’est pas un rêve pour moi d’avoir le mot « Paris » sur mes boîtes de gâteaux. Je préfère être dans la capitale, mais celle de la gastronomi­e. Les quatre dernières années, on a ouvert énormément de boutiques à Lyon, dont deux en 2016, plus notre laboratoir­e de fabricatio­n à Miribel. Ce sont des investisse­ments lourds. Il faut maintenant les amortir. Et mon ambition n’est pas d’ouvrir une pâtisserie à tous les coins de rue.

Justement, c’est quoi votre ambition ?

J’ai envie de me concentrer sur ma créativité, chose que je ne peux pas faire si mon esprit est occupé par un autre projet. Pour cette rentrée, je vais donc sortir un nombre incalculab­le de produits, dont deux 100 % lyonnais. Il nous manquait des produits à la praline, donc on va sortir des tartelette­s à la praline, en sachet individuel, vendues par trois ou six, et une tablette : Red de Lyon, à base de chocolat Dulcey avec, à l’intérieur, un caramel à la praline et une nougatine à la praline. Cela nous permettra de toucher la clientèle de touristes que nous avons notamment aux Halles.

Aujourd’hui, vous vous considérez plus comme un entreprene­ur ou un pâtissier ?

J’essaie d’être le capitaine de l’équipe. Et maintenant que j’ai moins de projets d’ouverture, je suis de retour dans mon laboratoir­e à Miribel. Je fais des essais de nouveaux produits, j’enrobe les chocolats, je fais de l’emballage… Je mets la main à la pâte. C’est important pour mes équipes de me voir à leurs côtés.

Cette année marque les 40 ans de la maison Bouillet. Vous avez prévu de faire quelque chose de spécial ?

Je n’ai pas envie de faire une grande fête avec tous les people de Lyon. On va simplement créer un gâteau mélangeant les goûts de mon père et les miens. Il y aura du praliné, de la noisette, des agrumes – dont du yuzu –, du croustilla­nt. Il s’appellera « Le 1977 » , en référence à l’année de création de la maison. On va aussi organiser une journée portes ouvertes le 2 décembre à Miribel, pendant laquelle le public pourra déguster les produits de Noël. Les visiteurs pourront goûter les sept bûches s’ils le veulent ! J’ai envie de me rapprocher de mes clients. Tous les premiers samedis du mois, on va faire des dégustatio­ns des nouveaux produits, et tous les derniers week- ends du mois, des dégustatio­ns à la chocolater­ie, rue d’Austerlitz à la Croix- Rousse.

Ça ressemble à une opération séduction de marketing…

J’aime être présent sur des évènements, être au contact des gens, comme je l’ai été dernièreme­nt pour le Lyon street food festival par exemple, pendant lequel j’ai fait des gauffres pendant trois jours. De la même manière, sur les réseaux sociaux, c’est moi qui gère à 90 %. Ce qui m’importe, c’est que cette communicat­ion soit la plus authentiqu­e possible.

On peut dire que vous savez gérer votre image. Face à l’hypermédia­tisation des métiers de bouche, est- ce que vous pensez que c’est nécessaire pour réussir ?

Il est vrai que c’est important parce que les gens se souviennen­t d’un visage, et cela draine du monde en boutique. Par exemple, après la diffusion du reportage de Capital sur M6 il y a deux ans, on a explosé nos ventes la semaine suivante. C’était une belle opportunit­é qui n’arrive qu’une fois dans une vie. Mais je ne vais pas non plus mettre des portraits de moi dans les boutiques. Ce serait prétentieu­x…

Finalement, devenir pâtissier était une évidence pour vous…

J’ai baigné dedans toute mon enfance. On habitait dans l’arrière- boutique. Petit, j’adorais étaler de la pâte et faisais mes sablés avec des emporte- pièces, puis je les mangeais devant le four. Plus grand, j’enrobais les chocolats, et je tenais la caisse avec ma mère. Mais je ne l’ai pas fait longtemps, les petites mamies du quartier me prenaient pour une fille, alors je préférais travailler au sous- sol avec mon père. Mais, au final, le choix n’a pas été si évident que ça pour moi. Au collège, j’étais en sport- étude à Saint Louis - Saint Bruno, et j’adorais ça. Mais à 15 ans, j’ai fait un stage chez Martin, une pâtisserie des Brotteaux et j’ai eu le déclic.

« Mon ambition n’est pas d’ouvrir une pâtisserie à tous les coins de rue »

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