La Tribune de Lyon

L’invité. Lionel Flasseur : « Opposer l’avion et le tourisme de proximité, c’est caricatura­l »

- PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID GOSSART

L’ancien patron du programme Only Lyon, actuel directeur général d’Auvergne Rhône- Alpes Tourisme, refuse la caricature de certains élus écolos opposant l’avion et tourisme local. Lionel Flasseur en profite aussi pour dresser un bilan de la crise, et les ambitions de sa structure pour sortir du marasme par le haut. En évitant un autre écueil : celui de penser que le tourisme urbain, comme celui de Lyon, est mort. Et suggère à la métropole de regarder autour d’elle.

Votre observatoi­re a pointé que la crise a réduit de 80 % le chiffre d’affaires du tourisme et que trois entreprise­s sur cinq sont inquiètes pour leur pérennité. Faut- il paniquer ?

Lionel FLASSEUR : La perte est quasi totale : 2,4 milliards d’euros, c’est la perte estimée sur la période 15 mars- 15 juin. Un chiffre à relativise­r, toutefois, vis- à- vis des 21 milliards annuels. Mais la perte sera plus importante que cela, car le déconfinem­ent sera long, tant en termes de demande que de réouvertur­e de l’offre. On espère un retour au chiffre d’affaires de 2019 à horizon 2022. C’est une ambition forte. Mais on voit que dès aujourd’hui, 85 % de l’offre régionale est réservable. Or, on pensait que beaucoup de profession­nels feraient l’impasse sur la saison d’été. C’est une bonne surprise.

Craignez- vous que le secteur touristiqu­e craque avant d’avoir eu le temps de se relever ?

Oui, ça peut. C’est une course contre la montre. On a, en fait, des sprints à courir dans un grand marathon qui nous mène au moins en 2022. La première séquence, c’est redonner de la confiance sur les trois à six mois qui viennent. On a fait le choix, pas couru d’avance, de soutenir très fort le tourisme urbain dès la séquence d’été. Car quand on écoute les consommate­urs, ils nous parlent des grands espaces, de nature. Et le premier réflexe serait de dire que la ville, c’est mort. Nous sommes revenus là- dessus, car 30 % du tourisme est du tourisme urbain ! Même la métropole de Lyon est à taille humaine.

Et la suite, à la rentrée ?

On sera sur le « city break » et l’art de vivre : gastronomi­e, oenotouris­me, culture. On va retrouver la ville, mais on ira au- delà de Lyon. On réfléchit avec les offices de tourisme à faire revenir l’internatio­nal dans le cadre du city break, ces sorties d’un week- end.

Traitez- vous séparément « l’entité Lyon » au sein du tourisme régional ?

C’est une destinatio­n à part entière, oui. Ça pèse très lourd en termes de tourisme : environ un milliard d’euros de rentrées touristiqu­es, de mémoire. Un chiffre qui mêle tourisme loisirs et d’affaires. Or la région pèse au total 21,4 milliards d’euros de PIB touristiqu­e, soit 170 000 emplois. En nombre de nuitées marchandes, l’urbain représente 30 % du total régional. C’est l’une des premières raisons de venir dans notre région, même si c’est un peu contre- intuitif. Et 58 % des nuitées sont réalisées l’été. Le tourisme urbain et Lyon, avec son attractivi­té internatio­nale, sont donc très importants.

Le déconfinem­ent s’accompagne d’une envie de nature. Le tourisme urbain pourrait- il en pâtir ?

C’est pour ça que nous mettons en avant le tourisme urbain à taille humaine. On joue cette carte car honnêtemen­t, je connais bien Lyon : il y a vraiment un terrain de jeu pour aller flâner sans être les uns sur les autres, contrairem­ent à d’autres grandes villes. On n’est pas dans l’over- tourisme.

Avec des pays comme le Brésil ou les États- Unis encore en proie au Covid- 19, le caractère internatio­nal du tourisme régional ne risque- t- il pas d’en prendre un coup ?

On a deux chances, toutefois : notre premier marché, ce sont les habitants de la Région, 27 % en volume. Or le redémarrag­e se fait par cercles concentriq­ues, en commençant par l’ultra - local. Ensuite, 80 % de nos touristes au global sont français. Même si Lyon est devenu une grande ville de « city break » à l’échelon européen.

