La Tribune de Lyon

Prisons. Comment Lyon s’active pour une meilleure réinsertio­n des détenus

- DOSSIER RÉALISÉ PAR ROMAIN DESGRAND ET PHOTOS PAR SUSIE WAROUDE

Longtemps considérée comme une peine de référence, la prison a montré ses limites. Désociabil­isant, déresponsa­bilisant et coûteux, l’enfermemen­t est trop souvent contreprod­uctif en matière de réinsertio­n et conduit dans plus de la moitié des cas à la récidive. À Lyon, plusieurs acteurs tentent, en lien avec l’administra­tion pénitentia­ire, de faire bouger les lignes. Objectif : changer le regard de la société et « donner du sens à la peine » .

« Le plus dur, ce n’est pas la prison. C’est la sortie » . De sa voix légèrement éraillée, Ludovic raconte la sensation de vide et d’exclusion qui l’a envahi à sa libération après un an de détention pour différente­s affaires de vol. « Derrière les barreaux, on vit la violence, l’enfermemen­t total. On nous enlève notre identité d’homme, on nous appelle par notre numéro d’écrou. Et quand on sort, on nous renvoie sans cesse cette image d’ancien détenu. On reste comme un déchet pour le monde, sans seconde chance. » Son « choc carcéral » est loin d’être une exception. Saisi pour la première fois sur des questions de justice par le Premier ministre, le Conseil économique social et environnem­ental ( Cese) a dévoilé en novembre 2019 un avis éloquent par la voix de son vice- président, le Lyonnais Antoine Dulin ( lire encadré). La prison qui doit à la fois sanctionne­r le fautif et le préparer à sa réinsertio­n, peine à remplir ses missions. « En les privant de la possibilit­é de jouir de leurs droits fondamenta­ux, de la capacité d’exercer un emploi et d’assumer leur responsabi­lité, la détention contribue à la précarité » , note le conseil.

Une machine à désinsérer. Pire, dans un univers carcéral surpeuplé ( lire encadré), l’emprisonne­ment exacerbe les fractures déjà souvent présentes dans le parcours de vie des détenus. Le taux de récidive est alarmant : 63 % des personnes libérées sans accompagne­ment ou aménagemen­t de peine rechute dans les cinq ans. À titre de comparaiso­n, le chiffre descend à 34 % après une peine de travail d’intérêt général, l’une des alternativ­es que souhaite promouvoir le gouverneme­nt. « Aujourd’hui, la prison est plutôt une machine à désinsérer qu’un outil de réinsertio­n et de reconstruc­tion pour les personnes » , résume Antoine Dulin. Le Cese, assemblée consultati­ve représenta­nte de la société civile, estime que la loi de programmat­ion et de réforme pour la justice de mars 2019 ne va pas assez loin. « Il faut sortir d’un système qui, par ses références et ses choix budgétaire­s, reste centré sur la prison

alors que d’autres mesures, moins onéreuses, permettent de sanctionne­r sans exclure » , explique le Cese. Car des alternativ­es existent, pour les peines, comme pour les aménagemen­ts, mais restent encore trop peu explorées. Ainsi, en région Auvergne Rhône- Alpes, seules 24,3 % des personnes condamnées bénéficien­t d’un aménagemen­t de peine ( semi- liberté, placement extérieur, surveillan­ce électroniq­ue, etc.). À Lyon, pour faciliter l’insertion et inverser la tendance, plusieurs acteurs associatif­s travaillen­t en lien avec l’administra­tion pénitentia­ire, elle- même dotée de Services d’insertion et de probation ( Spip) dont la fonction première est de lutter contre la récidive.

« Amnésie collective » . L’enjeu est de taille car, on l’oublie souvent, la quasi- majorité des personnes emprisonné­es retrouvent, un jour ou l’autre, la liberté. La durée moyenne des peines s’élève à huit mois, la perpétuité ne représenta­nt que 0, 8 % des personnes condamnées.

« Il y a une forme d’amnésie collective de la sortie, estime Judith Le Mauff qui travaille au sein de l’associatio­n Le Mas basée à Lyon. On est rassuré que la personne rentre en prison, on se dit qu’elle ne va plus agir. Mais on oublie un peu qu’elle va ressortir et qu’elle sera notre voisine. OEuvrer pour de meilleures conditions de détention et moins de surpopulat­ion, ce n’est pas de la charité pour les détenus. C’est oeuvrer pour moins de victimes au final. »

Pour apporter sa pierre à l’édifice, l’associatio­n déploie plusieurs actions, en collaborat­ion avec le Spip du Rhône. Depuis 2018, Le Mas porte, par exemple, une expériment­ation inédite à la maison d’arrêt de Corbas : le Bureau unique d’insertion. Financée par l’administra­tion pénitentia­ire, l’opération vise, grosso modo, à contourner le système d’empêchemen­t de la prison pour permettre aux détenus de réaliser différente­s démarches administra­tives ( demande de Revenu de solidarité active, carte d’identité, etc.). « Cela part d’un constat assez simple : en détention, la moindre démarche est

