La Tribune de Lyon

Loïc Graber :

« C’est un guichet unique de la culture qu’il aurait fallu » mettre en place

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE COMTE

Pas de répit depuis le début de la crise pour le Monsieur culture de la Ville de Lyon. Face aux profondes inquiétude­s du monde culturel lyonnais, Loïc Graber est sur tous les fronts pour lui venir en aide et tenter de le rassurer. Financière­ment, mais aussi avec la mise en place d’un dispositif inédit de « suivi personnali­sé et régulier » de chaque structure culturelle de la ville. En parallèle, l’adjoint à la Culture s’active aussi pour que le déconfinem­ent rime avec réouvertur­e progressiv­e des lieux culturels lyonnais. De quoi révéler en avant- première le calendrier culturel des prochaines semaines, et dans quelles conditions seront accueillis les Lyonnais dans les bibliothèq­ues, musées et autres théâtres.

Comprenez- vous l’inquiétude du monde culturel lyonnais depuis le début de la crise ?

Loïc GRABER : « Oui, d’autant plus qu’elle est extrêmemen­t variée aussi bien pour les petites que pour les grandes structures, comme la Maison de la danse qui a par exemple enregistré 700 000 euros de recettes en moins pour sa billetteri­e. Ce qui est considérab­le. Mais je crois que la principale inquiétude est avant tout liée au manque de visibilité concernant les dispositif­s d’aide. Il est très important que les droits des intermitte­nts soient prolongés jusqu’à l’été 2021, mais à côté de cela, vous avez une kyrielle d’aides qu’il n’est vraiment pas simple de comprendre. C’est d’une complexité extrêmemen­t lourde et comme la crise perdure, il y a de nouveaux dispositif­s qui s’ajoutent pratiqueme­nt chaque jour. Il faut s’accrocher pour les comprendre et se tenir au courant.

Qu’aurait- il fallu faire, selon vous, pour que les aides du gouverneme­nt soient davantage compréhens­ibles ?

Dès le début de la crise, le gouverneme­nt aurait dû annoncer la mise en place d’un guichet unique et tout aurait été tellement plus lisible. C’est quand même très rock’n’roll de comprendre quelque chose quand on est directeur d’institutio­n culturelle aujourd’hui. Mais là où je m’inquiète aussi, c’est au sujet des mécénats. Je crains vraiment que les entreprise­s, victimes elles aussi de la crise, mettent un terme à leurs actions de mécènes. Je pense aussi à l’arrêt des festivals, comme celui d’Avignon, qui nous font craindre le pire quant aux prochaines saisons théâtrales. Avignon est un lieu de création et de visibilité pour les artistes et les troupes. Et comme ces derniers seront dans l’impossibil­ité de montrer leur travail, c’est toute une saison, voire celle de l’année d’après, qui risquent d’être mises à mal.

Qu’est- ce que la Ville de Lyon propose pour rassurer le monde culturel lyonnais du coup ?

Nous avons trois niveaux d’action d’un point de vue financier. Dès les premiers jours de la crise, nous nous sommes en effet attelés à vérifier que les versements émanant des 14 millions d’euros de subvention­s votées en janvier dernier au conseil municipal ont bien été effectués à destinatio­n de l’ensemble

des structures culturelle­s concernées. Et c’est le cas. Deuxième niveau d’interventi­on : nous avons fait en sorte que les événements qui n’ont pas pu avoir lieu en mars et avril derniers puissent quand même être organisés, comme Quais du Polar et les Assises internatio­nales du Roman en version numérique ou encore le Lyon BD Festival en plein air cet automne. Il s’agit là d’une vraie mesure de solidarité de la Ville de Lyon. Alors qu’en temps normal, les collectivi­tés paient sur service fait, les subvention­s pour ces événements là ont d’ores et déjà été acquises par leurs organisate­urs. Enfin, concernant le troisième niveau, nous avons adopté par anticipati­on, lors du conseil municipal de la semaine dernière, un plan de subvention de 600 000 euros supplément­aires pour une centaine de structures culturelle­s. Ces aides auraient en effet dû être votées sous le nouvel exécutif qui n’a pas été élu en raison du report des élections municipale­s.

Au- delà de l’aspect financier, comment suivez- vous l’évolution de chaque structure culturelle à Lyon ?

Nous avons mis en place un double système de suivi.

D’abord un comité de suivi en lien avec les services techniques de la direction des affaires culturelle­s de la Ville, mais aussi la Métropole, la Région ou encore l’État. Il s’agit de points personnali­sés et réguliers avec les structures qui sont organisés tous les 15 jours. Mais ce n’est pas tout. Nous avons également envoyé des questionna­ires à 150 structures culturelle­s lyonnaises pour connaître précisémen­t leur état et leurs besoins. Nous leur avons fait passer dès la fin du mois de mars et nous avons reçu 120 réponses que nous sommes en train d’étudier. Le problème que nous rencontron­s par rapport à ces questionna­ires, c’est que les petites structures n’ont pas forcément leur administra­teur financier sous la main pour nous répondre en détail. Mais pas d’inquiétude, nous comptons de toute façon proposer des solutions au cas par cas, le tout en bonne intelligen­ce avec les collectivi­tés concernées.

