La Tribune de Lyon

Portrait. Aubert Petit, le discret tacticien de la droite lyonnaise

- LUCAS DESSEIGNE

Pas une conférence de presse, pas un meeting, pas un conseil municipal sans voir sa silhouette. Au fond de la salle, dans l’ombre, derrière les journalist­es, il est toujours présent. Depuis dix ans, Aubert Petit appose sa patte derrière chaque action menée par le groupe Ensemble pour Lyon – Les Républicai­ns à la Ville de Lyon. Visage incontourn­able aux fonctions méconnues, Tribune de Lyon s’est penché sur le parcours de l’une des têtes pensantes de la droite lyonnaise.

« Je n’y vois pas un grand intérêt, pour la simple et bonne raison que je ne suis pas élu. Je n’ai aucun rôle dans un exécutif local, moi je suis une petite main. Si je voulais être en avant, je me serais mis sur une liste. » Lorsqu’on lui a présenté notre intention de le rencontrer pour raconter son parcours et ses fonctions, Aubert Petit a exprimé un refus cordial, mais net. L’homme tient à rester discret. Dix ans qu’il promène sa silhouette et sa petite moustache dans les coulisses de l’Hôtel de Ville, déchiffre des lignes de compte et livre ses analyses sur la vie politique lyonnaise au groupe Ensemble pour Lyon, qui réunit les 11 élus d’opposition LR de la Ville. Dix années passées sans coup d’éclat, à faire patiemment son trou : pas question que ça change.

Avis dithyrambi­ques. Mais, si Aubert Petit n’aime pas parler de lui, les élus, ceux pour qui il travaille ne se font pas prier. « Il est la mémoire de notre histoire municipale, attaque Laurence Balas, élue dans le 6e arrondisse­ment. C’est un pilier du groupe, il a un rôle essentiel. Aubert, je le connais depuis que j’ai commencé à faire de la politique, je ne m’imagine pas travailler sans lui. Il m’a beaucoup appris dans ma façon de travailler, d’être élue. Dans les différents épisodes qu’a connus notre groupe, notamment le départ de Michel Havard et l’arrivée de Stéphane Guilland, il a pu assurer la continuité et garder le cap dans l’organisati­on du groupe. » Même son de cloche du côté de Dominique Nachury. L’ancienne députée, toujours élue à la Ville, loue « la longue expérience municipale » d’Aubert Petit. « Il est celui qui a le plus de références. Il sait remettre les choses dans leur contexte, il sait mettre en relation avec ce qui a pu avoir lieu lors d’un mandat passé… C’est un vrai pro : il vous fait son analyse, donne des éléments, donne son avis si on le sollicite… Et jamais au doigt mouillé. » La liste d’éloges pourrait encore s’allonger, tant les personnes amenées à travailler avec lui semblent partager le même sentiment à son égard. « Si les avis sont unanimes, c’est parce que c’est quelqu’un d’humainemen­t respectueu­x, affirme Laurence Balas. Il a toujours un mot pour les uns et les autres, dès qu’il y a un anniversai­re d’un membre du groupe, il le fait savoir, s’il y a un décès dans la famille d’un membre, il passe un petit mot. »

Une vie privée cadenassée. Reste que les fonct ions exactes de l’homme – rémunéré par la Vi l le de Lyon – couvrent une large palette de compétence­s. « Col laborateur » , « chargé de mission » ou bien « secrétaire général » , il est celui qui récupère les informatio­ns, gère le site internet du groupe, envoie les communiqué­s de presse, analyse les documents officiels, dresse les revues de presse, assiste aux commission­s et aux réunions… Sur le pont en permanence, il est celui que l’on voit partout sans jamais vraiment savoir qui il est. Dépeint comme un bourreau de travail, « il n’est pas rare de voir son bureau à l’Hôtel de Ville allumé après 23 heures » , rapporte un connaisseu­r de la vie politique lyonnaise. Un élu va

« La droite ne peut pas gagner une élection sans Aubert, parce qu’il a toujours un coup d’avance. Il a une mémoire d’éléphant, et il est très rigoureux. »

même plus loin : « La droite ne peut pas gagner une élection sans Aubert parce qu’il a toujours un coup d’avance. Il a une mémoire d’éléphant, il est très rigoureux et travailleu­r. » En résumé, tout concourt à dresser le profil d’un personnage l isse et ent ièrement dévoué à son métier, à la vie privée solidement cadenassée. Un constat qui, en creusant, n’est qu’à peine battu en brèche. Célibatair­e sans enfant, âgé de 47 ans, Aubert Petit reste un mystère pour la plupart des élus qu’i l côtoie. « Ses amis ? Je ne peux pas vous dire. Avec lui, j’ai des relations simples et je directes, le connais cela fait mais longtemps je connais que peu sa vie personnell­e » , hésite Dominique Nachury. « C’est quelqu’un de très secret, renchérit Laurence Balas. Sur sa vie personnell­e, je ne saurais que dire… » Directeur de cabinet de Pascal Blache, le maire du 6e arrondisse­ment, Damien Gouy- Perret ne « saurait dire qui il fréquente. Ça ne transpire pas. Je sais qu’il est actif dans sa paroisse, dans des associatio­ns. » L’ancien maire du 6e Jean- Jacques David t ire dans le même sens : « Je sais qu’à chaque fois que j’ai eu besoin de ses services, il a su trouver le bon truc au bon moment. Mais je ne le connais qu’en tant que collaborat­eur. Je crois que je ne suis jamais allé boire un coup avec lui. Ce n’est peut- être pas quelqu’un avec qui je partirais en vacances, on n’a peut- être pas le même type d’humour… »

« Aubert est arrivé pour s’occuper de ma permanence à Lyon, et tout s’est arrangé d’un seul coup. »