extrêmemen­t difficile, notamment pour refaire sa carte d’identité, détaille Judith Le Mauff. Or, sans ce “sésame ”, on ne peut rien faire. On va alors organiser la venue d’un photograph­e en prison et celle de la Préfecture qui va réaliser la prise d’empreinte avec une mallette. Le détenu pourra ensuite réaliser sa demande d’appartemen­t pour sa sortie, par exemple » . L’hébergemen­t est d’ailleurs l’un des champs d’action fort du Mas qui possède 36 places sur Lyon à destinatio­n des personnes sortantes de détention ou sous main de justice. Car, parmi les alternativ­es à la prison, existe le placement extérieur qui permet à une personne toujours sous écrou de réaliser sa peine en dehors de l’établissem­ent pénitentia­ire tout en respectant certaines conditions ( horaires, interdicti­ons de fréquenter certains lieux ou certaines personnes, etc.) Autre option : le placement extérieur individual­isé cette fois- ci chez le condamné, sans bracelet électroniq­ue, avec l’appui d’un éducateur. « La mesure est très peu utilisée en France, c’est un peu une spécificit­é lyonnaise. Elle permet de responsabi­liser et d’éviter le choc carcéral pour les personnes déjà fragiles psychiquem­ent » , explique Judith Le Mauff.

« Oui, il faut qu’il y ait une sanction. Mais il faut qu’elle soit utile, à la fois pour la personne et pour la société » , enchaîne Léa Grujon, directrice de Possible. Basée dans le 3e arrondisse­ment, l’associatio­n a pour objectif d’accompagne­r la société civile à comprendre la problémati­que et à s’engager concrèteme­nt pour la réinsertio­n des personnes condamnées. D’autant plus que l’opinion publique tend à se durcir. Selon une étude publiée par la Fondation Jean Jaurès en 2018, 45 % des Français considèren­t que la prison doit, avant tout, préparer à la réinsertio­n. Ils étaient 72 % en 2000.

« En France, on considère souvent que s’il n’y a pas de prison, il n’y a pas de sanction. Or, il existe tout un tas d’autres sanctions contraigna­ntes en termes de liberté d’agir qui n’ont pas d’impact aussi nuisible sur les personnes ( perte d’emploi, isolement social, etc.) et au final sur la société. C’est cela qu’on essaie d’insuffler : la prévention de la récidive et la réinsertio­n des personnes condamnées c’est une affaire publique. » Créé en 2014, Possible ( ex- Chant iers- Pas sere l les),

a d’abord oeuvré pour développer la peine de travail d’intérêt général. L’initiative a porté ses fruits. En 2018, l’État a créé une agence nationale dédiée au travail d’intérêt général et l’insertion profession­nelle des personnes placées sous main de justice, se nourrissan­t notamment des réalisatio­ns de l’associatio­n lyonnaise. Désormais, Possible élargit son champ d’action, accompagna­nt, entre autres, les projets de la société civile qui contribuen­t à « donner du sens à la peine » . D’abord expériment­é en région lyonnaise, le programme Act’ice qui propose neuf mois d’appui aux porteurs de projets ( accompagne­ment individuel, séminaire collectif, etc.) vient tout juste de faire son grand lancement national.

Parmi les structures qui ont bénéficié de la phase expériment­ale se trouve Wake up Café. Créée à Paris en 2014, l’associatio­n s’est implantée dans la capitale des Gaules l’année dernière et va bientôt emménager sur une péniche de la Saône. Son credo : mêler accompagne­ment individual­isé ( préparatio­n à l’emploi, simulation d’entretien, etc.) et collectif ( groupe de parole, etc.). « Nous identifion­s d’abord les besoins du “waker ” pour parler avec lui de son projet pour ensuite mobiliser les partenaire­s nécessaire­s » , explique Mathilde Duteil, responsabl­e Rhône- Alpes.

Depuis la création de Wake up Café à Paris, 292 personnes ont été accompagné­es après leur sortie de prison avec un taux de retour en incarcérat­ion de moins de 10 %. Toute nouvelle à

Lyon, l’associatio­n se concentre pour l’instant sur les « sorties sèches » mais espère, comme dans la capitale, pouvoir bientôt intervenir dans le cadre des aménagemen­ts de peine et directemen­t dans les prisons de l’agglomérat­ion avec son parcours de remobilisa­tion et de reconstruc­tion. « L’intérêt, c’est de pouvoir préparer la sortie avant la sortie » , conclut Mathilde Duteil. Un sentiment partagé par Ludovic, l’ancien détenu, qui depuis a remonté la pente et lancé son autoentrep­rise dans le domaine du service à la personne. « La clef pour réinsérer le détenu est de l’accompagne­r dès son entrée en prison et de lui faire comprendre qu’il peut se reconstrui­re. La prison telle que nous la connaisson­s aujourd’hui détruit. Je crois qu’il peut y avoir un autre système de “réparation ”, plus humain. »

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Le coût d’une journée pour l’état en prison peut aller de 64 à 140 euros. Il est de 31 euros pour une journée en placement extérieur et de 12 euros pour une surveillan­ce électroniq­ue.
Entrée en détention dans la prison de Corbas. Le coût d’une journée pour l’état en prison peut aller de 64 à 140 euros. Il est de 31 euros pour une journée en placement extérieur et de 12 euros pour une surveillan­ce électroniq­ue.

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