La Tribune de Lyon

À l’affiche. Bruno Boëglin, le punk de la scène lyonnais

- PAR CAROLINE SICARD PHOTO SUSIE WAROUDE

Il est l’un des grands metteurs en scène français des 50 dernières années, aux créations radicales. Aujourd’hui Bruno Boëglin s’est mis à la peinture et présente une exposition de ses oeuvres au Mascarille théâtre. Mais il n’en a pas encore fini avec la scène.

Extrême. Bruno Boëglin est un homme exquis et rugueux. Il nous accueille dans son appartemen­t des pentes de la CroixRouss­e, avec des petits gâteaux achetés à la boulangeri­e, et nous parle d’emblée sans détour : de ses problèmes de santé, de son père — le comédien Jean- Marie Boëglin — « qui n’arrive pas à mourir depuis un an » , et bien sûr du théâtre, qu’il n’aime plus. « Toutes les mises en scène se ressemblen­t, il n’y a plus de créations extrêmes comme pouvaient l’être celles de Chéreau. Les rares fois où je vais au théâtre, je me fais chier ! Je ne suis plus bouleversé à la vue d’un spectacle. » Roméo Castellucc­i est le seul metteur en scène qui trouve aujourd’hui grâce à ses yeux. Mais il n’est pas plus tendre avec ses propres pièces : « J’en ai fait beaucoup trop pour qu’elles soient toutes bonnes. » Et le metteur en scène d’énumérer le peu qu’il estime avoir réussi : Pan Theodor Mundstock, L’Occupant de l’Enclos et Gracias a Dios.

Koltès. Le dramaturge n’a rien perdu de son tranchant ni de sa radicalité, alors qu’il peste contre les nouvelles technologi­es, ordinateur­s en tête, en se débattant avec sa cigarette électroniq­ue. Adoubé par Georges Lavaudant comme

« l’un des rares poètes de la scène » , l’ancien directeur du théâtre de l’Eldorado et de la compagnie Novothéâtr­e a marqué la scène avant- gardiste française avec ses mises en scène extrêmes. C’est d’ailleurs lui le premier qui a commandé une pièce à Bernard- Marie Koltès, Sallinger, quand celui- ci était encore inconnu. Un texte que Koltès lui a remis un matin, sur le quai de la gare Perrache, en échange d’une enveloppe d’argent qu’il a empochée sans prononcer un seul mot, avant de reprendre le train suivant pour Paris. « Je l’ai beaucoup aimé et pas seulement parce qu’il écrivait bien. Par contre, c’était un grand séducteur. Même quand il venait ici, il allait tous les soirs draguer dans le Vieux Lyon. »

Astier. Peu de personnes peuvent se vanter de leur vivant d’être soutenues par une associatio­n d’amis, comme l’Associatio­n des amis de Bruno Boëglin. « Moi, ça me donne l’impression d’être déjà mort ! » Car le sexagénair­e est bien vivant et compte quelques projets, dont celui d’écrire un roman sur sa vie, entre fiction et autobiogra­phie. « Il m’est arrivé des choses incroyable­s » , s’amuse- t- il. Le metteur en scène a même failli être le père d’Alexandre Astier.

« Mon ex- femme, Joëlle Sevilla, avait essayé de me faire croire qu’il était de moi, mais ça n’a tenu que quelques jours. Aujourd’hui on en rit avec Alexandre » , raconte celui qui a tenu le rôle d’un chef viking dans un des épisodes de la série Kaamelott.

Solitaire. Nommé en 1986 à la tête du Centre dramatique national des Alpes, à Grenoble, le dramaturge se serait fait virer au bout de 18 mois pour avoir osé dire : « Pour commencer, commençons petit. » Une sortie en forme de mantra qu’on pourrait appliquer à sa peinture, nouvelle pratique artistique qu’il a commencée il y a dix ans. Sur de petits panneaux en bois, il peint des motifs au style déjà reconnaiss­able, s’inspirant aussi bien d’autres peintres comme Egon Schiele que de peintures mayas, lui qui s’est pris de passion pour le Nicaragua et l’Amérique centrale grâce à Koltès. « Aujourd’hui j’aime mieux peindre que faire du théâtre. C’est un art solitaire qui ne fait de mal à personne. »

Voyous. Mais Bruno Boëglin n’en a peutêtre pas encore fini avec le théâtre, alors que sa dernière pièce, Irak à jamais, date de 2018. Plusieurs fois au cours de l’entretien, celui qui affirme être resté un grand timide effleure l’idée de remonter une pièce, « à condition de trouver une nouvelle façon de faire du théâtre » . Un projet, qu’il dévoile à la fin de l’entrevue : une courte pièce de 15 minutes, comme il l’avait déjà fait avec Gracias a Dios, où il serait question du goulag de Dostoïevsk­i, d’une bible rouge et de voyous jouant au rugby… Mais le Lyonnais n’est plus subvention­né depuis quelques années, alors il essaie d’engager certains de ses copains de bistrot aux vrais gueules de voyous pour les faire jouer à l’oeil. « Je crois que je vais le faire » , espère enfin le metteur en scène. Et nous avec.

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