Le plan secret de la mairie pour l’art contemporain
Georges Képénékian veut profiter du départ à la retraite en avril de Thierry Raspail, le directeur du musée d’art contemporain de Lyon ( MAC), pour redynamiser entièrement l’art contemporain, sous la houlette de Sylvie Ramond, directrice du musée des Beau
« On termine un cycle de trente ans où l’on a inventé la présentation de l’art contemporain dans cette ville » , explique le maire de Lyon, Georges Képénékian. Création du musée d’art contemporain ( MAC), puis de l’IAC à Villeurbanne, développement des Biennales de Lyon dans la foulée de celle consacrée à la danse, Lyon s’est aussi fait repérer par quelques grandes expos de vieux briscards de l’art contemporain ( Warhol, Keith Haring, Ben, Combas, Erro ou – avec moins de succès – Yoko Ono). La Biennale est un beau succès public ( 317 000 spectateurs pour la dernière édition, un record, en hausse de 23 %), mais est toujours restée dans des codes d’exposition assez classiques ( des installations dans des lieux dédiés, prin- cipalement des musées), alors même que la Ville de Lyon s’est impliquée plus que d’autres dans l’art public ( à l’image des 16 oeuvres mises sur les berges de Saône). « On n’a pas une image et un rendu à la hauteur de ce qu’on a investi » , tranche aujourd’hui le maire de Lyon, notamment lorsqu’il regarde des initiatives plus novatrices comme la Biennale de Nantes, organisée dans l’ensemble de la métropole. Fait unique : le MAC de Lyon et la Biennale d’arts plastiques sont dirigés depuis 34 ans par la même personne, Thierry Raspai l( 1), un record dans une ville qui ne brille pourtant pas par le renouvellement de ses directeurs d’institutions culturelles. Cela a toutefois une vertu : une qualité de regard artistique un tant soit peu réfléchi et historique, évitant souvent les poncifs de l’actualité dans lesquels tombent régulièrement les expos d’art contemporain. Le fondateur- directeur du MAC se serait donc bien vu faire un peu de rab et programmer une dernière Biennale en 2019, dans la foulée des deux dernières consacrées à « La Vie moderne » . Il n’en sera rien. « Thierry Raspail doit partir à la retraite en avril, c’est le bon moment pour imaginer la suite, et c’est le nouveau directeur que nous allons recruter qui programmera la prochaine Biennale » , ajoute Georges Képénékian. S’il salue le gros travail de mécénat et de réseau réalisé pour enrichir la collection du MAC ( Ben a pu vendre à Lyon des oeuvres très en- dessous du prix du marché par exemple), elle aboutit à un paradoxe : Lyon a une magnifique collection d’art contemporain qu’on ne voit que très rarement et de façon très parcellaire, tout comme celle du musée des Beaux- Arts, faute de place.
Sylvie Ramond promue. Valoriser les collections des deux musées, c’est donc le premier objectif d’un nouveau pôle d’art contemporain. « J’ai envie de tenter un pari ambitieux et de rapprocher le musée des Beaux- Arts et le MAC pour coproduire des projets d’expos dans les deux lieux mais aussi dans toute la ville, en associant galeries, écoles d’art et collectionneurs » , explique le maire de Lyon. C’est Sylvie Ramond, la directrice du musée des Beaux- Arts, qui coordonnerait l’ensemble, avec à ses côtés un nouveau directeur du MAC de Lyon à recruter d’ici l’été. Ainsi, une exposition comme Los Modernos ( actuellement présenté au musée des Beaux- Arts sur les relations France- Mexique) aurait pu avoir deux fois plus d’impact et une scénographie d’une autre ampleur, en répartissant par exemple la photographie contemporaine au MAC et la peinture aux Beaux- Arts. Sans oublier la possibilité d’y ajouter galeries, écoles d’art et oeuvres de la collection du MAC. Bref, d’en faire un événement à l’échelle de la ville et non plus d’un seul lieu.
