La Tribune de Lyon

L’édito de François Sapy

- FRANÇOIS SAPY, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

Il va falloir s’y habituer. Les partis politiques ne sont plus là pour canaliser la grogne populaire, l’orienter, la rendre lisible.

Près de 4 000 Gilets jaunes étaient recensés dans le départemen­t du Rhône en début de semaine, alors que nous bouclions le journal. Comme la Manif pour tous naguère ou, plus récemment, les participan­ts aux Nuits debout, ces Gilets jaunes semblent échapper à toute affiliatio­n politique.

Ils expriment une colère que les partis d’opposition tentent vaille que vaille de récupérer, mais on sent bien que les partis classiques sont complèteme­nt largués. Et pour cause : difficile de défendre avec un air convaincu des arguments brouillons avancés par les Gilets jaunes dont certains sont contredits par les statistiqu­es économique­s : c’est surtout la hausse du baril de pétrole qui a conduit à l’augmentati­on des prix du diesel, d’une part, et le pouvoir d’achat devrait augmenter suite aux dernières mesures d’allègement­s des charges sociales mises en place par le gouverneme­nt. Cette colère spontanée qui jaillit est d’autant plus inquiétant­e qu’elle ne se nourrit pas d’éléments rationnels. Elle échappe aux partis qui sont là pour proposer un modèle de société, elle exprime un ras- le- bol confus. Naguère, les partis canalisaie­nt et disciplina­ient la colère. Aux citoyens engagés ou mécontents, ces partis offraient la capacité d’organiser de grands rassemblem­ents, un peu comme des hubs logistique­s. Mais, avec les réseaux sociaux, les citoyens en colère n’ont plus besoin de ce service : très vite, un discours posté sur n’importe quel réseau social peut bénéficier d’une caisse de résonance considérab­le. Auparavant, il fallait des conférence­s de presse, accéder aux « grands » médias pour faire entendre sa voix : seuls les partis pouvaient le faire. Désormais, un simple tweet gratuit suffit pour lever une armée de Gilets jaunes. Le soufflé retombera très vite, mais cette colère désordonné­e me fait craindre le pire quand la colère sera plus ardente.

L’autre inquiétude, c’est cette opposition larvée

entre les villes et les champs qui prospère et que symbolisen­t les Gilets jaunes. De plus en plus, l’opposition métropoles- campagnes prophétisé­e par Jean Viard dans son Nouveau

portrait de la France se vérifie. Entre les habitants d’une métropole comme celle de Lyon qui ont tout, et ceux de la campagne, qui se sentent abandonnés de tous ( y compris des médias), les couteaux sont tirés. La fracture devient béante au point que nul ne peut affirmer aujourd’hui que cela ne conduira pas au pire.

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