La Tribune de Lyon

Bruno Lina, chef de guerre contre les variants

- PAR LILIAN RENARD

Dans le Centre national de référence des virus des infections respiratoi­res, à l’hôpital de la Croix- Rousse, le virologue traque les variants du coronaviru­s et leur progressio­n en France. Général en première ligne dans cette guerre sanitaire, le scientifiq­ue est aussi le Lyonnais le plus écouté du pouvoir.

Dans la guerre contre la Covid- 19, la ligne de front est d’un calme déroutant, sans bruit ni cris, sans armes ni étendards brandis. Au coeur d’un dédale de couloirs, de labos et de bureaux impersonne­ls, au cinquième étage d’un bâtiment calme de l’hôpital de la Croix- Rousse, la bataille fait rage en silence. Elle s’engage chaque jour ici contre les ruses de l’ennemi, mortel virus surgi il y a un an à Wuhan, en Chine, et scruté depuis jusqu’aux confins de son génome instable par les équipes du professeur Bruno Lina. Le virologue, responsabl­e de l’antenne du Centre national de référence ( CNR) des virus des infections respiratoi­res et membre du Conseil scientifiq­ue, est l’un de ces grands généraux, pourtant sans armée ni apparat, qui mènent une traque discrète mais essentiell­e sur les traces du virus en France. Il est aussi l’un des Lyonnais les plus écoutés du pays, jusqu’au sommet de l’État où ses études sur les variants ont inspiré à Emmanuel Macron le choix de ne pas reconfiner tout de suite.

Course contre la montre. De temps, il n’est d’ailleurs question que de cela à la Croix- Rousse : « C’est une course contre la montre. Il faut accélérer l’immunisati­on vaccinale tout en freinant l’arrivée des variants qui pourraient mettre ces vaccins en péril. C’est la course entre le vaccin et le variant » , explique Bruno Lina. On voit à ses cheveux en bataille, à son portable qui tressaute toutes les 2 secondes, à ses pensées qui se bousculent qu’il est engagé corps et âme dans ce sprint vital. Une guerre se gagne souvent dès lors qu’on a décodé les usages de l’ennemi. Alors ici, on découpe des morceaux de virus, on séquence son code générique, on débusque ses anomalies, on y cherche ses inspiratio­ns britanniqu­es, brésilienn­es ou sud- africaines. Trois biologiste­s, deux ingénieurs et six technicien­s, voilà l’état de l’armée de l’ombre… « Je n’utilise pas ce combat pour gagner des moyens » , évacue aussitôt le professeur Lina. Prochainem­ent, il devrait tout de même recevoir de nouveaux automates qui lui permettron­t d’augmenter considérab­lement la capacité de séquençage. « Aujourd’hui, on réalise environ 400 à 500 séquençage­s par semaine, expliquent ses équipes. On va pouvoir augmenter et passer à 1 000 » avec un objectif de 2 000 qui permettrai­t de ne pas perdre l’avantage dans la course contre les évolutions du virus.

Le variant britanniqu­e s’incruste. Bruno Lina lit dans le virus et son code génétique comme d’autres décryptent le fond de l’air ou flairent l’opinion. La différence est de taille : « Je suis cartésien, un peu excessif, se définit- il. Que le virus me prenne par surprise, la réponse est oui, mais à chaque fois qu’il me surprend suis- je terrorisé ? Eh bien ! non ! Un des rôles du CNR, et ce que je peux apporter, c’est de trouver des solutions contre ce virus. » Et cela commence par la surveillan­ce des 30 000 caractères de son génome, désormais entré dans une phase de grande agitation et de mutations intenses. Selon les travaux réalisés à l’hôpital de la Croix- Rousse, le variant britanniqu­e pourrait devenir majoritair­e en France entre le 1er et le 15 mars. Sa version sud- africaine serait, elle, déjà présente à hauteur de 3 ou 4 %, au stade où en était son cousin anglais début janvier. Et ces variations extérieure­s sur un même thème dangereux se jouent à très haute intensité… Car ces variants ont deux défauts majeurs pour nous, incontesta­bles avantages pour eux : être

plus contagieux d’une part et, pour les brésilien et sud- africain, potentiell­ement amoindrir l’efficacité de certains vaccins. De quoi faire peur ?

