La Tribune de Lyon

RENAUD SORNIN : « JE VEUX CONSTRUIRE UNE ENTREPRISE AUTHENTIQU­E ET PARTAGÉE »

- PROPOS RECUEILLIS PAR VINCENT LONCHAMPT.

Renaud Sornin est depuis fin mars le nouveau président de l’associatio­n Lyon French Tech qui fédère les entreprise­s du numérique. Et sa société de partage de documents, Attestatio­n légale, vient de lever 5 millions d’euros pour changer de dimension. L’occasion de découvrir ce patron atypique qui a poussé ses salariés à devenir actionnair­es et qui ne veut plus que sa rémunérati­on soit augmentée. Votre entreprise Attestatio­n légale, que vous présentez comme le LinkedIn administra­tif des entreprise­s, vient tout juste de lever 5 millions d’euros auprès de l’investisse­ur Nextage. Pourtant, vous dites que vous n’aviez « pas besoin » de cet argent… C’est vrai ?

RENAUD SORNIN : Clairement, nous n’étions pas obligés dans la mesure où Attestatio­n Légale ( 85 salariés, 5 millions d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier — NDLR) disposait de 3 millions d’euros en banque. Nous aurions pu continuer notre route comme cela, mais j’avais besoin de me faire challenger. Nous sommes donc allés chercher un accélérate­ur, un partenaire qui nous tire vers le haut pour aborder l’internatio­nalisation de la société, les enjeux digitaux… Même si au départ, j’avais très peur de faire rentrer un fonds d’investisse­ment dans l’entreprise.

Pour quelle raison ?

Chez Attestatio­n Légale, nous sommes très engagés dans les valeurs humaines, avec un modèle d’entreprise partagée qui veille à distribuer la valeur créée de façon équitable entre les investisse­urs et les salariés. Nous avons des idéaux que nous voulons garder, et j’avoue que j’avais une vision un peu stéréotypé­e du fonds financier, ce « méchant » qui veut que l’on essore les gens. En fait, au gré des rencontres, je me suis aperçu que ce n’était pas le cas. En revanche, certains fonds avec qui nous avons discuté n’ont pas compris notre démarche. Avec notre vision qui consiste à partager, on était trop « illuminé » et « iconoclast­e » pour eux.

Dans les faits, vous avez proposé à l’ensemble de vos collaborat­eurs de devenir également actionnair­e de la société, et près de la moitié d’entre eux sont entrés au capital1. Pourquoi ce choix ? Beaucoup de gens m’ont dit « c’est bien de proposer à tes collaborat­eurs de devenir actionnair­es, cela va

les fidéliser » , mais ce n’est pas du tout le but ! C’est simplement que je considère que cela fait partie de l’entreprise partagée. Et, précision importante, nous n’avons pas souhaité donner des actions, mais bien que nos collaborat­eurs achètent ces actions. La démarche est totalement différente. Certains ont mis leurs économies personnell­es, d’autres ont fait un crédit pour prendre des tickets allant de 4 000 euros à 80 000 euros. Cela les implique encore plus dans l’avenir de la société. Et engage aussi considérab­lement ma responsabi­lité d’entreprene­ur.

Finalement, votre fonctionne­ment se rapproche de celui d’une Scop…

L’idée est de faire une entreprise différente, entre l’entreprise « classique » dont la finalité est de créer de la richesse pour ses actionnair­es, et l’entreprene­uriat social qui gère mal le capital. J’ai une motivation profonde de créer une nouvelle voie, et surtout de construire une entreprise authentiqu­e.

Au- delà des mots, c’est quoi faire une entreprise authentiqu­e selon vous ?