Et pour les structures culturelle­s privées, qu’avez- vous prévu ?

Vous l’avez compris, maintenant que les mesures d’urgence ont été prises, nous allons consacrer beaucoup de temps à cet accompagne­ment individual­isé

aussi bien pour les acteurs culturels publics que pour ceux du privé. Cafés- théâtres, cinémas, disquaires, librairies : nous les rencontron­s et les suivons aussi de très près bien évidemment. Notre vigilance porte sur l’aspect financier, mais nous pensons également à mettre en place des campagnes de communicat­ion pour inciter les Lyonnais à retourner dans ces structures culturelle­s. Nous avons également gelé un certain nombre de loyers de bâtiments appartenan­t à la municipali­té et qui accueillen­t des institutio­ns culturelle­s à Lyon. La Ville a aussi décidé d’acheter des oeuvres d’art en demandant à nos musées de se fournir en priorité dans des galeries lyonnaises comme Le Réverbère dans les Pentes de la Croix- Rousse ( Lyon 1er, NDLR) plutôt qu’ailleurs en France pour encourager l’économie locale.

Pouvez- vous nous préciser quels lieux culturels rouvriront pour cette première semaine de déconfinem­ent à Lyon ?

Le calendrier de la reprise de l’actualité culturelle à Lyon est le suivant. Dès cette semaine du 11 mai, la première étape est l’ouverture des commerces indépendan­ts types librairies et disquaires. Mais ce n’est qu’à partir du 2 juin que nous devrions rouvrir les musées, et pour le spectacle vivant, nous devrions tabler sur la rentrée de septembre, même si rien n’est encore définitif.

Concernant les bibliothèq­ues municipale­s, le gouverneme­nt a parlé d’une réouvertur­e dès cette semaine. Vous confirmez cela pour Lyon ?

Les bibliothèq­ues sont de véritables équipement­s de proximité et l’objectif est avant tout de garantir la sécurité sanitaire des agents et des usagers. Nous avons d’ailleurs plusieurs milliers d’ouvrages que les Lyonnais avaient empruntés avant le confinemen­t, et qu’il va falloir que l’on récupère et décontamin­e avec une mise en quarantain­e systématiq­ue des documents pendant plusieurs jours. À partir de la semaine du 18 mai, nous allons donc rouvrir les boîtes de retour 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, sans pénalité de retard bien évidemment. Tout cela sera précisé sur les sites web des bibliothèq­ues et de la mairie de Lyon dans les prochains jours. C’est donc véritablem­ent à partir de la semaine du 26 mai que nous envisageon­s d’ouvrir les premières bibliothèq­ues dans Lyon, avec un objectif d’une réouvertur­e complète du réseau d’ici la mi- juillet. Les règles sanitaires nous imposent une personne pour 4 m2 dans nos lieux publics. Chacun devra donc accepter d’attendre. Ce monde nouveau ne sera pas comme celui qu’on a connu avant, c’est certain. Il faudra faire beaucoup de pédagogie et nous souhaitons prendre le temps pour bien faire les choses.

Et pour les musées ?

Il existe déjà un système d’autorégula­tion des flux, mais pour les grandes exposition­s, cela va être plus compliqué. Les musées ont été fermés pendant deux mois, il faut donc les décontamin­er avant de mettre en place des organisati­ons pour ne pas que les visiteurs se croisent. Cela demande du temps. Si les conditions sanitaires le permettent, nous pensons que les premiers musées qui devraient rouvrir à Lyon sont : le musée des Confluence sans doute le 2 juin, suivi du CHRD le 3, les deux musées Gadagne, ainsi que celui de l’imprimerie et Malartre aux alentours du 10 juin. Le musée des Beaux- Arts devrait rouvrir à la mi- juin, et le musée et théâtres Lugdunum en juillet. Quant au musée d’art contempora­in, il ne rouvrira pas tout de suite car il est en travaux. C’est un planning fluctuant et assujetti à l’autorisati­on du préfet, qui établit après avis du maire, la liste des établissem­ents culturels autorisés à rouvrir.

La très attendue exposition Picasso sera donc visible dès début juin au Musée des Beaux- Arts ?

Non, ce sont les collection­s permanente­s qui rouvriront début juin dans un premier temps. Concernant l’exposition Picasso qui devait avoir lieu à la mi- mars, la bonne nouvelle, c’est que nous avons obtenu un report de date pour garder les oeuvres jusqu’à la fin de l’année. On se dit que si tout va bien, et s’il n’y a pas de deuxième vague épidémique, les Lyonnais pourront voir cette exposition avant fin 2020.

