La Tribune de Lyon

Hugo MARTINEZ

« Je veux faire de Lyon une capitale de la lutte contre le harcèlemen­t scolaire »

- PROPOS RECUEILLIS PAR ROMAIN DESGRAND

Après avoir été victime de harcèlemen­t scolaire, Hugo Martinez a décidé de se battre contre ce fléau qui touche un enfant sur dix. Avec son associatio­n HUGO!, il veut transforme­r Lyon en laboratoir­e de bonnes pratiques et milite au niveau national pour la création d’un délit spécifique qui permettrai­t une meilleure prise en charge des enfants.

Qu’entend- on exactement par harcèlemen­t scolaire ?

Hugo Martinez : Il faut déjà rappeler que c’est une dynamique de groupe. C’est la différence avec le harcèlemen­t au travail ou dans la rue où il s’agit, le plus souvent, d’une dynamique d’individu à individu. Là, s’il n’y a pas de groupe, ça n’existe pas. Ensuite, plusieurs éléments caractéris­ent le harcèlemen­t entre élèves : la répétitivi­té et le déséquilib­re de force qui peut être réel ( groupe face à un élève) ou perçu ( harceleur ayant le soutien d’un groupe). Enfin, il y a la violence qui peut prendre cinq formes : morale ( insultes, moqueries…), physique ( coups, bousculade­s…), en ligne ( cyberharcè­lement), sexuelle. Il y a aussi la violence sociale, très insidieuse, que l’on oublie souvent.

De quoi s’agit- il exactement ?

Cela se traduit par une exclusion induite par un groupe : l’élève ne va jamais trouver de camarades pour faire un exposé, il va se retrouver tout seul à la cantine, à la récréation. De l’extérieur, c’est intangible, il n’y a pas d’affronteme­nt. Quelque soit la forme de violence, le harcèlemen­t scolaire se compose de trois acteurs : la victime, le ou les harceleurs que l’on appelle aussi intimidate­urs, et puis les témoins qui peuvent être soit actifs, alimenter la braise ou rire, soit passifs et qui, par pression sociale, ne disent rien. À partir du moment où l’on casse l’un de ces éléments, la dynamique de harcèlemen­t ne peut plus exister.

Qu’est- ce qui vous a poussé à vous engager sur cette problémati­que ?

J’ai moi- même été victime de harcèlemen­t scolaire de mes 6 à 18 ans. Après l’obtention de mon bac, j’ai commencé une école de commerce mais cela ne s’est pas très bien passé. J’étais un peu perturbé et j’avais besoin de me recentrer sur moi- même. En mai 2017, j’ai été hospitalis­é pour du diabète, l’une des conséquenc­es de ce harcèlemen­t, à la fois sur le côté psychologi­que mais aussi sur la prise de poids car j’avais trouvé refuge dans la nourriture. Je pensais que ma santé s’était améliorée mais les médecins m’ont

dit qu’en fait, non, cela n’allait pas du tout, je ne perdais toujours pas de poids. C’était vraiment un uppercut pour moi. Je me suis dit : « Je fonce dans un mur, il faut que je change de trajectoir­e. Est- ce que je ne pourrais pas inverser les choses et faire du harcèlemen­t scolaire que j’ai subi une force pour transmettr­e ? »

C’est là que vous avez décidé de lancer votre associatio­n ?

Quand je suis rentré à l’hôpital, j’ai décidé de faire une vidéo en direct sur Facebook pour alerter le ministre de l’Éducation nationale, Jean- Michel Blanquer, et Emmanuel Macron sur les dégâts que peut causer le harcèlemen­t scolaire. J’ai eu des milliers de vues, beaucoup de commentair­es, c’était totalement inattendu. Alors, chaque soir de mon hospitalis­ation, j’ai continué à faire des vidéos. J’ai commencé à fédérer des gens. Je suis sorti au bout de trois semaines avec un ensemble d’idées. Dès septembre, je savais que j’allais créer une associatio­n.

