Et l’école dans tout ça ?
Benoît Urgelli « La classe en présentiel est irremplaçable »
Difficile pour la communauté éducative de voir au- delà du casse- tête de la reprise progressive des cours en présentiel. Les inquiétudes donnent pourtant un nouveau souffle à des réflexions, pas toujours nouvelles, sur l’école de demain. Benoît Urgelli, formateur d’enseignants à Lyon 2 et administrateur de la FCPE du Rhône et de la métropole de Lyon partage ses idées et son expérience.
Vous fréquentez des enseignants et des parents d’élèves : attendent- ils des changements profonds dans la manière de faire la classe à court terme ?
Benoît URGELLI : « Nous avons mené une enquête auprès de 3 000 parents fédérés. Ils ont pris le temps de répondre en détail. D’abord, ils auraient aimé être plus impliqués dans l’organisation de la réouverture des écoles. Mais les enseignants que je forme ont des réticences vis- à- vis de l’implication des parents. Certains estiment que l’école doit être un lieu où l’on coupe les enfants des influences familiales pour qu’ils grandissent librement.
Des changements immédiats auraient pu avoir lieu dans les quelques jours qui viennent de s’écouler. La reprise n’est pas forcément infaisable, mais quel est le sens d’une distanciation physique combinée avec l’enfermement dans les murs d’une école ?! Toute cette énergie que l’on a mobilisée pour imaginer des usines à gaz, il faut le dire, on aurait pu l’investir pour penser tous ensemble une école nouvelle.
Pourquoi est- il si difficile de changer l’école ?
Le changement passe par la formation initiale des enseignants. Il faut passer plus de temps à étudier la manière dont les enfants apprennent, comment leur apprendre la confiance en eux. Les savoirs académiques, on en a besoin pour discuter et vivre ensemble, ils sont nécessaires. Mais les inculquer sortis de leur contexte peut mettre des enfants en situation d’échec très tôt. L’apprentissage hors les murs de l’école semble intéressant pour cela : il fait appel à des savoirs ce que l’on fait vivre en contexte. Mais il y a une dérive sécuritaire, l’idée qu’en sortant on mette les enfants en danger bride ces initiatives pédagogiques.
Vous ne parlez pas d’enseignement à distance : ce n’est pas le futur de l’école, selon vous ?
D’abord, précisons que les quatre ou six mois d’absence en classe ne vont pas ruiner la carrière scolaire des enfants. Ce n’est pas un drame, sauf pour la relation pédagogique. À distance, on perd le lien et les gestes du pédagogue. Le présentiel est irremplaçable. Il peut être complété à la marge mais il faudra être vigilant à ce que le distanciel ne prenne pas le pas. L’autonomie et la confiance s’apprennent avec les autres.
Toutes ces idées ne sont pas forcément nouvelles, mais peuvent- elles être mises en place avec les forts effectifs dans les classes ?
C’est un déterminant. Les écoles finlandaises sont à 24 élèves avec deux adultes en classe. Nous avons expérimenté cela dans certaines écoles à Lyon, celles qui sont concernées par le dispositif des CP et CE1 à 12 élèves dont les locaux sont trop petits. Deux adultes ensemble permettent une régulation collective et d’apprendre de l’autre mais il faut accepter de repenser sa pédagogie et faire la place à des dispositifs collaboratifs : les enfants doivent s’entraider, apprendre à argumenter avec les autres. Les pédagogies de la coopération sont expérimentées mais pas encore enseignées car elles supposent d’être apprises en contexte, dans les classes.
L’école de l’après- confinement sera plus que jamais confrontée aux inégalités sociales. Avez- vous des pistes ?
D’abord, il est discutable de penser que l’école doit réduire des inégalités dont elle n’est pas la seule responsable. Ensuite, je crois qu’il faut s’éloigner du modèle de la réussite individuelle, autodidacte… Celui qui doit être valorisé est celui qui est capable de travailler avec les autres. On est trop dans la tradition de la sélection, de la compétition et de l’évaluation. Souvent, les jeunes sortent de l’école en disant « je ne valais rien » car l’institution les sélectionne sur des compétences et des savoirs standardisés. Il y a des pistes pour changer de modèle comme les classes multiâges qui favorisent l’entraide. Les enseignants sortent de ces classes avec une impression d’utilité, de bien- être.
Le confinement a- t- il eu du bon, selon vous ?
J’avais mis beaucoup d’espoir dans cette période de confinement, imaginant que le lâcher- prise permettrait de faire le pari de l’intelligence collective pour construire une autre école. Mais on ne nous a pas donné le temps. L’une des idées de l’Éducation nationale, pour l’heure, est de lancer des évaluations standardisées à la rentrée… Cette énergie dépensée pour organiser la réouverture aurait pu servir à faire un bilan sur le sens de l’école, ses pédagogies et les besoins des enfants. Au moins, le confinement a permis aux parents et aux enseignants de voir ce que faisait l’autre. Si nous tirons des leçons de cela, nous en sortirons grandis. »