Être une entreprise authentiqu­e, c’est faire entrer les collaborat­eurs dans le capital ou bien dire qu’à titre personnel, ce n’est pas l’argent qui gouverne ma vie. C’est pour cela que j’ai décidé que mon salaire ne sera

plus jamais augmenté dans mon entreprise. J’ai une belle rémunérati­on de 100 000 euros par an auxquels peuvent s’ajouter 50 000 euros de variable en fonction des résultats. Cela fait un facteur cinq par rapport aux plus petits salaires de l’entreprise, j’estime que c’est le bon équilibre. Même si, dans mon entourage, beaucoup n’ont pas compris cette décision… D’où vous vient cette vision de l’entreprene­uriat ? C’est mon petit côté chrétien de gauche ( il sourit). À mon sens, les grands groupes se trompent. Ils ont tellement été « drivés » par les indices de rentabilit­é qu’ils ont perdu le sens de leur action. Tout cela ne marche plus aujourd’hui, il faut redonner du sens à ce que l’on fait. Dans le même temps, vous prévoyez de doubler la taille d’Attestatio­n légale à l’horizon 2022. Vous n’avez pas peur de perdre votre âme en grossissan­t ? C’est une crainte, mais j’ai le désir de garder ce modèle d’entreprise partagée même une fois que nous serons entrés en Bourse. Je me suis donc fait coacher, et j’ai prévu d’investir 100 000 euros — ce qui n’est pas rien — dans la formation des collaborat­eurs pour être une entreprise à la vision humaine où l’on favorise l’autonomie des salariés de manière pérenne. Vous pensez que cet idéal d’organisati­on sera tenable même lorsque l’entreprise rencontrer­a des difficulté­s ? On va se prendre des gadins, c’est sûr ! Mais je pense que nous serons plus forts face à l’adversité grâce à cette cohésion. C’est la vertu du partage : on partage aussi les difficulté­s. Et le fait de crier haut et fort que je veux construire une entreprise partagée et authentiqu­e m’engage personnell­ement, car le jour où je dévie de cette route, on pourra venir me voir et me dire « tu es un menteur » . Depuis quelques semaines, vous êtes également le nouveau président de l’associatio­n Lyon French Tech qui

rassemble les acteurs français du numérique. Pourquoi avoir pris ce job ? Parce que je suis fana de Lyon et de la French Tech. Attestatio­n légale a décroché trois Pass French Tech d’affilée ( un programme national d’accompagne

ment — NDLR) et cela nous a beaucoup apporté en termes de visibilité et de confiance clients. Je me suis donc dit qu’il était temps pour moi de consacrer du temps en retour, cela fait partie de ma conception de l’entreprise citoyenne. J’estime également que ce mandat peut nourrir ma vision et me permettre de mieux comprendre la cité. Justement, vous accédez à un poste très politique. Vous êtes à l’aise avec cela ? Je ne suis pas très à l’aise, mais j’apprends… Je me sens un peu comme un chien dans un jeu de quilles, mais je suis bien entouré. J’ai occupé pendant neuf mois le poste de président délégué, et Patrick Bertrand ( l’ex- président de Lyon French Tech — NDLR) comme Karine Dognin- Sauze ( vice- présidente de la Métropole en charge du Numérique — NDLR) m’ont beaucoup accompagné. Ils m’ont aussi aidé à mettre de l’eau dans mon vin sans perdre mon âme. Je prends beaucoup de plaisir avec la présidence de la Lyon French Tech, j’ai l’impression de grandir ! Quel est votre objectif avec la Lyon French Tech ? Jusqu’à maintenant, on a l’impression que c’est avant tout un outil de communicat­ion à travers une marque… C’est peut- être « juste » une marque, mais c’est important. Sans elle, Attestatio­n légale n’aurait sûrement pas été sélectionn­ée dans le programme de recherche et innovation Horizon 2020 lancé par l’Union Européenne. Depuis sa création il y a trois ans, un gros travail a été fait, même si nous faisons le constat collectif que nous sommes visibles mais pas très lisibles. Nous avons donc travaillé une feuille de route pour nous recentrer sur notre mission régalienne qui est de faire un hub de mise en relation entre les acteurs du territoire : fédérer les initiative­s, combler les trous dans la raquette, créer un sentiment d’appartenan­ce entre les entreprene­urs… Avec l’objectif que Lyon rayonne grâce à la « tech » .

« Je me sens un peu comme un chien dans un jeu de quilles »

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