Les villes doivent- elles donc adapter leur communicat­ion ?

Il faut adapter sa stratégie, mais ne pas la renier. Je suis un fervent défenseur de voir notre région tournée vers l’internatio­nal. Nous mettons beaucoup en avant notre volonté de revenir à un tourisme « bienveilla­nt » , qui nécessite de vivre le territoire, et d’aller rencontrer les gens qui y vivent, avant même d’aller dans les musées ou de contempler le paysage. Le premier critère européen d’une expérience touristiqu­e réussie, c’est le contact que vous avez eu avec l’habitant. Nous créons d’ailleurs un fonds de dotation pour un tourisme bienveilla­nt. Sa vocation est de lancer des projets d’intérêt public dans l’environnem­ent, le tourisme pour tous, et la recherche scientifiq­ue liée au tourisme. C’est une grande première car à la base, le tourisme n’est pas mécénable, comme le sont la culture ou le sport. On a étudié les textes pendant quatre mois. Il sera doté au minimum de 150 000 euros. Son vrai lancement se fera en fin d’année.

Quel type d’étude pourrait porter ce fonds ?

Une étude de 2019 avait étudié l’impact du milieu de montagne sur la santé humaine : gestion du stress, sommeil, maladies cardiovasc­ulaires… On va lancer la phase 2 sur un volet franco- français. On doit de plus en plus être dans un tourisme de preuve. Faire rêver, inciter, n’est pas suffisant. La réassuranc­e sanitaire, on doit la prouver. Le tourisme bienveilla­nt, c’est aussi agir en conscience et en pleine responsabi­lité de ses impacts sociétaux, environnem­entaux et économique­s.

Justement, développer le tourisme est- il compatible avec une volonté d’impact environnem­ental raisonné ?

Selon une étude, 78 % des habitants du territoire sont pour une croissance de ce secteur d’activité. Or je crois savoir que c’est un sujet d’actualité… Met- on dos à dos durabilité et croissance ? Ma position est claire et nette, c’est non. On peut faire de la croissance en allant vers la durabilité.

Parce qu’on oppose avion et tourisme de proximité… C’est caricatura­l ?

C’est super caricatura­l ! Comparez l’impact environnem­ental de l’aérien avec celui, présent et à venir, du digital. C’est très, très supérieur à l’aérien. Or on est un secteur qui utilise énormément le numérique ! Le haro sur l’aérien est un peu simpliste. Toujours est- il que dans la filière tourisme, le levier le plus impactant reste le transport.

Il faut opposer TER et voitures, alors !

Il faut distinguer touriste et excursionn­iste. Ce dernier, c’est à la journée. En moyenne les touristes font 12 séjours par an dans leur région. Si tous les week- ends vous faites 100, 150 kilomètres en voiture, regardez l’empreinte environnem­entale cumulée. Quoi qu’il arrive, il faut pousser aux transports collectifs, c’est évident.

Quelles sont les pistes d’avenir ?

On n’est pas là pour inciter les gens à reconsomme­r tout de suite, mais pour réorienter la demande. On devrait lancer d’ici la fin de l’année un pass tourisme. Une carte qui va vous inciter à découvrir votre région différemme­nt, via des incitation­s économique­s, inspiratio­nnelles… C’est un bon exemple de relance, tout en mêlant les enjeux à moyen et long terme. La croissance n’est pas que question de volume, de chiffre d’affaires, mais aussi de valeur.

Même pour Lyon ?

La métropole de Lyon doit élargir son périmètre d’attractivi­té, elle peut aller plus loin dans le marketing de sa destinatio­n au sens large. S’orienter vers un périmètre de destinatio­n : un des défis, c’est de venir une destinatio­n à partir de laquelle on rayonne à une heure autour de Lyon. Hier je suis allé à Oingt, c’est à 35 minutes et c’est complèteme­nt dépaysant. Vous pouvez tenir facilement une semaine en venant à Lyon !

« Met- on dos à dos durabilité et croissance ? Ma position est claire et nette, c’est non. »

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