Olivier Cochet- Escartin, le dernier gardien des hydres
Comme tous les deux jours, Olivier Cochet- Escartin quitte son cocon familial des environs de Lyon. Il entre dans son parking, monte dans sa voiture, roule sur un périphérique déserté avant de se garer à La Doua, sur le parking tout aussi vide de l’Institut Lumière Matière, l’ILM de Villeurbanne. Il entre et progresse jusqu’à son laboratoire. Il y restera quelques heures, avant de repartir sans avoir croisé d’autre être vivant que ceux dont il est venu s’occuper : des hydres, de petits organismes aquatiques mesurant de quelques millimètres à un centimètre. « C’est sûr qu’il y a moins de monde au labo qu’à la maison ! » , sourit le biophysicien lyonnais.
Super héros.
Ce dernier dispose d’une des quelques dérogations de long terme validées par le CNRS pour accéder à un ILM qui compte près de 300 chercheurs. Car Olivier Cocher- Esquartin se doit de venir pour s’occuper de « ses » hydres. L’objet de ses recherches : la régénération. Or, les hydres « font mieux que cicatriser, elles se régénèrent complètement. Comme dans un film de super héros où quelqu’un se fait couper un bras : on voit le bras repousser. Mais on ne vous montre jamais ce qu’il advient du bras sectionné. Si ces super héros étaient des hydres, le bras sectionné referait un super héros complet ! » Mais ce sont aussi des organismes fragiles, conservés dans de petits containers en pyrex, maintenus dans le noir à vingt degrés dans une eau spécialement préparée.
Festin de microcrevettes.
Alors Olivier Cochet- Escartin les nourrit avec de minuscules crevettes, des artémies. « Les oeufs se trouvent facilement sur Amazon — ils sont utilisés aussi par les aquariophiles — et se gardent plusieurs mois à température ambiante. Leur éclosion prend 48 heures. Mais une fois écloses, elles n’ont une durée de vie que de quelques heures » . Une fois prêtes, les crevettes sont ajoutées directement dans les cultures d’hydres. Cette étape dure une petite heure, « après quoi, il faut nettoyer et changer l’eau de la culture pour retirer les restes d’artémies. Pendant quelques heures ensuite, les hydres digèrent et produisent des déchets. Il faut donc les nettoyer une seconde fois, au minimum trois- quatre heures après le festin » . Toujours tout seul. Avant de repartir.
Pas d’épuisette à hydres.
Des gestes d’autant plus capitaux que le jeune biophysicien ne peut pas se permettre de perdre ses objets de recherche. « Je perdrais plusieurs mois, car même si ce sont des organismes qui se trouvent dans la nature, en lac, plan d’eau, ce n’est pas comme si je pouvais aller en chercher au parc de la Tête d’Or avec une épuisette ! » Les hydres de labo sont adaptées à cet environnement spécifique, il faudrait donc en commander en laboratoires à l’étranger. Dans les circonstances actuelles, sans garantie. « Ça me ralentirait alors que je suis un jeune chercheur, arrivé il y a un an avec ce projet. » Mais le risque de se déconfiner pour aller nourrir ses hydres ne lui paraît pas disproportionné. Ni incongru. « Je n’ai pas l’impression de prendre de risques, je n e c roi s e p e r s onne. J ’ ai eu davan tage l ’ impre s s i o n d’en prendre quand, au début de la c r i se, on a fai t le tour des bureaux pour récupérer des masques et des blouses. Mais là, je fais juste attention » , sourit depuis chez lui le dernier gardien des hydres.