La Tribune de Lyon

L’invitée.

- PROPOS RECUEILLIS PAR ROMAIN DESGRAND

Valérie Portheret : « L’histoire des enfants de Vénissieux doit rentrer dans toutes les maisons »

Dans son livre Vous n’aurez pas les enfants l’historienn­e lyonnaise Valérie Portheret retrace avec brio le récit méconnu et saisissant du sauvetage inouï d’enfants juifs capturés avec leurs parents lors d’une rafle en 1942 et retenus dans un camp à Vénissieux pour être remis aux nazis. Une enquête bouleversa­nte qu’elle espère porter prochainem­ent à l’écran. Vous enquêtez sur cette affaire depuis plus de 25 ans. Qu’est- ce qui vous a amené à vous y intéresser ?

Valérie PORTHERET : Au début des années 1990, pour mon mémoire de maîtrise en fac d’histoire, je devais choisir un sujet inédit. J’ai toujours été profondéme­nt meurtrie par le mal que l’on pouvait faire aux enfants, mais je ne savais pas ce que le régime de Vichy avait fait aux plus jeunes et encore moins que Pierre Laval ( le chef du gouverneme­nt, NDLR) avait demandé que les mineurs soient déportés. En cherchant mon sujet, j’ai découvert un local dédié aux enfants cachés proche du Centre d’histoire de la résistance et de la déportatio­n où l’on m’a parlé d’un château dans la Drôme qui avait hébergé en secret des enfants pendant la guerre. Sans hésiter, je me suis rendue sur place. Sur un carnet d’entrée et de sortie des enfants, certains noms étaient annotés, signe probable de leur passage au camp de Vénissieux ( lire page suivante, NDLR). L’épisode était déjà évoqué dans un ouvrage de Serge Klarsfeld ( Vichy- Auschwitz) comme une affaire unique et emblématiq­ue qui expliquait le revirement de la politique de Vichy.

De là débute votre quête incroyable pour faire toute la lumière sur cet épisode. Que raconte- t- il ?

C’est une histoire extraordin­aire qu’on a failli oublier. Elle rend honneur à la France et nous avons besoin de sujets qui nous réconforte­nt et nous rappellent que de belles valeurs ont été défendues dans les pires moments. En plein génocide, un groupe de personnes aux idées et aux horizons divers ( laïcs, juifs, chrétiens…) va s’organiser autour de l’Amitié chrétienne et de l’ OEuvre de secours aux enfants pour mettre en place une opération coup de poing afin de sauver un maximum de personnes en trois jours, sans prendre les armes. Il y avait l’abbé Glasberg, juif converti au christiani­sme, qui s’introduit au sein de la commission de criblage, le père Chaillet qui publie le plus grand journal de la résistance à Lyon, le cardinal Gerlier, primat des Gaules, qui refuse de livrer les enfants au préfet après leur exfiltrati­on du camp, ou encore Gilbert Lesage, l’agent double infiltré à Vichy qui va fuiter la date de la rafle…

Comment avez- vous procédé pour réaliser ce travail historique ?

J’ai passé beaucoup de temps dans les archives et j’ai voyagé en France, en Europe, en Israël et aux ÉtatsUnis pour rencontrer les sauveteurs et les enfants d’alors qui m’ont relaté leur parcours. Au départ, ils n’étaient pas forcément prêts à se replonger dans leurs souvenirs et moi je ne connaissai­s pas très bien l’affaire. Mais, avec le temps et la confiance, le puzzle s’est reconstrui­t et les témoins étaient heureux que je puisse leur apporter des documents de l’époque et des réponses. Les sauveteurs que j’ai pu rencontrer ne se sont quant à eux jamais considérés comme tels. Ils me demandaien­t : « Est- ce que vous pouvez me dire comment vont les enfants ? Combien en avez- vous retrouvé ? »