Amis d’université. Tout juste apprend- on, au détour d’une conversati­on, qu’Aubert Petit et Stéphane Guilland, le patron du groupe, sont très proches, et qu’ils ont fréquenté ensemble les bancs de la fac de droit à Lyon 3, où ils ont aussi connu Laure Dagorne ( contactés, ni elle ni Stéphane Guilland n’ont donné suite à nos appels). C’est l’élue dans le 7e arrondisse­ment et ancienne conseillèr­e au Grand Lyon qui a présenté son camarade d’études à Jean- Michel « Max » Dubernard, député du Rhône de 1993 à 2007, dont il devient l’attaché parlementa­ire en 2002. L’ancien médecin, désormais retiré de la vie politique, en parle aujourd’hui avec affection. « Aubert, c’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup de respect. Quand je l ’ ai connu, je cher-

chais quelqu’un pour s’occuper de ma permanence à Lyon, qui était un peu en bazar. Il est arrivé, et tout s’est arrangé, tout s’est transformé d’un seul coup. C’est un très bon organisate­ur, quelqu’un de très rigoureux. Et puis, très fin dans l’analyse de situations politiques. » Reste une énigme : quel est le moteur qui anime ce petit homme depuis maintenant presque 20 ans ? « Personnell­ement, je n’ai jamais compris pourquoi il fai sait tout ça, poursuit Jean- Michel

Dubernard. Ni pourquoi il ne s’est jamais présenté en politique. C’est son choix, mais je ne sais pas l’expliquer. Il a des qualités qui en feraient un administra­tif de très haut niveau, dans le public comme dans le privé. » Pour

Damien Gouy- Perret, « Aubert, c’est un “techno ”, pas un politique. Il fonctionne par la règle, la loi, l’organisati­on, pas autrement. Jamais son avis politique n’entre en compte. Aubert, c’est un type qui, s’il était en politique, serait un des meilleurs. Mais je n’ai

pas le sentiment que ça le chatouille. La plupart des collaborat­eurs répondraie­nt “pourquoi

pas ”, lui non. » Enfin, un autre membre du groupe croit savoir

qu’Aubert Petit « n’a pas vraiment de passions dans la vie. Sa passion, c’est son job. Et c’est très précieux pour nous, élus, d’avoir un collaborat­eur qui ne pense pas qu’à sa carrière. » En février 2016, Aubert Petit confiait au Progrès qu’il faisait ce métier « dans l’esprit de servir l’intérêt général. (…) J’aime ce que je fais et j’ai le sentiment d’être plus utile à ce poste sans me for- cer » . Comme s’il était avant tout un amoureux du politique, fin connaisseu­r des règles du jeu et respectueu­x à l’extrême de ces règles.

Fin stratège ? Ce qui en fait, de manière non officiel le, l’éminence grise derrière les coups politiques des Républicai­ns lyonna i s. En av r il dernier, Stéphane Guilland a demandé en conseil municipal la mise en place d’une mission d’informatio­n et d’évaluation sur la politique patrimonia­le et foncière de la Ville. Une manière de contraindr­e la majorité à être transparen­te et surtout d’approcher de plus près certains dossiers notamment financiers. Une aubaine pour le groupe en vue des élections de 2020, derrière laquelle beaucoup voient la main d’Aubert Petit. Et si les élus ne le formulent pas de cette manière en rappelant que ce sont eux qui « prennent la décision » , tous rappellent l’importance de leur collaborat­eur. « Aubert m’aide à me poser les bonnes questions, à réfléchir, à avoir tous les éléments…, détaille Laurence Balas. Comme élu, on ne peut pas tout voir. Ce n’est pas lui qui décide, mais il nous donne des éléments en main pour prendre des décisions ou rédiger nos interventi­ons. Sur les comptes administra­tifs, les budgets, il a des tableaux Excel qu’il enrichit chaque année. Il pousse dans ses retranchem­ents la commission des finances. Je sais que grâce à lui je suis attendue à chaque commission : j’ai toujours une grande liste de questions qu’Aubert se charge de compléter, il trouve des erreurs que les services n’avaient pas vues. » « Aubert Petit est capable de sortir d’un compte administra­tif ou d’un budget la ligne qui déconne, raconte un ancien journalist­e lyonnais. C’ est super- pratique: tu lui passes un coup de fil, tu sais que c’est un mec hyper- fiable, il aura vu la virgule qui manque à la page 4 235. Et il est capable de faire une interpréta­tion politique en dehors de tout appartenan­ce. » Autre avantage, « avec Stéphane Guilland, comme ils se connaissen­t bien, la confiance est réciproque et instinctiv­e » , poursuit ce connaisseu­r de la vie politique lyonnaise. En définitive, l’action d’Aubert Petit illustre une réalité bien souvent ignorée, à tous les étages de la vie politique : si les élus sont ceux qui prennent la lumière et les décisions, ils sont avant tout ceux qui entérinent le travail de collaborat­eurs et de cabinets de l’ombre. Pas sûr toutefois que le manque de reconnaiss­ance publique soit un frein pour Aubert Petit, qui aurait sinon arrêté il y a bien longtemps. Sur la route des municipale­s de 2020, on devrait le voir encore souvent. Il sera là, comme toujours, au fond de la salle. Tendant une oreille, et réfléchiss­ant déjà, sans doute, au coup suivant.

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Collaborat­eur de la droite lyonnaise depuis dix ans, Petit ( à droite), se tient à l’écart des médias.
 ??  ?? Aubert Petit assiste à tous les conseils municipaux. Il est la « mémoire vivante » du groupe Les Républicai­ns.
Aubert Petit assiste à tous les conseils municipaux. Il est la « mémoire vivante » du groupe Les Républicai­ns.
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© CLAIRE AG NELLI

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