« Je n’ai pas peur, tranche aussitôt le virologue, je ne crains pas, je ne redoute rien et je ne suis pas inquiet. L’idée n’est pas d’être sidéré, mais d’avoir des éléments de réponse. » Voilà qui range l’émérite chercheur dans la catégorie, plutôt rare, des combattant­s optimistes. « Replaçons- nous début mars, on était totalement démunis…, rappelle- t- il. Aujourd’hui, on est quand même armés. On a des vaccins, on est capables de faire plus de deux millions de tests par semaine, de gérer l’isolement et freiner la diffusion du virus, on a une adhésion de la population aux mesures barrières. À l’hôpital, on a été capables d’optimiser la prise en charge des patients, avec une réduction par deux de la mortalité, on commence à imaginer des stratégies thérapeuti­ques. »

L’homme que le pouvoir écoute. Selon lui, dans sa bataille contre le virus, l’humanité n’a certes pas encore tout à fait repris la main, mais elle commence à « être en situation de pouvoir infléchir la dynamique épidémique » . Pour la grippe, dont Bruno Lina est un spécialist­e mondial, en règle générale, l’épidémie se tasse au bout de la troisième vague. Nous y sommes peut- être avec ce coronaviru­s… « Si ça se trouve, il est en train de finir son adaptation. » Mais comme à chaque fois, le virologue ponctue l’hypothèse d’une sage prudence et de doutes nécessaire­s : « Ça, personne ne le sait. » « Le douteur est le vrai savant » , disait Claude Bernard.

Cette crise a parfois pu, au contraire, révéler d’étranges réseaux de certitudes, énoncées à tort et à travers sur les plateaux télé. Ou dans les travées impatiente­s de l’opinion et de ses représenta­nts en écharpe tricolore. Dans le brouillard de la guerre, les scientifiq­ues ont- ils pris le pouvoir ? Celui qui chuchote à l’oreille d’Emmanuel Macron récuse l’idée. « On a un poids d’éclairage, mais pas décisionna­ire, estime Bruno Lina. On a une relation avec le politique qui est certes très étroite, mais je ne parle pas au Président tous les jours. On discute avec beaucoup de monde de l’exécutif. Ils nous ont plutôt suivis jusque- là et on a l’impression qu’on ne s’est pas trop trompés. »

« Oui, ça va s’arrêter. » Bruno Lina ne s’avance jamais plus loin sur le terrain politique ou de l’opinion, en antithèse discrète d’un Didier Raoult tapageur. Il ne veut pas de compte Twitter, se désole quand il jette un oeil sur les réseaux sociaux. Il n’aime pas non plus les oracles qui délivrent leurs prévisions hasardeuse­s du fond des grottes médiatique­s. Sur la ligne de front, il ferraille avec les gènes et les chiffres et c’est en eux qu’ils forgent sa croyance. « Oui, ça va s’arrêter, promet- il. On ne retrouvera pas la vie d’avant, mais on trouvera bientôt la vie d’après. » D’ici là, Bruno Lina va continuer son corps à corps avec le virus. « Je suis avec lui tout le temps, il m’étonne, il me déroute, il me prend par surprise de temps en temps. Je n’aime pas ça. Il fait tomber des certitudes, peste le professeur, mais être au coeur de ce combat est fascinant. » Sa guerre n’est pas finie.

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 ??  ?? Le professeur Bruno Lina, virologue et membre du Conseil scientifiq­ue, organise la traque des variants. Il estime que la version britanniqu­e du virus sera majoritair­e d’ici la mi- mars. Mais il croit en une sortie de crise prochaine grâce à la vaccinatio­n et à la fin de l’hiver.
Le professeur Bruno Lina, virologue et membre du Conseil scientifiq­ue, organise la traque des variants. Il estime que la version britanniqu­e du virus sera majoritair­e d’ici la mi- mars. Mais il croit en une sortie de crise prochaine grâce à la vaccinatio­n et à la fin de l’hiver.

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