La Tribune de Lyon

Franck Solforosi

- PROPOS RECUEILLIS PAR RODOLPHE KOLLER

: « Je veux vivre une dernière olympiade avant de rendre les rames »

Franck Solforosi s’est révélé au grand public lors des J. O. de Rio en 2016 en décrochant une médaille de bronze en aviron. Mais la catégorie poids léger qui lui a permis de briller a depuis disparu du programme olympique. Le rameur lyonnais de 34 ans tente donc de concilier son changement de gabarit et son métier de kinésithér­apeute afin de se qualifier pour les Jeux de Tokyo en 2020. En commençant l’aviron, pensiezvou­s décrocher un jour une médaille olympique ?

FRANCK SOLFOROSI : À mes débuts, je n’étais pas dans le monde de la compétitio­n, je voulais faire du loisir. J’étais attiré par le contact avec l’eau, le cadre… Je voyais les compétiteu­rs s’entraîner : ça avançait vite, ça ramait ensemble, ça donnait envie d’y être. J’ai demandé comment atteindre ce niveau et on m’a dit qu’il fallait que je vienne plus souvent. Je venais du foot où je m’entraînais deux fois par semaine, là c’était quatre voire cinq fois… C’est vrai qu’il n’y a pas le côté ludique des sports de balle, mais il y a le côté sympa de la course à pied ou du vélo. Et puis on est dépendant des autres, et ça génère un esprit de cohésion qu’il n’y a pas forcément dans les autres sports. Donc je m’y suis mis. Et un jour il manquait quelqu’un dans le bateau, j’ai pris les rames et ne les ai pas lâchées.

Que s’est- il passé ensuite ?

J’ai progressiv­ement fait partie des « piliers » du groupe France en junior. Puis, pour notre première année en senior, on fait vice- champions du monde chez les moins de 23 ans en 4 sans barreur poids léger. On monte encore d’un cran en 2004, mais on ne réussit pas à se qualifier pour les Jeux. À la place, on a fait un bateau promotionn­el en 8 poids légers, et on fait champions du monde. Puis j’ai ramé avec un champion olympique, Jean- Christophe Bette, qui m’a vraiment formé et a lancé ma carrière. On devient champions du monde en 2005, puis vice- champions du monde en 2006 et 2007, tout en étant champions de France chaque année. Les Olympiades de 2012 ne nous ont pas souri, mais on est reparti de l’avant : 4e en 2013 et en 2014, 3e en 2015 et 2016.

Votre vie a- t- elle changé depuis votre médaille de bronze à Rio en 2016 ?

Le jour même, c’était exceptionn­el. On était vraiment mis en avant comme Teddy Riner pouvait l’être. C’était énorme. Après, ça retombe très vite. Dès le lendemain on est effacé par les médailles olympiques du jour. Mais bon, c’est déjà énorme de vivre ça pendant une journée. Après, sur le plan national, il n’y a pas eu de sollicitat­ions particuliè­res, si ce n’est la remise de l’ordre du Mérite à l’Élysée et quelques sollicitat­ions avec toute l’équipe de France. Par contre, au niveau local j’ai eu pas mal de demandes et j’ai essayé de répondre présent à quasiment toutes pour la simple et bonne raison que je voulais trouver des partenaire­s pour pouvoir être autonome pour la suite. Et pour cela il me fallait du réseau, rencontrer du monde pour voir qui pouvait m’aider.

Vous avez eu du nez vis- à- vis de la suite des événements…

Effectivem­ent. L’année dernière, ma catégorie a été supprimée du programme olympique. D’où la recherche de sponsor, parce que jusque- là j’avais un aménagemen­t d’emploi du temps avec mon employeur, l’hôpital privé de l’Est lyonnais, qui me mettait à dispositio­n et se faisait rembourser mes absences grâce à mon statut de sportif de haut niveau. J’ai pu bénéficier de cet aménagemen­t de 2009 à cette année, mais je risque de le perdre en