Le rapprochement du musée des Beaux- arts et du MAC peut sonner comme un retour aux sources : Thierry Raspail avait débuté sa direction dans une aile du palais Saint- Pierre avant de prendre son autonomie dans un bâtiment dédié de la Cité Internationale. Mais avec ce nouveau pôle d’art contemporain, il ne s’agit surtout pas de refaire comme avant. « Nous voulons repositionner le MAC comme un laboratoire de recherches et un lieu d’innovation avec une approche pluridisciplinaire, un rôle qu’il avait un peu perdu » , précise Loïc Garber, le nouvel adjoint à la Culture de la Ville. « Notamment sur les domaines des cultures numériques et du street art qu’on a laissés de côté jusqu’à présent » . Il s’agit donc de recruter un artiste, plutôt jeune, qui soit une sorte de « directeur d’art contemporain dans la ville » , en charge du musée, de la Biennale, mais aussi des relations avec les écoles et qui bâtirait des projets novateurs qui « font sortir l’art contemporain des seuls musées » . Bref, faire de l’art contemporain d’aujourd’hui, en « donnant une puissance de frappe supérieure pour créer l’éclosion d’une nouvelle génération d’art contemporain comme le mouvement Frigo en son temps » , ajoute Georges Képénékian. Ce mouvement lyonnais des années quatrevingt qui fit d’ailleurs l’objet d’une très belle exposition au MAC l’an passé. « Il faut qu’on se dise que c’est à Lyon qu’on doit exposer. » Comprenez : cap sur « l’émergence et la jeune création » pour un pôle de production novateur et non plus un simple lieu d’exposition muséal.
Rapprochement, mais pas fusion. Reste une question, de taille : ce rapprochement des deux grands musées d’art de la ville pourrait- il aboutir à une fusion, comme c’est par exemple le cas à Strasbourg et même à Paris, où les musées ont été regroupés sous une même direction. « Je ne m’inscris absolument pas dans ce schéma, insiste Georges Képénékian. Ce n’est pas une question budgétaire pour
« On n’a pas une image et un rendu à la hauteur de ce qu’on a investi en matière d’art contemporain »
nous. Financer tout un secteur en une seule enveloppe globale finit toujours par nuire à l’une ou l’autre des structures. Ce n’est pas ce que nous voulons faire. Il s’agit vraiment de recréer une dynamique en inventant des plateformes communes qui ont plus d’impact. Mais chaque musée doit garder par ailleurs son autonomie artistique et
son identité propre. » Pas de grand méli- mélo fusionnel indifférencié donc, il s’agit bien de recomposer entièrement le paysage des musées lyonnais « à l’horizon 2020 » ( le temps que les directeurs s’installent dans leurs nouveaux rôles). Il y aurait donc d’un côté le vaisseau amiral du musée des Confluences – 720 000 entrées par an – qui continuerait d’initier ses propres partenariats, ainsi que son petit frère le musée gallo- romain ( récemment rebaptisé « Lugdunum » ) , tous deux gérés par la Métropole ; et de l’autre les musées d’Histoire de la ville de Lyon ( Gadagne et le musée de l’Imprimerie), et ce nouveau pôle artistique du musée des Beaux- Arts et du MAC. L’alliance est finalement assez naturelle même si elle est
« touchy » pour le maire de Lyon, en matière de culture, chacun aimant traditionnellement bien rester dans son pré carré. Le musée des Beaux- Arts avait déjà consacré de belles expositions à deux grands artistes contemporains : Pierre Soulages – peut- être le plus classique et le plus connu des artistes d’aujourd’hui en arts plastiques ; et plus récemment avec plus d’audace la première grande monographie consacrée à Fred Deux, un artiste et dessinateur majeur encore trop méconnu. Si Sylvie Ramond nous déclarait récemment que le musée des Beaux- Arts était aussi un musée de civilisations, elle a su depuis longtemps en faire autre chose qu’un lieu exclusivement tourné vers le passé.
En attendant la réforme des Bien
nales. Mais le plus important sera sans doute de trouver de nouvelles façons d’investir la ville pour présenter l’art contemporain, comme a su le faire par exemple le festival Nuits Sonores pour donner à entendre les musiques électroniques. À l’échelle des Biennales, il s’agit aussi de trouver un pendant à l’atelier de la Maison de la danse qui va se créer dans l’ancien musée Guimet, pour faire de Lyon une ville de création attractive, pour le public comme pour les artistes. La danse à Lyon a depuis longtemps intégré les pratiques amateures ou émergentes et accueilli nombre de créations au rayonnement international. En filigrane, il s’agit donc aussi de rééquilibrer les deux Biennales qui n’ont pas eu jusqu’ici le même rapport au public et aux artistes. Une réforme structurelle qui fera partie des chantiers de la rentrée. La bonne nouvelle en tout cas, c’est que Lyon veuille renouer avec la création et ne plus seulement s’encroûter dans ses affaires patrimoniales, comme le musée des Tissus ( lire ci- dessus). Et retrouver en matière culturelle le dynamisme qui déborde du seul cadre institutionnel. À condition d’associer les autres acteurs. Première réponse à la rentrée avec le nouveau directeur ou la nouvelle directrice du MAC. Une première depuis… 1984. Il était temps.
« Chaque musée doit garder son autonomie artistique et son identité propre. »