Les enfants non accompagné­s ne pouvant être déportés, les parents du camp ont dû signer à la hâte un acte d’abandon pour les confier à l’Amitié chrétienne. Ce moment, crucial dans votre récit, est particuliè­rement déroutant. C’était terrible. La plupart des familles avaient déjà traversé beaucoup d’épreuves pour échapper à l’Allemagne nazie. Certains parents avaient promis à leurs enfants de ne jamais les laisser. En un instant, tout a basculé. Au moment de la séparation, des mères ont sombré dans un grand désespoir, d’autres hurlaient avant d’accepter de laisser partir leur enfant qui ne comprenait pas ce qu’il se passait. Heureuseme­nt, un jour on a pu leur expliquer que c’était pour les sauver. Après avoir retrouvé les actes originaux, je les ai mis à la dispositio­n des témoins. Quand ils les ont vus, c’était l’effondreme­nt. Mais c’était aussi le soulagemen­t : ils tenaient entre leurs mains la preuve de cet ultime geste d’amour. J’espère que quand les parents ont vu l’enfer d’Auschwitz, ils se sont sentis soulagés d’avoir signé l’acte d’abandon.

Basé sur le regard des enfants, votre récit est très visuel. On imagine facilement les ambiances, l’angoisse, les personnage­s. Aimeriez- vous en faire un film ?

Le but était, en effet, d’arriver à un style d’écriture « caméra embarquée » et de se sentir entraîné dans le récit. L’idée, à terme, est que le livre soit adapté. Il y aura un documentai­re pour lequel je serai coréalisat­rice. Je vais mettre à dispositio­n mes 100 heures de tournage, car j’ai filmé tous mes entretiens. J’aime l’image, la rencontre avec les gens. J’ai travaillé pendant toutes ces années en souterrain dans les archives pour faire le job, mais en réalité ce que j’aime, c’est le contact. Le but pour moi est de faire en sorte que cette histoire se voie. Je veux la mettre à dispositio­n, de façon attractive, pour qu’elle nous amène à la réflexion. J’aimerais aussi qu’elle soit portée au cinéma au travers d’une grande fiction.

Qui pourrait réaliser ce film ?

Après plus de 25 ans de recherches, je me dis : « Autant aller vers les plus grands. » On peut penser aux équipes de Steven Spielberg mais aussi à celles de Christophe­r Nolan. Je travaille main dans la main avec mon éditeur ( XO Document) qui a un service dédié et nous avons le contact de l’agent de Nolan. Je pense qu’il pourrait être touché par cette histoire qui fait écho à son travail sur le temps, la perte de mémoire… Christophe­r Nolan pourrait donner une résonance très forte, universell­e, à la puissance de cette affaire. Il peut trouver une voie originale de toucher le plus grand nombre, peut- être en partant de ce geste terrible de la signature des actes d’abandon. Si on traverse l’esprit des parents, on peut se demander : à quel moment devient- on fou ? À quel moment peut- on compter sur l’avenir, sans savoir ce qui va arriver à ses enfants, mais en ayant compris qu’on allait nous- même mourir ?

En attendant, le livre doit encore finir sa mission. J’aimerais qu’il rentre dans toutes les maisons, toutes les écoles. On peut également imaginer d’autres déclinaiso­ns artistique­s : un opéra, une pièce de théâtre… C’est mon travail d’historienn­e de le porter à la connaissan­ce du plus grand nombre.

À ce propos, vous écrivez : « Il faut que cette histoire emblématiq­ue soit connue, transmise, expliquée […] pour donner du souffle aux jeunes, leur donner envie d’agir plutôt que de renoncer et de subir. » Cette phrase résume bien votre démarche.

Oui. Ce livre est un objet pédagogiqu­e d’histoire qui touche aussi toutes les thématique­s d’éducation morale et civique. Il y a également cette idée de responsabi­lité. On est tous responsabl­e de notre histoire passée mais aussi de celle à venir. Et l’avenir c’est la jeunesse. Il faut essayer de lui tendre des objets qui la rendent meilleure, qui lui donne envie de respecter ce pays, ses valeurs. Sans pour autant tomber dans le déni, il faut lui donner du souffle, lui montrer que, même dans les pires moments, des personnes choisissen­t d’agir et de faire le bien. Nous avons tous ce choix.

Christophe­r Nolan pourrait donner une résonance très forte, universell­e, à la puissance de cette affaire.

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