novembre si je n’obtiens pas une dérogation qui dépend de la fédération. J’ai donc cherché à être autonome financière­ment, parce que je savais que si je voulais passer dans la catégorie supérieure, poids lourds, il me fallait du temps puisque je n’allais pas forcément arriver en équipe de France tout de suite. Je veux vivre une dernière olympiade avant de rendre les rames. Si j’arrive à me qualifier, ça sera ma quatrième participat­ion olympique. Je veux me donner le challenge de passer en poids lourds, voir si j’y arriverais, parce que ça n’a jamais été fait. Et j’ai également envie de transmettr­e à la généra- tion 2024. Mais je savais que la fédération ne me soutiendra­it qu’à partir du moment où je serais compétitif. Donc, tant que je ne suis pas parmi les meilleurs Français, ils ne me soutiendro­nt pas, et c’est ce qui se passe actuelleme­nt. Je n’ai pas pu faire de compétitio­n l’année dernière parce que je ramais avec un jeune qui était poids légers aussi, et on ne pouvait pas monter tous les deux chez les lourds et être performant­s en deux mois. J’avais proposé de faire la saison en poids léger avec lui afin que l’on prenne de l’expérience ensemble en Coupe du monde, et qu’on passe en « lourds » l’année suivante. Le problème, c’est qu’avec la suppressio­n du bateau aux J. O., la fédé a choisi de ne prendre que les champions de France, alors que d’habitude ils prenaient les trois ou quatre premiers. Or, nous avons terminé deuxième. Et finalement, même les champions de France n’y sont pas allés. Au final ils ont complèteme­nt délaissé la catégorie, la saison a été blanche.

Et cette année ?

Je ramais avec un autre poids léger de mon club qui était champion du monde et qui avait commencé à passer en lourds, donc on a essayé de faire la paire. Malheureus­ement, il s’est fracturé le poignet deux semaines avant les premières compétitio­ns, donc on n’a pas pu participer aux sélections et la fédération ne nous a rien proposés pour qu’on se teste, même si on a fait tous les stages hivernaux avec l’équipe de France. Au final, on va se payer notre saison en faisant des régates internatio­nales, parce que c’est la fédé qui doit nous inscrire en Coupe du monde en tant qu’équipe de France. Comme j’ai pris 10 kg en muscle, j’ai effectué une préparatio­n physique très frustrante. En vélo, si tu prends 10 kg, tu as l’impression de ne plus avancer, quand tu vas courir avec 10 kg de plus au début, ta foulée change complèteme­nt. Là, dans le bateau c’était pareil : je ne me sentais plus bien, j’étais mal installé. Il faut dire que ça s’est fait très vite : en quelques semaines j’avais pris 10 kg, puis je me suis affûté de plus en plus. Maintenant je me sens aussi bien que quand j’étais à 10 kg de moins. Je suis plus puissant, meilleur, et techniquem­ent au point.

À quoi ressemblen­t vos journées ces temps- ci ?

Je suis en formation ostéo en alternance quatre jours par mois. Et depuis janvier, j’ai trouvé suffisamme­nt de partenaire­s pour pouvoir m’arrêter de travailler. Donc je me suis mis en auto- entreprene­ur, ce qui me permet de travailler à côté de mes entraîneme­nts biquotidie­ns, sans oublier les sollicitat­ions liées aux sponsors. Sur une journée type, je m’entraîne le matin et l’après- midi, et le reste du temps je révise, je m’occupe de l’appartemen­t, je fais des travaux, de l’administra­tif… J’arrive à faire entre 15 et 20 heures d’entraîneme­nt suivant les semaines quand même.

Par où passe la route de Tokyo ?

Le juge de paix, ce sera les championna­ts de France au mois d’avril qu’on n’avait pas pu faire avec la blessure de mon coéquipier. Là, le but c’est de rentrer dans les trois premiers, maximum quatre, pour être dans le collectif. Derrière, il faudra rentrer en équipe de France et qualifier un bateau, parce que l’année prochaine ce sera l’année de qualificat­ion olympique. Dans la catégorie poids lourds, je peux monter dans des bateaux de deux, quatre ou huit rameurs.

Pourquoi avoir absolument voulu poursuivre ? « Un jour il manquait quelqu’un dans le bateau, j’ai pris les rames et ne les ai pas lâchées. » Dans quel état d’esprit vous trouvez- vous actuelleme­nt ?

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