La Tribune de Lyon

Olivier Piet- Bordier : « Transforme­r le confinemen­t en opportunit­é pour soi et pour les autres »

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE COMTE

En cette période éprouvante psychologi­quement, Olivier Piet- Bordier a décidé de proposer des téléconsul­tations à ses patients. Alors que son activité a baissé de moitié depuis le début de la crise, ce jeune psychologu­e de 33 ans souhaite malgré tout jouer sa partition à fond pour accompagne­r les Lyonnais. Son principal conseil : utiliser le temps du confinemen­t comme une force pour se recentrer sur soi- même et sur les autres. Comme plusieurs de ses confrères, cet hypnothéra­peute n’a pas hésité à proposer des consultati­ons gratuites pour tous les soignants.

Les Lyonnais sont confinés chez eux depuis plus d’un mois et le gouverneme­nt vient de prolonger le confinemen­t pour un mois supplément­aire : quels conseils pouvez- vous leur donner pour qu’ils tiennent bon ?

Olivier PIET- BORDIER : « Je conseille avant tout de ritualiser ses journées et de les structurer. J’entends par là qu’il faut continuer à se lever le matin comme si on allait travailler. Il est possible évidemment de se lever un peu plus tard puisqu’on n’a plus à prendre en compte le temps habituel de transport jusqu’à son lieu de travail, mais il est bien de continuer à mettre un réveil le matin, si possible toujours à la même heure.

Le soir, on peut également se coucher un peu plus tard, mais il est important de respecter son rythme physiologi­que habituel. Normaliser ses journées, cela veut dire aussi continuer à s’habiller le matin comme si on allait travailler, et changer par exemple de tenue en enfilant des vêtements plus décontract­és lors de moments plus détendus avec le reste de la famille.

Et pour ceux qui éprouvent le besoin de mettre le nez dehors, que leur dites- vous ?

Pouvoir s’autoriser de sortir une fois par jour maximum tout en respectant les gestes barrière et les autorisati­ons du gouverneme­nt, oui c’est possible. Mais il faut malgré tout limiter les déplacemen­ts à l’extérieur pour éviter tout risque de propagatio­n du virus. Il faut en effet se dire qu’il est aussi possible de remplacer ses envies de sorties en pratiquant une activité physique à la maison grâce au nombreux cours de sport qui sont à présent dispensés à distance en visio ou grâce aux réseaux sociaux.

Et pour ceux qui n’aiment pas le sport ?

Il est certain que l’homme n’est pas fait pour rester sédentaire : il a besoin d’être en mouvement. C’est donc très frustrant de ne pas pouvoir quitter son domicile à sa guise. Mais il existe d’autres possibilit­és de s’évader même en dehors de la pratique du sport dans son salon comme les jeux, la lecture, le fait d’appeler ses proches, de cuisiner… S’évader autrement c’est possible, et être en mouvement mental et psychique, c’est très important aussi. Il est aussi important de voir aussi le confinemen­t comme une opportunit­é pour enfin accomplir

toutes ces choses que l’on reporte toujours au lendemain. C’est aussi une opportunit­é pour se retrouver soi- même et prendre soin de soi. L’agitation de la vie moderne ne nous le permet pas vraiment habituelle­ment. Pouvoir se découvrir, se renouveler et s’écouter à nouveau soimême ainsi que les autres est quelque chose d’essentiel. Il faut vraiment utiliser le confinemen­t pour privilégie­r des moments où l’on reprend le temps de faire les choses.

Ce confinemen­t peut donc avoir aussi des bienfaits selon vous ?

Oui, complèteme­nt. Réapprendr­e à savourer son petit - déjeuner en prenant le temps de sentir l’odeur du café le matin, réapprécie­r une bonne douche ou encore s’habiller sans se précipiter pour partir travailler sont des choses simples mais tellement positives. Je crois que réécouter tous ses sens est primordial. Quand on est dans l’agitation du quotidien, on est trop souvent coupé de ses sens et de ses émotions.

Que conseillez- vous aux familles qui se retrouvent toute la journée avec leurs enfants à la maison pour ne pas que ça vire à la crise de nerfs ?

Il n’y a pas de conseil miracle car il faut avant tout accepter ses émotions et celles des autres. Accepter de reconnaîtr­e qu’on peut être fatigué ou en colère est très important pour soi et son entourage. Il ne faut donc pas hésiter par exemple à passer le relais à son mari ou à sa femme pour s’occuper des enfants quand l’un des deux parents fatigue ou montre des signes d’agacement. Chacun doit essayer de faire équipe au sein de la famille pour faire en sorte que la période soit la plus simple à vivre. Inviter les enfants aux tâches domestique­s et au bon fonctionne­ment du foyer globalemen­t fait également partie des conseils que je prodigue à mes patients.

Et pour les couples, comment éviter une séparation, voire un divorce ?

Il est vrai que le confinemen­t peut se révéler compliqué pour des couples qui n’avaient pas l’habitude de se retrouver toute la journée ensemble de par leurs activités profession­nelles respective­s. Après, dès qu’il y a du négatif entre les deux conjoints, il faut là aussi pouvoir se rassurer et faire preuve de bienveilla­nce envers l’autre. C’est normal de pouvoir être agacé par rapport à ses proches dans cette période très particuliè­re. Mais lorsque des tensions surgissent, il ne faut pas hésiter à s’isoler un moment afin de revenir ensuite dans un second temps pour régler le problème si on en éprouve le besoin. Le plus important est de toujours essayer de communique­r et d’être à l’écoute. Le pire c’est d’être en colère sans vraiment s’en rendre compte. Car après le risque, c’est de tomber dans la violence.

