La Tribune de Lyon

Frédéric Fleury « Dans la crise sanitaire, les université­s sont stigmatisé­es »

- PROPOS RECUEILLIS PAR ROMAIN DESGRAND

Réélu à la tête de l’université Lyon 1, Frédéric Fleury fait face à deux défis majeurs : la gestion d’une crise sanitaire qui mine les étudiants ainsi que la restructur­ation du site universita­ire lyonnais après l’échec de l’Idex* et le rejet de la fusion entre plusieurs établissem­ents. Pour Tribune de Lyon, il a accepté de revenir sur une année particuliè­rement chamboulée et d’évoquer ses ambitions pour l’avenir.

Comment vivez- vous la crise sanitaire au sein de l’université Lyon 1 aujourd’hui ?

FRÉDÉRIC FLEURY : Cette période de crise sanitaire dure. Elle dure trop. Nous allons bientôt arriver à un an d’impact sur la formation des étudiants. Et cela nous préoccupe beaucoup. Dès le mois de mars, le confinemen­t très strict a éloigné les étudiants de nos campus, mais aussi les lycéens de leurs établissem­ents. Pour les bacheliers, l’entrée à l’université s’est faite encore en pleine crise sanitaire et avec un retour à une période d’éloignemen­t. C’est inquiétant, car cette première année dans l’enseigneme­nt supérieur est primordial­e. C’est une période de transition, d’adaptation et d’orientatio­n. Et cela ne se fait pas ainsi, loin des campus.

Le gouverneme­nt a tout de même annoncé la semaine dernière la reprise en demi- groupes des travaux dirigés pour les premières années…

C’est une première étape qui reste difficile à mettre en oeuvre. Il serait préférable de donner plus de liberté aux université­s pour organiser leurs enseigneme­nts en fonction des réalités et des contrainte­s du terrain, pour toucher un plus grand nombre d’étudiants et parmi eux les plus fragiles.

Que faudrait- il faire selon vous ?

Ce que l’on demande, c’est au moins une demi- jauge. Alors que les lycées reprennent ( avec des effectifs adaptés NDLR), je pense que c’est le minimum pour fonctionne­r de façon relativeme­nt respectueu­se des consignes sanitaires. En mêlant distanciel, présentiel et comodal ( mixte des deux, NDLR), nous pourrions résoudre à peu près les problèmes. À ma connaissan­ce, aucune étude ne montre qu’il y a dans les université­s des foyers de contaminat­ion plus élevés que ce qui existe en moyenne dans la population nationale. Nous formons les génération­s du futur, les décideurs de demain et nous sommes en train d’affecter des aspects de leur formation. Certains arrivent à tenir mais d’autres se démotivent et baissent les bras. Comment va- t- on pouvoir récupérer ces étudiants demain ? C’est une préoccupat­ion très forte.

Considérez- vous être mal lotis ?

On considère que les université­s sont stigmatisé­es et que les mesures ne nous permettent pas de bien fonctionne­r au regard des consignes sanitaires qui s’appliquent au niveau national. Il ne s’agit pas de déroger aux règles, mais simplement d’avoir des mesures adaptées et justes pour les université­s telles qu’elles se pratiquent par ailleurs dans d’autres secteurs de l’éducation.

Qu’avez- vous mis en place à Lyon 1 pour vous adapter ?

En huit jours, on a dû basculer en distanciel avec des outils numériques qui nous ont permis d’assurer la continuité pédagogiqu­e et de faire passer les examens dans des conditions acceptable­s, sans dévalorise­r les diplômes. Ça a été un investisse­ment fort pour l’université. Quand on prend l’ensemble des actions que l’on a menées, cela représente une dizaine de millions d’euros depuis le début de la crise. Sur le volet purement pédagogiqu­e, plusieurs actions ont été conduites comme, par exemple, l’équipement des étudiants en rupture numérique, sans ordinateur ou connexion internet. Cela concerne environ 3 000 étudiants accompagné­s pour à peu près cinq millions d’euros dépensés pour l’ensemble du numérique. On peut tout de même noter qu’en parallèle, il y a une plus- value à cet enseigneme­nt à distance : les étudiants ont pu en apprécier certains aspects comme l’utilisatio­n d’un tchat qui leur permet de réagir plus facilement pendant les cours, voire d’échanger entre eux, ou encore la possibilit­é d’enregistre­r les cours pour les visionner à nouveau.

