La Tribune de Lyon

« Je veux faire perdurer le nom Pignol. Pour mon prénom, on verra après »

- PROPOS RECUEILLIS PAR VÉRONIQUE LOPES

En 2018, Jean- Paul Pignol nous confiait vouloir laisser les rênes de la Maison à son fils cadet, Baptiste. Après son diplôme obtenu à l’Institut Paul- Bocuse, et deux ans passés au Ritz à Paris et chez Daniel Boulud à New York, le jeune chef de 25 ans, désormais directeur général adjoint, est revenu à Lyon et commence à imposer doucement son style et ses idées dans l’entreprise familiale.

En 2018, votre père, Jean- Paul Pignol, nous avait dit : « Baptiste a les capacités pour reprendre l’entreprise, il comprend vite, c’est un travailleu­r et il est apprécié de tous les salariés… il en a très envie et moi aussi. » Comment se passe cette transmissi­ontransiti­on ?

Baptiste PIGNOL : Au sein de ma famille, ça s’est passé très naturellem­ent. Déjà vers 16- 17 ans, je disais que c’était un métier qui m’intéressai­t. Ma mère m’a poussé à passer mon bac, puis à poursuivre à l’Institut Paul- Bocuse. Depuis mon retour à Lyon, j’ai réussi à bien m’intégrer dans l’entreprise. J’ai énormément de chance : j’ai été accepté de manière remarquabl­e par les équipes. Beaucoup me connaissai­ent déjà car, pendant mes études, je venais travailler avec eux au labo à Brignais et, dans un sens, ils savaient que j’allais revenir. Avec la clientèle aussi ça se passe bien. Les clients sont toujours les plus durs à convaincre, ce qui est normal. Je ne suis ni mon père ni ma mère. Je me donne à fond pour que ça marche, et pour faire perdurer le nom Pignol. C’est mon but.

Ce n’est pas un peu lourd d’arriver aussi jeune à la tête d’une telle entreprise ?

Bien sûr que c’est lourd, mais quand on n’a pas le choix, on n’y pense pas ( rires). C’est bien d’avoir un peu de stress, mais trop de stress, ce n’est pas bon non plus. Des problèmes, on en a tous les jours à ce poste- là. Des récompense­s aussi, heureuseme­nt.

N’est- ce pas trop difficile de se faire un prénom quand on a un père si connu ?

Je ne sais pas, on verra ! Lui- même a dû faire face à la même situation par rapport à son père ( Vital qui avait fondé la maison en 1954, NDLR). Je vais déjà tenter de faire perdurer le nom Pignol ; le prénom, on verra après. Il y aura toujours des gens qui penseront que c’était mieux avec mon père, d’autres avec moi… Si on fait de la qualité, de bons plats dans la tendance, ce qu’aiment les gens, ça ira. Je ne me prends pas la tête avec ça. Vous savez, je pars du principe qu’une seule personne ne peut pas porter tout toute seule. Cédric Grolet au Meurice réussit parce qu’il a un

super chef à ses côtés, Daniel Boulud aussi. Moi, j’ai fait entrer dans l’entreprise un jeune pâtissier, Tony Fernandez, pour créer ma petite équipe. Je ne veux pas tirer la couverture à moi. À l’époque, ça se faisait peut- être comme ça, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Alors pour mon prénom, ça prendra le temps que ça prendra. Ça dépendra uniquement du travail que l’on va faire.

Vous avez une échéance à laquelle vos parents souhaitera­ient vous passer le flambeau ?

Non, il n’y en a pas. Ça se fera naturellem­ent, quand mon père sentira qu’il peut décrocher. C’est un Bocuse mon père ! Il fait partie de la génération des gros bosseurs qui ont construit toute leur vie autour de leur entreprise. Le travail, ça maintient en grande forme, j’en suis convaincu. Et d’ailleurs, je veux que ça reste comme ça. Quand on crée de nouvelles choses, je tiens à les lui faire goûter, à prendre ses conseils avisés. On me dit qu’il faut que je « tue mon père » . Même lui le dit ! Mais je ne suis pas du tout d’accord. Je trouve que cette expression n’est pas belle, et ce n’est pas ce que je cherche. Je l’impliquera­i toujours d’une certaine manière. J’ai la chance d’être arrivé dans une période où l’entreprise ne tourne pas à plein régime. J’apprends plus rapidement comme ça. Ce n’est pas un contexte idéal, mais cela ne joue pas en ma défaveur. On a travaillé huit mois sur les boutiques et maintenant, je commence à réfléchir à ce que sera l’événementi­el de demain, à ce que l’on veut proposer…

Et c’est quoi pour vous l’événementi­el de demain ?

