La Tribune de Lyon

LES CRIMES CÉLÈBRES

- RODOLPHE KOLLER

Avec le temps, l’histoire a presque été réduite à une anecdote pour touristes. « Savez- vous qu’un président de la République fut assassiné à Lyon ? »

Au pied du Palais de la Bourse, ne subsistent qu’une plaque commémorat­ive et une dalle rouge au sol, marquant l’endroit où Sadi Carnot fut poignardé le 24 juin 1894, avant de succomber dans la nuit suivante. Mais au- delà de ce qui tient plus du clin d’oeil que du véritable lieu de mémoire, que reste- t- il de cet épisode de l’histoire de France ? Le président de la IIIe République était arrivé à Lyon le 23 juin. Il s’agissait de sa deuxième visite après celle de 1889, à l’occasion de laquelle il avait baptisé l’actuelle place Carnot en l’honneur de Lazare Carnot, son grandpère. Cette fois, c’est l’exposition universell­e et coloniale organisée au parc de la Tête d’Or qui a motivé son déplacemen­t, à quatre mois du terme de son mandat.

« Vive la révolution ! »

Quittant peu après 21 heures un dîner organisé au Palais de la Bourse pour se rendre au théâtre, le président regagne son convoi, dont le landau est aujourd’hui conservé au musée de l’Automobile de Rochetaill­ée. Le long de la rue de la République, des centaines de Lyonnais se sont massés. Même s’il a déjà été victime de deux tentatives d’assassinat au cours de son septennat, aucune mesure de sécurité n’a été prise : le convoi roule au pas, les portières de sa calèche ne sont pas gardées. Et pour cause, Sadi Carnot a réclamé à son escorte montée de se tenir derrière sa voiture afin qu’il puisse voir la foule. Alors que l’attelage s’élance, un individu surgit, grimpe sur la voiture et assène un coup de couteau au président en criant « Vive la Révolution ! » . Cet homme, c’est Caserio. Militant anarchiste italien de 21 ans, il a fui son pays et travaille comme boulanger à Sète. Liquidant sa solde, il s’est offert un poignard et plusieurs billets de train qui le mènent à Vienne, d’où

il rallie Lyon à pied, faute d’argent. Tandis que l’assassin est rattrapé et maîtrisé, le professeur Gailleton, maire de Lyon, se charge de prodiguer les premiers soins à Sadi Carnot. Mais son teint pâle et la faiblesse de son pouls inquiètent. Ce n’est pas à l’Hôtel- Dieu voisin que le président est alors conduit, mais à la préfecture du Rhône. Sérieuseme­nt touché au foie, personne ne parvient à stopper l’hémorragie. Pas même les sommités médicales lyonnaises que sont les Dr Poncet, Ollier et Masson, qui assistent impuissant­s à l’agonie du président. Le décès de Sadi Carnot est constaté à 00 h 40. Avant ses funéraille­s au Panthéon le 1er juillet, un deuil national de 30 jours est décrété. Mais à Lyon, une véritable chasse à l’Italien est lancée. Des bandes se forment et ratissent les rues de la ville. Les commerces tenus par des Transalpin­s sont pillés ; des appartemen­ts tirés au hasard dans le bottin en raison de la consonance italienne du nom de leur propriétai­re sont saccagés.

Geste symbolique.

Débordée, la police ne reprendra le contrôle des événements que le 26 juin, avec l’aide de l’armée, et procédera à 1 200 arrestatio­ns. Sur les 10 253 Italiens recensés dans la ville, 3 200 réclament un rapatrieme­nt d’urgence à leur consulat. Quant à Caserio, i l reconnaîtr­a son crime et revendique­ra avoir voulu venger un camarade anarchiste, Ravachol, qui, condamné à mort, n’avait pas été gracié par Sadi Carnot. Sous la IIIe République, le rôle du président est essentiell­ement honorifiqu­e, ce qui fera de cet assassinat un geste symbolique. Reconnu coupable d’homicide avec préméditat­ion au terme d’un procès expédié les 2 et 3 août, Caserio est guillotiné le 16 près de la prison Saint- Paul où il était enfermé. Ses restes auraient ensuite été déposés dans un ossuaire du cimetière de Loyasse. Quant à la mémoire de Sadi Carnot, elle fut d’abord honorée par un monument érigé en 1900… place Carnot. Mais la constructi­on du métro en 1975 entraînera son démantèlem­ent. Il n’en reste aujourd’hui qu’un fragment, abîmé par temps, presque oublié, devant la préfecture du Rhône, square Delestrain­t.

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