Mon déjeuner avec Dora d’Ambrosio
Quand Dora d’Ambrosio franchit la porte du Passage, c’est un peu comme si elle arrivait
à la maison. Depuis 10 ans, ce restaurant est le lieu privilégié de ses réunions de famille comme de ses déjeuners professionnels. Président ( sans « e » final, et elle y tient) d’une entreprise de plus de 430 salariés, affichant une très belle croissance et réalisant un volume de ventes de l’ordre de 335 millions, Dora d’Ambrosio commence sa carrière sous l’aile de Jacques Ribourel puis de Stéphane Richard ( actuel PDG d’Orange) avant de prendre son envol en reprenant une agence immobilière, à Lyon, quand la Générale des Eaux, alors détenue
par Jean- Marie Messier, décide de se séparer de cette activité. Elle n’a qu’une blessure, la crise
de 2008- 2009 : « C’était la guerre. Il fallait lutter, chaque jour car nous n’étions pas nombreux à être encore debout, beaucoup de gestionnaires avaient déposé le bilan. Et après la guerre, c’était un champ de mines, donc il fallait reconstruire, chaque période est passionnante. »
Très exigeante mais terriblement attachée à la relation humaine,
Dora d’Ambrosio répète être à l’écoute de ses collaborateurs, « de ceux qui ont envie de développer l’entreprise, de ceux qui amènent des idées » . Valeur
et Capital regroupe aujourd’hui tous les métiers de la gestion de patrimoine et d’autres encore car elle l’avoue, « j’ai beaucoup
de mal à déléguer » , du coup pourquoi sous- traiter ? Le groupe intègre aujourd’hui une SS2I pour développer les outils informatiques dont l’entreprise a besoin, une agence de communication, une école de vente pour ses propres besoins ( mais aussi pour le groupe La Poste)… Des projets plein la tête, la capacité à réinventer sans cesse son métier, Dora d’Ambrosio a une stratégie pour continuer à faire croître sa société pendant encore de longues années.
est- ce novateur pour votre groupe ?
Quand je visitais des résidences étudiantes, je me disais qu’il était possible de faire mieux. Et nous avons fait mieux. Nous avons ouvert notre première résidence en 2010… Nous en gérons aujourd’hui 21, soit 2 500 logements. Ces chiffres doubleront à l’horizon 2020…
Quelle est votre vision du marché étudiant dans les années à venir ?
Le marché de l’étudiant est en train de changer… Des fonds de pension et des institutionnels placent dans leurs lignes d’acquisition des résidences pour étudiants. Notre taille et notre réseau nous procurent aujourd’hui la puissance nécessaire pour être de plus en plus crédibles et développer, à leurs côtés, Les Belles Années.
Quelle est votre méthode de management ?
La philosophie que j’applique depuis 33 ans est simple : travailler sérieusement sans se prendre au sérieux. Nous ne sommes pas des médecins, nous ne sauvons personne. Cependant, nous devons exercer notre métier de manière irréprochable, avec un peu de légèreté. C’est le bien vivre ensemble qui est important. Valeur et Capital est une « entreprise familiale » et je suis convaincue des bienfaits de la cooptation pour intégrer le groupe. Tout le monde fait énormément d’efforts. Celui qui a recommandé fait tout pour que ça se passe bien et celui qui a été recommandé ne veut surtout pas décevoir…
D’après certaines rumeurs, vous auriez été approchée pour céder votre groupe à un géant de l’immobilier, est- ce vrai ?
L’an dernier nous avons été approchés par un grand groupe immobilier. Il s’est intéressé à notre entreprise, nous avons parlementé pendant un an et la veille de signer, ça n’a finalement pas abouti. Nous avons écouté ce qu’ils avaient à nous dire et cela n’a pas fonctionné. Je ne regrette pas, je suis tellement heureuse de pousser la porte de mon bureau tous les matins. Je viens de fêter mes 60 ans, je ne suis pas immortelle, mais j’ai encore tellement d’énergie.
Seriez- vous prête à ouvrir le capital de votre groupe ?
Je ne dis pas qu’un jour je ne ferai pas entrer un fonds d’investissement : pour réaliser des projets et faire de la promotion immobilière, il faut de l’argent. Mais il faut que ce soit en parfaite adéquation avec mes souhaits.
Comment imaginez- vous le groupe dans 10 ans ? Vos enfants, qui travaillent dans l’entreprise, ont- ils vocation à prendre le relais ?
J’imagine laisser la place aux jeunes, des relais de confiance, capables de conserver cette philosophie d’entreprise, de management. C’est très compliqué pour moi, j’ai beaucoup de mal à me projeter dans 10 ans. Et si aujourd’hui, mes deux enfants travaillent dans l’entreprise, ils n’ont pas de passedroit. Mais ils sont brillants et je compte sur leur ouverture d’esprit pour m’aider à construire le groupe de demain.
Il manque en France entre 300 000 et 500 000 logements, comment en arrivet- on à une telle pénurie ?
La promotion immobilière répond depuis toujours à des règles strictes et contraignantes qui font qu’un projet peut souvent mettre une dizaine d’années à aboutir entre la négociation de la vente foncière et la livraison du programme. Si nous rajoutons à cela les recours intempestifs menés par des particuliers – souvent devenus professionnels en la matière – il devient de plus en plus difficile de mener les programmes immobiliers à bien. De telles pratiques rallongent très sensiblement les délais et les budgets de promotion. Enfin, la fiscalité liée aux plus- values sur les cessions foncières ont souvent limité les projets et fait réfléchir à deux fois les potentiels vendeurs de terrain. Il serait donc impératif de simplifier l’ensemble de ce processus pour compenser ce manque de logements chronique en France.
« Entre les règles contraignantes et les recours intempestifs, il devient de plus en plus difficile de mener les programmes immobiliers à bien. »