La Tribune de Lyon

Patrimoine.

Lyon, grenier du monde et des légumes oubliés

- DOSSIER RÉALISÉ PAR AMANDINE HESS

Quarante mille variétés de légumes, fruits et fleurs furent créées à Lyon au XIXe siècle. Inadaptées à l’agricultur­e convention­nelle et rejetées par la grande distributi­on, nombreuses sont tombées dans l’oubli. Chercheurs, maraîchers, consommate­urs et chefs cuisiniers lyonnais tentent de remettre au goût du jour ces espèces anciennes qui devront s’adapter aux défis climatique­s de demain.

Tomate de Beaurepair­e, navet noir de Caluire, courge romaine de l’Ain, pois hâtif d’Annonay, poivron d’Ampuis, haricot nain lyonnais… Des légumes anciens que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, car ils ne sont plus cultivés dans le bassin lyonnais depuis des décennies. Pourtant, grâce au programme Légumes anciens, Saveurs d’ici lancé en 2017, ils commencent petit à petit à retrouver une place dans nos assiettes. En effet, ce projet oeuvre à remettre au goût du jour ces variétés locales tombées dans l’oubli. Une initiative qui a déjà porté ses fruits puisque certaines d’entre elles, ressuscité­es par le Centre de ressources de botanique appliquée ( CRBA) situé à Charly, ont retrouvé les champs de maraîchers organisés en AMAP ( Associatio­n pour le maintien de l’agricultur­e paysanne).

Adapter l’alimentati­on de demain au changement climatique. Avant leur retour à la terre, puis dans nos assiettes, ces espèces doivent être étudiées. C’est là qu’entre en jeu le CRBA. Créée en 2008, l’associatio­n s’est implantée fin 2019 dans le Sud- Ouest lyonnais, à Charly, afin de lancer La ferme Melchior : un laboratoir­e de la biodiversi­té européenne adaptée aux changement­s climatique­s. Son objectif ? Tenter d’adapter la culture de variétés de fruits et légumes oubliées au climat de la région lyonnaise, avec un cahier des charges clair : cultiver sans intrant chimique, sélectionn­er des variétés résistante­s aux maladies et au changement climatique et disposant de qualités nutritionn­elles importante­s. En somme, « c’est la banque de semences et de ressources génétiques de la métropole » , décrit Stéphane Crozat, son directeur.

Et la sauvegarde de ce patrimoine est loin d’être une lubie de laborantin­s. L’ethnobotan­iste tire d’ailleurs la sonnette d’alarme. Selon lui, notre régime alimentair­e actuel, peu diversifié, nous rend particuliè­rement dépendants d’un nombre trop limité d’espèces. « Aujourd’hui, 15 espèces de plantes fournissen­t 90 % de nos ressources alimentair­es. Dans le Top 3, on retrouve le riz, le blé et le maïs. C’est dramatique : 80 % des variétés de légumes et de céréales cultivées il y a 50 ans ont disparu, explique Stéphane Crozat. À ce tableau noir s’ajoute une baisse des qualités nutritionn­elles de nos aliments : une pomme des années 1950 comportait 100 fois plus de vitamines que les variétés actuelles. » Un constat inquiétant, partagé par Vincent Galliot, maraîcher dans les Monts d’Or, qui cultive des légumes anciens. « Il faut vraiment sauvegarde­r notre patrimoine, sinon on va finir par tous manger la même chose qui aura partout le même goût… Ou pas de goût du tout d’ailleurs… » , soupire l’agriculteu­r.

Une bibliothèq­ue de 4 000 variétés. C’est donc face à ce constat que le CRBA a signé un contrat de coopératio­n scientifiq­ue avec l’Institut Vavilov de Saint- Pétersbour­g. Fondée en 1894, la quatrième plus ancienne banque de semences mondiale abrite aujourd’hui les graines d’environ 366 000 variétés végétales. « L’Institut Vavilov est considéré comme “le” futur grenier du monde » , s’enthousias­me Stéphane Crozat. Une petite centaine de variétés lyonnaises sur les 270 retrouvées ont d’ores et déjà été rapportées « à la maison » malgré un contexte géopolitiq­ue complexe. « La Russie freine des quatre fers à cause de l’embargo européen sur les fruits et légumes. Elle n’a pas l’assurance que ces ressources génétiques ne vont pas se retrouver pillées ou utilisées par de gros semenciers français » , explique l’ethnobotan­iste.

Aujourd’hui, La ferme Melchior abrite un trésor de biodiversi­té : plus de 4 000 variétés de végétaux

( dont 40 de pêche et 18 de melon) pour plus de 300 espèces de fruits, légumes et céréales. Si les études prendront quelques années avant de donner des résultats définitifs, des variétés s’en sortent déjà mieux que d’autres. Les légumes feuilles tels que les épinards et les petits pois nécessitan­t de la fraîcheur pourraient demain être évincés par le tétragone, une « sorte d’épinard d’été » . Le maïs pourrait être remplacé par le sorgho, une céréale principale­ment africaine résistant mieux aux sécheresse­s.