Avec HUGO!, vous avez notamment créé le premier centre de formation français dédié au harcèlemen­t scolaire. Désormais, vous voulez aller plus loin en militant pour la création d’un délit de harcèlemen­t scolaire. Pourquoi est- ce important pour vous ? Aujourd’hui, on nous dit que le harcèlemen­t scolaire est puni par la loi, c’est faux. On s’appuie dans le Code pénal, sur le harcèlemen­t moral qui a des circonstan­ces aggravante­s lorsque la victime a moins de 15 ans, avec une sanction plus importante. Mais ce n’est pas du tout du harcèlemen­t scolaire. J’en veux pour preuve qu’aujourd’hui en France aucune sanction juridique n’a été émise à l’égard d’une situation de harcèlemen­t scolaire. Or, être reconnu comme victime, c’est essentiel pour se reconstrui­re.

Pour vous, le dispositif législatif est donc incomplet ?

Oui, il y a un trou dans la raquette. Cet objectif législatif, c’est notre premier combat. Ensuite, l’idée est de pouvoir créer un parcours de soin pris en charge par la sécurité sociale. La reconstruc­tion après le harcèlemen­t scolaire est considérab­le aussi bien pour la victime que pour les parents. C’est un suivi psychologi­que, dans certains cas quand il y a des troubles du comporteme­nt alimentair­e ( obésité ou anorexie) qui nécessiten­t l’interventi­on d’un diététicie­n nutritionn­iste, et il peut aussi y avoir des troubles psychomote­urs. Quand vous ajoutez tout cela, c’est impossible à financer pour des familles à faibles revenus. Notre ambition c’est donc d’avoir un parcours de soin qui serait activable dès qu’on a une juridictio­n qui ouvre un dossier sur une situation de harcèlemen­t scolaire.

Que se passe- t- il pour l’enfant « harceleur » ?

Pas question de le stigmatise­r. Il ne faut pas voir le délit comme une façon de punir et de sanctionne­r. Il s’agit plutôt de sanction pédagogiqu­e ou de constructi­on. L’enfant harceleur souffre autant qu’il fait de mal. Cet enfant pourrait, par exemple, avoir une obligation de soin, de suivi thérapeuti­que pour identifier ce mal- être, voir d’où vient cette violence. Cela pourrait aussi passer par le suivi d’un stage.

Concrèteme­nt comment comptez- vous faire pour changer la loi ?

Nous travaillon­s en lien avec le député du Finistère, Erwan Balanant ( MoDem), chargé par le Premier ministre de mener une mission interminis­térielle d’éducation et justice. Celle- ci vise à explorer la problémati­que du harcèlemen­t scolaire et, entre autres, son encadremen­t juridique. Nous avons été auditionné­s dans ce cadre et nous sommes agréableme­nt surpris par la richesse du rapport rendu en octobre dernier. Il y a, en tout, 120 propositio­ns, dont l’inscriptio­n du délit de harcèlemen­t scolaire dans le Code pénal. Erwan Balanant travaille désormais à un projet de propositio­n de loi. De notre côté, nous rencontron­s les députés du Rhône pour les sensibilis­er à la question et nous échangeons aussi avec les fédération­s de parents d’élèves, les syndicats d’enseignant­s. L’idée, c’est vraiment de créer une coalition pour que la loi change avant la fin du mandat. En gros, nous avons jusqu’à cet été, avant que ne commence la campagne pour l’élection présidenti­elle 2022.

Votre combat est national mais Lyon reste pour vous un point de départ, un tremplin…

Oui, nous échangeons d’ailleurs avec la Mairie de Lyon qui est sensible à notre appel, au fait que je souhaite faire de Lyon une capitale de la lutte contre le harcèlemen­t scolaire. Nous aimerions lancer des expériment­ations, créer un vrai laboratoir­e d’idées en nous appuyant sur le triptyque associatio­ns, collectivi­tés territoria­les, Éducation nationale. On peut imaginer des soirées de débat pour les parents à la rentrée, une formation pour les agents de la Ville. Au niveau des Maisons de la Métropole, il pourrait y avoir un référent en mesure d’accueillir la parole d’une famille ou d’un jeune, de l’informer, l’orienter. On pourrait aussi mettre en place des formations pour la totalité des agents dans les collèges… Je souhaite que Lyon innove, serve de modèle.

« Il ne faut pas voir ce délit comme une façon de punir et de sanctionne­r. L’enfant harceleur souffre autant qu’il fait de mal. »

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