L’édito de François Sapy
L e coup de gueule de Michel Lussault, patron de l’École urbaine de Lyon, est salutaire. Ce géographe dénonce le projet de rénovation urbaine de Gerland, l’un des quatre chantiers majeurs lancés par Gérard Collomb lorsqu’il était maire de Lyon, avec la Confluence, les berges ( de Saône et Rhône) et La Part- Dieu.
Que dit Lussault sur Gerland, mais aussi – dans une moindre mesure – sur la Confluence ? Que la puissance publique n’a pas respecté l’identité de ce quartier, en lançant d’énormes programmes de logements ( comme dans la ZAC des Girondins par exemple) sans suffisamment prendre en compte la vocation naguère ouvrière de Gerland, quartier marqué par des entrepôts et des petits ateliers qui ont été impitoyablement rasés au profit de grands ensembles quadrillés. Bref, que l’on a construit sans respecter la mémoire.
L’urbanisme est, à mon sens, le domaine qui
cristallise le plus le débat politique : quand on lance une opération urbanistique, on est toujours, aux yeux des uns et des autres, un peu trop ceci ou pas assez cela. Rappelez- vous, l’Hôtel- Dieu… Le même débat a eu lieu entre ceux qui voulaient conserver la mémoire du lieu à tout prix, en y créant un musée de la santé ( alors même que son équivalent parisien fermait faute de fréquentation) et ceux qui voulaient avant tout sauver ce bâtiment malgré la rareté des deniers publics. Ces derniers ont remporté la partie parce que les autres ne proposaient rien d’économiquement acceptable ; rien pour financer le principe de mémoire.
J’entends donc le coup de gueule de Lussault, mais je vois aussi que Lyon manque de logements. Que les classes moyennes sont impitoyablement chassées du centre de la ville. Que Lyon est la métropole de France où les prix de l’immobilier progressent le plus. Il faut encore construire des logements, et densifier le tissu urbain.
Nos dirigeants ne choisissent jamais entre
blanc et noir. Ils choisissent entre gris clair et gris foncé. Les friches industrielles sont peut- être un témoin important du passé et, tant que faire se peut, il faut les préserver. Mais il est plus important à mes yeux de permettre à des Lyonnais de se loger. Et il me semble difficile de conserver ces grands espaces vides au coeur d’un quartier en plein boom, alors que la pression foncière est à son maximum.
Alors, bien entendu, il ne s’agit pas d’être caricatural et de faire la même chose que la Chine, qui détruit sans hésiter des pans entiers de ses villes et qui, du coup, casse tout lien social dans les quartiers à grands coups de barres d’immeubles affreuses. Mais il ne s’agit pas non plus de transformer nos villes en musées. Car si tel était le cas, seuls les très riches pourraient habiter dans ces quartiers figés.