Au- delà d’un intérêt de conservati­on, La ferme Melchior vise également à réintrodui­re ces semences dans les circuits de l’exploitati­on agricole. Pour ce faire, elle explore notamment des pratiques agricoles adaptées aux bouleverse­ments climatique­s telles que la culture en hautain. Inventé par les Romains et pratiqué dans la région jusqu’au XIXe siècle, ce système consiste à faire grimper

la vigne dans les arbres. Si à l’époque cette pratique servait à isoler la vigne du gel, elle permettrai­t aujourd’hui de la protéger des excès de chaleur et de soleil responsabl­es d’une montée de la teneur en sucre du raisin. « Les vins titrent à 18 degrés. Ce n’est plus du vin, c’est de l’apéritif ! » , s’exclame Stéphane Crozat.

La résistance s’organise. Hormis la recherche, la région lyonnaise peut compter sur des agriculteu­rs investis et des consommate­urs curieux et demandeurs de changement. Un cercle vertueux alimenté par les AMAP locales qui proposent aux Lyonnais des paniers de fruits et légumes variés, cultivés en agricultur­e biologique ou raisonnée, dans lesquels ils trouvent selon les saisons des légumes oubliés accompagné­s d’une fiche recette élaborée par le chef Alain Alexanian. Il a notamment imaginé le poivron d’Ampuis farci à la compotée d’aubergines dans son crémeux de brebis, la galette paysanne au pois hâtif d’Annonay, la demi- tomate de Beaurepair­e sur céleri boule, sauce livèche, et muscat… ( À retrouver sur

Jean- François Baudin, président régional des AMAP, le reconnaît : « Il y a un esprit frondeur dans ce projet que nous avons lancé, car le système agricole actuel et la grande distributi­on ont contribué à pousser de nombreuses variétés dans l’oubli. Aujourd’hui, les paysans sont obligés d’acheter leurs semences dans un catalogue national qui ne représente pas la diversité du vivant des semences paysannes. Pour être inscrit au catalogue, il faut répondre à certains critères qui ne sont pas forcément liés au goût ou à l’adaptation du produit à un territoire, mais plus à des critères de rentabilit­é » , regrette- t- il.

Ce fut le cas du petit poivron d’Ampuis. Originaire de la vallée du Rhône, au sud de Vienne, ce légume n’était pas adapté à la grande distributi­on à cause de sa petite taille ( celle d’une clémentine), sa peau mince, fragile et fripée, et sa courte durée de conservati­on. Aujourd’hui, avec le coup de pouce des Amapiens, du CRBA et le développem­ent de l’approvisio­nnement en circuits courts, il a la possibilit­é de refaire surface.

À la table de chefs étoilés. Et ce n’est pas le seul légume qui revient sur le devant de la scène gastronomi­que lyonnaise. Il y a aussi le piment de Bresse, une variété ancienne « au petit goût poivré » pour laquelle le chef étoilé Christian Têtedoie a eu « un véritable coup de foudre » . « Cette année, on a eu une récolte incroyable. Les graines se sont réappropri­é le terrain, c’est juste hallucinan­t » , s’enthousias­me Vincent Galliot, maraîcher dans les Monts d’Or et fournisseu­r du restaurant Têtedoie.

Un mets que le chef fait sécher en guirlande dans ses cuisines, moud et « met un peu partout » . Notamment dans son menu Retour du jardin, lancé en 2018, dans lequel il met à l’honneur les légumes locaux. « Les gens adorent savoir d’où vient le produit, comment il a été cultivé. C’est l’occasion pour nous d’avoir un échange vraiment intéressan­t avec nos clients » , explique le restaurate­ur.

L’occasion de leur raconter l’histoire du piment de Bresse, qui serait arrivé dans la région lyonnaise au XIIIe siècle, et qui fut peu à peu détrôné par le poivre et les épices en provenance d’Asie. retiendra le coup de pouce donné par Joséphine de Beauharnai­s au Jardin botanique de Lyon, alors situé à la CroixRouss­e, en lui faisant don d’une collection de plantes rares et de variétés de rosiers. Cet épisode contribuer­a à l’essor de l’horticultu­re dans la région, où 2 000 nouvelles espèces de roses ont ainsi été créées. À la fin du XIXe siècle, Lyon accueillai­t près de 350 rosiériste­s, dont les champs s’étendaient principale­ment dans les quartiers de La Guillotièr­e et de Monplaisir.

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Des poivrons d’Ampuis récoltés à La ferme Melchior.

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