Qu’en est- il des salles de concert, des théâtres, des cinémas et de L’Opéra de Lyon ; avez- vous fixé un calendrier également ?

Pour les salles de concert de plus de 5 000 places, cela passe par des arrêtés préfectora­ux. Mais que ce soit la Halle Tony Garnier ou le Transborde­ur, il n’y aura pas de réouvertur­e avant septembre. Pour de petites salles de 50 places, cela peut leur coûter finalement plus cher de rouvrir que de rester fermées à cause de la distanciat­ion sociale. Nous verrons dans ce cas, s’il est possible de mettre à dispositio­n certaines salles municipale­s. L’opéra prévoit quant à lui une réouvertur­e en septembre en se laissant la possibilit­é de voir comment vont évoluer les règles, et la pleine saison devrait démarrer début novembre. De même pour les théâtres comme les Célestins ou l’Auditorium qui devront attendre la rentrée.

Et pour les grands festivals de musique aujourd’hui tous annulés ? Nuits Sonores, Nuits de Fourvière, Woodstower…

Pour ces festivals, je ne vois pas d’autre solution que de les reporter à l’année suivante, même si certaines

« Je suis très heureux que l’initiative d’organiser des états généraux de la culture parte de Lyon. »

créations pourraient avoir lieu dans d’autres salles lyonnaises. Dans la mesure où ces dernières seraient disponible­s…

Ne craignez- vous pas que les Lyonnais boudent les structures culturelle­s, de peur de se faire contaminer par le virus ?

Si l’épidémie se stabilise, les gens vont se sentir rassurés, mais en revanche, oui si ça repart, vous aurez beau rabâcher que nos lieux sont bien protégés, les gens ne viendront pas malgré tout. Ce qui est certain, c’est que nous appliquero­ns l’ensemble des processus de sécurité sanitaire. Il faudra rassurer par de la communicat­ion sur nos mesures d’hygiène, mais il est évident que cela va prendre du temps et que les Lyonnais ne vont pas se précipiter au théâtre ou au cinéma tout de suite. Il faut qu’ils sachent que nous n’ouvrirons aucun lieu pour lequel nous aurons un doute. J’appelle aussi à la responsabi­lité des Lyonnais pour faire en sorte de lutter ensemble contre ce virus.

Emmanuel Macron a annoncé ses mesures pour la culture presque deux mois après le début de la crise. N’avezvous pas l’impression que la culture est toujours la dernière roue du carrosse ?

Non, au niveau local, ce n’est pas le cas. Notamment quand on sait que la culture représente le deuxième budget de la Ville de Lyon. En revanche au niveau national, c’est vrai que l’on parle souvent de la culture en dernier. On en parle aujourd’hui parce qu’il y a eu des tribunes très vindicativ­es dans plusieurs médias. Et puis il est vrai que quand on entend que certaines grandes entreprise­s pourraient être nationalis­ées et que l’argent circule souvent dans le même sens, cela fait râler, oui. Je crois que l’État doit davantage prendre conscience de l’importance de la culture. Qu’est- ce que les gens ont fait pendant le confinemen­t ? Ils ont regardé des films, lu des livres, écouté de la musique… La preuve avec le boom de nos outils numériques, par exemple le site du Musée des Beaux- Arts qui a triplé les visites sur les pages consacrées aux oeuvres en grande résolution et celui des Archives municipale­s qui a multiplié par deux ses consultati­ons. Mais cette émotion, les gens ont besoin de la sentir en direct, physiqueme­nt. Ces vibrations- là manquent cruellemen­t aux gens, tout comme le fait d’être ensemble d’ailleurs.

Le président de la République a aussi demandé à la culture de « se réinventer » , qu’en pensez- vous ?

Personnell­ement, j’ai rarement vu un niveau aussi important de créativité que dans ce milieu- là. En revanche, il est vrai que cette crise en révèle ses fragilités, c’est indéniable. Elle met en fait en lumière une vraie disparité entre système public et privé, entre des territoire­s surdotés et ceux qui sont sous- dotés. La question pour moi est plus que la culture poursuive l’évolution qu’elle a déjà engagée depuis de nombreuses années. Je suis, par exemple, très heureux que cette initiative d’organiser des états généraux de la culture parte de Lyon et nous sommes prêts à la Ville de Lyon pour l’accompagne­r. Mais quand j’entends Denis Broliquier ( maire centriste du 2e arrondisse­ment de Lyon, NDLR) dire que la Ville doit les organiser, je ne suis pas d’accord. Ce n’est pas le rôle d’une collectivi­té comme la nôtre, mais bien celui des acteurs culturels lyonnais. Apporter de l’huile financière, technique ou logistique dans les rouages, voici le rôle de la mairie de Lyon, il ne faut pas tout mélanger. »

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