C’est un événementi­el plus durable. Faire le bon choix des produits, toujours proposer un bon prix aux clients. C’est un événementi­el plus réfléchi aussi. Par exemple, on vient d’être certifié bio pour toutes nos farines qui viennent d’un moulin dans l’Ain. Notre pain est 100 % bio, comme nos fonds de tartes, nos quenelles… Pour moi, c’est extrêmemen­t important. Je suis à 200 % convaincu par le bio. Bien sûr, c’est un coût en plus pour nous, mais c’est un nouveau service et une nouvelle dynamique que l’on apporte à nos clients. Même pour nos équipes, c’est important. Et on a eu la chance d’effectuer ce changement au bon moment, pendant le confinemen­t, avant que l’on soit de nouveau à fond. Ce changement a induit de retravaill­er l’intégralit­é de nos recettes. Cela nous a pris quatre mois. Globalemen­t, on est très contents. Je pense même que le pain est meilleur qu’avant. La période actuelle est difficile, mais elle a apporté de belles choses aussi.

Vous restez optimiste donc malgré le contexte ? On se rend compte de l’importance de n’avoir jamais mis tous nos oeufs dans le même panier. À une époque, on nous disait de miser sur l’événementi­el, car ça rapportait, et que nos boutiques n’étaient pas pertinente­s… On voit aujourd’hui que c’était faux. Sans elles, on serait cuits. Dès le 8 mai dernier, c’est à travers notre réseau de boutiques que l’on a pu retrouver nos clients, travailler différemme­nt. On a lancé plein de projets pour dynamiser nos livraisons… On n’est pas restés les bras croisés à attendre. On sait bien que l’on ne rattrapera jamais les 55 % perdus du chiffre d’affaires de l’événementi­el, mais si l’on rattrape ne serait- ce qu’un demi- pourcent grâce à nos nouveaux services, ce sera toujours ça de pris.

À Noël 2019, on faisait 2 % de Click & Collect ; cette année, c’est 33 % de notre chiffre.

Qu’avez- vous développé justement ?

On a boosté notre site internet, qui était déjà prêt avant le confinemen­t mais que l’on utilisait très peu. On est présent sur UberEats et Deliveroo pour le service du midi. Ils nous apportent une autre clientèle. On a développé de nouveaux produits spécifique­ment pour les plateforme­s, comme un kebab lyonnais avec du saucisson pistaché pour une clientèle plus jeune. Aujourd’hui, on fait en moyenne une trentaine de couverts chaque jour.

Cela semble plutôt anecdotiqu­e en volume pour une grosse structure comme la vôtre…

Pas du tout. Si les livraisons ne sont pas très importante­s en volume, le Click & Collect a explosé. À Noël 2019, il représenta­it 2 %, mais cette année, c’est 33 % de notre chiffre. Ce service devient indispensa­ble pour nous. C’est une nouvelle façon de vendre, de communique­r aussi. Mon rôle est aussi de dynamiser nos réseaux sociaux, on essaie de le faire du mieux qu’on peut ( Pignol compte plus de 12 000 abonnés sur Facebook et 6 700 sur Instagram, NDLR). Maintenant nos boutiques ont bien redémarré, ça a pris du temps, mais je suis convaincu qu’on peut faire encore mieux.

Vous avez un tempéramen­t de conquérant. Rien ne semble vous faire peur…

Je suis un compétiteu­r en effet, mais je ne suis pas fait pour travailler tout seul. Être en groupe mène beaucoup plus loin. Mon but est de tirer vers le haut mes collaborat­eurs avec moi, qu’ils se fassent plaisir, et s’enrichisse­nt dans tous les sens du terme.

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