Au- delà de la crise sanitaire, l’année 2020 a aussi été marquée par la fin de l’Idex et l’échec de la fusion des université­s. Comment l’expliquez- vous ?

Pour moi, cela reste incompréhe­nsible et complèteme­nt irrationne­l. Ce projet a été construit et coconstrui­t pendant quatre ans. Il a passé toutes les étapes de validation, y compris à Saint- Étienne. Finalement, le vote de l’université Jean- Monnet nous a conduits à l’échec. Il existe beaucoup d’amertume et de colère vis- à- vis des collègues ( qui ont voté contre, NDLR) et qui auraient pu s’exprimer avant. C’est un autre aspect de la crise sanitaire : il y a eu un télescopag­e des calendrier­s avec les élections municipale­s, et le projet d’Université- Cible est devenu un enjeu politique, notamment à Saint- Étienne. Si nous avions voté les statuts fin 2019, il n’y aurait pas eu de problème.

Les opposants dénoncent aussi une sorte « d’usine à gaz » , sans vraiment y voir un intérêt pour les étudiants. Que leur répondez- vous ?

Je comprends totalement que l’on puisse avoir des idées différente­s. Pour moi, c’était vraiment un bon projet avec de nombreux aspects innovants, notamment sur l’autonomie des facultés, le pouvoir de décision qui est plus proche du terrain, ou encore la rénovation de l’accueil des étudiants en premier cycle. Par ailleurs, aujourd’hui, on sait très bien que le budget de la recherche n’est pas à la hauteur de ce qui se fait dans d’autres pays européens, ou même au niveau mondial. Il est temps de faire des choix. Nous devons nous adapter à l’évolution de l’enseigneme­nt supérieur à l’internatio­nal. Lyon ne peut pas continuer à prendre du retard. Nous devons avoir les moyens pour nous adapter, mener au plus haut nos missions, nous coordonner et éviter cette fragmentat­ion qui impacte négativeme­nt nos activités.

Comment imaginez- vous l’avenir du site universita­ire désormais ?

Pour Lyon, c’est extrêmemen­t important — je dirais même « essentiel » — qu’il y ait un nouveau projet financé par l’État, une nouvelle dynamique de constructi­on avec l’ensemble de nos partenaire­s ( écoles, université­s, organismes de recherche, centres hospitalie­rs et universita­ires…). Nous avons l’expérience de quatre années de réflexion qui n’ont pas été faciles, avec des établissem­ents qui n’étaient pas forcément alignés. Il faut mener un projet par étapes et ne plus s’enfermer dans des discussion­s infernales qui nous ont ralentis et qui nous ont menés à la fin de l’Idex. Cette expérience est primordial­e : on ne va pas reconduire les erreurs du passé. Car oui, nous avons tous fait des erreurs, j’en prends ma part. Elles ont été individuel­les et collective­s. Elles ont été contextuel­les aussi, du fait de la crise sanitaire.

Lyon 1 sera- t- elle le moteur de ce nouveau projet ?

C’est normal que l’on attende du plus gros établissem­ent du site une certaine dynamique et une orientatio­n. Demain, le projet sera forcément différent même si certains éléments doivent être conservés. Je souhaite, dans tous les cas, porter cette ambition. Pour moi, il est essentiel que Lyon puisse poursuivre cette trajectoir­e pour être à la hauteur des autres sites universita­ires de France.

* Dans le cadre de la labellisat­ion Idex ( Initiative d’excellence), le projet d’Université- Cible prévoyait la fusion de plusieurs établissem­ents ( Lyon 1, Lyon 3, École normale supérieure et université Jean- Monnet à Saint- Étienne) en une seule et même entité de rang internatio­nal.

« Nous devons nous adapter à l’évolution de l’enseigneme­nt supérieur. Lyon ne peut pas continuer à prendre du retard. »

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