La Tribune de Lyon

Christian Têtedoie, la transmissi­on dans la peau

- PAR VÉRONIQUE LOPES

La Bijouterie, La Mutinerie, le Flair, Lyon’s GastroPub… Des restaurant­s qui ont en commun un nom : Christian Têtedoie. Car ces établissem­ents en vogue ont à leurs têtes de talentueux chefs passés par les cuisines de son restaurant gastronomi­que. Pour certains, il a même eu un rôle de parrain pour les aider à prendre leur envol. Aujourd’hui, soutenu par les institutio­ns, le chef de l’Antiquaill­e lance son projet de CFA de la gastronomi­e pour former de plus en plus de jeunes à la cuisine. Zoom sur une figure de la gastronomi­e lyonnaise qui croit avant tout en la transmissi­on et pousse ces jeunes à prendre leur indépendan­ce.

ÀLyon, le nom de Christian Têtedoie résonne autant pour parler de sa cuisine que lors des ouvertures des établissem­ents de ses anciens chefs. Non pas par fierté, mais parce que c’est dans ses cuisines de l’Antiquaill­e ( Lyon 5e) que les jeunes chefs se sont émancipés. Jérémy Lemaitre du Lyon’s GastroPub se souvient : « Il a un management calme, serein, très pédagogue. Ce n’est pas un chef qui crie, mais il vous amène à modifier votre façon de faire en douceur. Quand on a un souci, un manque de confiance en soi, il vous remet à un poste à responsabi­lité. Il est très fort. » Faire éclore les talents et les aider à s’exprimer est dans la nature du chef étoilé. Pour preuve, en 2009 déjà, il lançait l’Arsenic, sa « pépinière de chefs » . À la suite d’un échange avec Jean- Jack Queyranne ( l’ex- président de la Région) sur le nombre d’établissem­ents lyonnais qui fermaient et qui allaient fermer faute de repreneurs, il a voulu réagir. « Je me suis dit qu’il y avait une crise de vocation dans l’entreprene­uriat, qu’il fallait aider les jeunes à s’installer, se souvient le chef qui a obtenu sa première étoile en 2000. C’est pour cela que j’ai lancé l’Arsenic, un tremplin pour jeunes chefs. Ils devaient tenir la maison pendant un an sans avoir la pression de la gestion, de la communicat­ion ou des achats. Ils devaient juste réaliser leur cuisine et se faire leur clientèle. Ensuite, ils étaient prêts à voler de leurs propres ailes. » Ce fut le cas entre autres de Ryan Dylan, chef australien, de Benjamin Millard de L’Agastache, et de Nicolas Seibold, chef de La Mutinerie ( Lyon 6e).

Le pied à l’étrier. Mais en interne, si tous les chefs n’avaient pas la possibilit­é d’intégrer cette pépinière, ils pouvaient s’appuyer sur les conseils de Simon Huet, bras droit de Christian Têtedoie, pour se lancer dans le grand bain. En effet, l’ancien cuisinier et entreprene­ur, à l’époque directeur des achats et des opérations à l’Antiquaill­e, donnait volontiers ses conseils aux jeunes chefs. Le premier fut Watanabe Hiroyuki. « Après quatre ans chez le chef Têtedoie, j’ai voulu ouvrir mon restaurant. Il m’a aidé pour le montage du projet, le local… tout en me lai s sant faire ma c ui s ine » , explique le chef japonais du Flair Gourmandis­e & Connivence, qui vient d’ouvrir son deuxième établissem­ent, Izakaya Bar- Yuzuya. Ensuite ce fut le Lyon’s GastroPub qui a bénéficié du savoir- faire du réseau Têtedoie. Montage financier, communicat­ion…

Un rôle de parrain qui permet d’attirer la lumière dès l’ouverture du jeune é tabl i s sement en mai 2016, et « gagner du temps en

communicat­ion » , confirme Jérémy Lemaitre, qui v ient d’ouvrir un corner au sein du Food Traboule, dans la Tour Rose ( Lyon 5e).

Parrain. Pour structurer ce coup de pouce qu’il donne à ses chefs, Christian Têtedoie a créé en janvier 2017 avec Simon Huet et Pascal Idoux une structure entièremen­t dédiée à l’accompagne­ment des plus jeunes : la CIA, Chefs intelligen­ce agency. « Face aux difficulté­s rencontrée­s par mon fils Jeff quand il a ouvert son restaurant ( Le Café Terroir, Lyon 2e), je me suis dit qu’il y avait quelque chose de plus à faire pour aider ces jeunes à s’installer et leur livrer une solution clés en main. On a réuni des architecte­s, des avocats, des comptables… tous les corps de métier nécessaire­s à la création d’une entreprise. On s’occupe de toutes les démarches administra­tives, constituti­on de société, recherche du lieu, négociatio­n du bail, définition de l’ambiance dans laquelle ils veulent recevoir leurs clients, business plan, permis d’exploiter, de former… En contrepart­ie, on leur demande d’adhérer à la centrale d’achats que l’on a créée, qui leur permet de bénéficier de tarifs préférenti­els dès leur ouverture. Les banques savent que je suis derrière et que je peux contrôler la gestion. Ça les rassure. »

En trois ans, le trinôme de la CIA a déjà aidé cinq établissem­ents à voir le jour : La Piada, La Table Wei, La Mutinerie, Sesame Coffee et Au Goût à Goutte, cave à vins et à manger croix- roussienne qui ouvrira en mars. Des projets qui ne sont pas tous portés par des anciens de Christian Têtedoie. « Ce qui nous intéresse, c’est d’épauler et d’accompagne­r des jeunes porteurs de projets, mais surtout que ces derniers fonctionne­nt dans la durée. Donc en plus de l’aspect administra­tif, il n’est pas rare que l’on propose d’étudier les process, de mettre le chef en situation pour voir s’il peut tenir le rythme d’un service, de tester les recettes… » , explique Pascal Idoux.