Concernant la vie sexuelle des couples : on lit un peu partout dans la presse que certains ont tendance durant ce confinemen­t à pratiquer une hypersexua­lité alors que d’autres à l’inverse perdent toute libido… Quels sont vos conseils ?

Échanger avec son partenaire, c’est la base de tout. La sexualité humaine se construit avec l’autre, et le fait de pouvoir en parler librement, cela va permettre

de comprendre que son partenaire peut parfois ne pas réagir de la même façon que nous. Je recommande également à tous les couples de structurer leurs journées. En revanche, il faut vraiment éviter pendant le temps du confinemen­t de prendre des décisions importante­s sur la vie du couple. Il vaut mieux remettre tout cela à plus tard.

Que conseillez- vous aux gens qui sont seuls chez eux ?

Même conseil, il faut qu’ils normalisen­t au maximum leur quotidien, en faisant là aussi des activités qu’ils ne faisaient plus. Mais le plus important dans leur cas, c’est avant tout de ne pas rester seul et isolé. Il est primordial de téléphoner à ses proches et de s’organiser des apéros en visioconfé­rence grâce aux nombreux outils qui existent pour entretenir le lien de façon quasi permanente. Après, il existe aussi des profils introverti­s ou casaniers et pour ces gens- là, le temps du confinemen­t ne va pas être trop compliqué à vivre. Mais attention, pour ces profils- là, il faut bien distinguer le fait de rester à la maison par choix et le fait d’y être contraint comme actuelleme­nt en raison de confinemen­t imposé à tous. Cela n’a rien à voir et les réactions peuvent donc évoluer. L’ermite a besoin des autres pour vivre seul en fait.

Ce qui inquiète le plus avec ce confinemen­t, c’est sans doute le fait que l’on ne sache pas quand il prendra fin et quand nous pourrons reprendre le cours normal de notre vie. Comment faire donc pour atténuer les angoisses liées à cette incertitud­e ?

Je crois qu’il ne faut surtout pas essayer d’agir sur quelque chose sur laquelle nous n’avons aucune prise. Cela génère plus de frustratio­n qu’autre chose. Nous n’avons aucun levier en tant que citoyens sur le confinemen­t, et c’est la raison pour laquelle il faut vraiment se reconcentr­er sur des choses simples et concrètes de la vie de tous les jours. Des choses qui sont à notre portée et qui sont utiles. Écrire des idées de projets pour l’avenir que nous avons dans un coin de notre tête peut être un bon début par exemple.

Quand vous parler d’être utile : vous invitez les Lyonnais à donner un sens à leur confinemen­t en aidant les autres, c’est ça ?

Oui, faire du bénévolat en donnant un coup de main pour les courses des personnes âgées, prêter main- forte aux soignants grâce à différente­s initiative­s et donc plus largement participer à l’effort national est vraiment quelque chose qu’il faut accompagne­r et encourager. C’est quelques chose d’extrêmemen­t riche pour soi, et qui peut être ressenti comme un accompliss­ement de sa propre personne. Le confinemen­t peut justement permettre de s’ouvrir à des personnes et des domaines sur lesquels on était un peu aveuglé avant, voire qu’on ne connaissai­t pas du tout.

Vous parliez tout à l’heure de l’écriture comme solution ; à quoi pensez- vous concrèteme­nt ?

Je crois qu’on se connaît finalement mieux qu’on l’imagine et il ne faut donc pas hésiter à mettre en place des choses qui vont bien fonctionne­r. Mais il faut aussi faire preuve de créativité et réinventer son quotidien. Écrire et pouvoir donc coucher à l’écrit ses doutes, cela peut vraiment libérer. On est généraleme­nt moins lourd quand on a écrit nos craintes. L’idée du journal intime ou d’un journal de bord du confinemen­t pour écrire dans quel état d’esprit nous sommes peut être une très bonne piste.

Certains comparent le confinemen­t à une prison, c’est exagéré selon vous ?

Si on le voit comme une privation de liberté et une contrainte, cela va forcément générer de la souffrance et c’est justement dans ces moments difficiles qu’il faut essayer de changer le regard que l’on a sur les choses. Avoir une autre approche. C’est plus facile à dire qu’à faire, mais il faut vraiment essayer de s’en donner les moyens.

Les cours de sport à distance se développen­t tous azimuts depuis le début du confinemen­t, notamment les activités de relaxation comme le yoga : encouragez- vous ces pratiques ?

Je suis aussi hypnothéra­peute, et c’est vrai que les pratiques de relaxation comme le yoga ou la méditation pleine conscience qui sont très proches de l’hypnose sont des activités excellente­s pour écouter à nouveau son corps, son monde intérieur et ses émotions. Mais vous savez, le sport en lui- même, quel qu’il soit, est vraiment un moyen de se recentrer et de s’ancrer dans son corps pour pouvoir identifier et écouter ses émotions, ce afin ensuite de réagir au mieux en fonction des événements, et notamment par rapport à cette crise inédite que nous vivons actuelleme­nt. »

Il faut vraiment éviter pendant le temps du confinemen­t de prendre des décisions importante­s sur la vie du couple. Il vaut mieux remettre tout cela à plus tard »

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