Révélateur de talents. Quand on commence à énumérer la liste de ses anciens collaborat­eurs aujourd’hui installés ( Arnaud Laverdin de La Bijouterie, Ludovic Mey des Apothicair­es, Louis Fargeton de l’Établ i, Ismai l Guerre- Genton de l’Empreinte à Lille…), le chef de 58 ans sourit. « Ça commence à faire beaucoup… » Et trois supplément­aires viennent rejoindre la l iste : Benjamin Millard ( photo) avec L’Agastache, rue Duguesclin, Nicolas Lhote ( ancien chef à L’Arsenic), et Tristan Picot ( chef sommelier) avec le Cochon qui boit à la place de l’Ourson qui boit, rue Royale. « Je suis fier d’eux, de leur avoir donné confiance en l’avenir et le goût d’entreprend­re. Et puis j’espère par ce biais soutenir la belle cuisine française, dans le sens où je forme le voeu secret que d’ic i 10- 15 ans i l s aient envie

mais aussi des Maîtres Cuisiniers de France, Meilleurs Ouvriers de France et des Toques blanches lyonnaises.

Intervenan­t sur les trois années du cursus, Jérémy Galvan porte une attention toute particuliè­re à l’intégratio­n des élèves : « Dès leur arrivée, nous trouvons les qualités de chacun, là où ils sont le plus à l’aise, pour qu’ils aient une valeur reconnue au sein du groupe. Quand ils se sentiront bien et seront soudés, ils pourront exprimer leur créativité, innover. C’est ce ciment qui va les emmener vers le haut. »

d’entreprend­re quelque chose de plus impor tant , e t q u ’ i l s viennent prendre la succession de belles maisons à Lyon. Ils auront alors la confiance des banques et la reconnaiss­ance du public. »

Un succès qui n’est pas dû à un recrutemen­t pointilleu­x, bien au contraire. « Je choisis les jeunes uniquement sur leurs motivation­s. Je reçois tout le monde, même des gens qui n’ont pas d’expérience dans le métier » , explique le chef Meilleur Ouvrier de France en 1996. À l’image d’Alexandros, un jeune en échec scolaire qui est arrivé chez lui comme plongeur. À force de l’observer, il découvre que le jeune n’osait pas lui dire qu’il voulait faire de la cuisine. Il décide donc de le prendre en apprentiss­age, le faisant passer de commis à second de cuisine. « Après six ans dans la maison, il est parti pour monter son projet, à Lyon j’espère, de restaurant grec. Alors à chaque fois que je suis à l’étranger et que je vois des restaurant­s grecs, je prends la carte en photo et je lui envoie. Je fais mon rôle de papa ( r i res). J ’ ai une grande famille. » Un regard toujours bienveilla­nt sur ses protégés, dont le succès suffit à sa satisfacti­on. Pourtant, il admet que son management ne convient pas à tous, et certains peuvent abuser de sa gentilless­e : « Je suis peut- être trop patient, pas assez exigent… mais je suis comme ça, je ne sais pas faire autrement » confie Têtedoie.

Chacun sa chance. En plus de sa confiance e t bienvei l lance, Têtedoie crée des conditions de travail propices à cette émancipati­on. Par exemple, sSa formule déjeuner sert régulièrem­ent de test. Toutes les semaines, deux entrées, deux plats et deux desserts peuvent être proposés par les jeunes. « Quand ils ont compris les mécanismes de création d’une recette, et qu’ils sont à l’écoute des reproches que l’on peut faire sur ce qu’ils ont imaginé, ils progressen­t et finissent par faire du premier coup des recettes plébiscité­es par les clients » , explique celui qui a dans sa brigade 25 cuisiniers et six pâtissiers. D’ailleurs, ces chefs méritants ont le droit de prendre pendant un mois les rênes du restaurant Le Phosphore, à l’Antiquaill­e, depuis avril 2019. Un établissem­ent qu’il a d’ailleurs rebaptisé Prémices de chefs. « Cela participe à la prise de confiance. Ils n’ont pas de limitation de produits, ils sont libres. Le rapport qualité- prix du Phosphore doit être le meilleur de la ville ! » , conclut Chr ist ian Têtedoie, dont le modèle Paul Bocuse lui avait un jour glissé en prenant le café dans son restaurant du quai Pierre Scize : « Ah ! toi au moins, tu mets tes équipes en avant. » Vous connaissez la suite.

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Ici, avec Benjamin Millard qui ouvre son restaurant, L’Agastache dans le 6e arrondisse­ment.

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