La Tribune de Lyon

L’invitée.

Audrey Hénocque, première adjointe au maire en charge des finances, tient les cordons de la bourse du projet écologiste. Mais aussi ses lignes de fond qu’elle s’efforce d’incarner derrière les chiffres. Dans son livre de grande argentière verte : un budge

- PROPOS RECUEILLIS PAR LILIAN RENARD

Audrey Hénocque : « Ma mission, c’est financer la transition écologique et l’égalité »

Vous êtes la grande argentière de la Ville. Alors c’est quoi être une financière écolo ? Audrey HÉNOCQUE : C’est financer la transition écologique ! Et gérer intelligem­ment, sans économies de bouts de chandelle qui brisent le service public. On a vu comment les hôpitaux ont été paupérisés par les demandes incessante­s d’économies. Et puis il s’agit de traduire nos choix : écologie, justice sociale, égalité femmes- hommes.

Votre budget, qui sera présenté et voté le 25 mars, est dit « sensible au genre » . Expliquez- nous… L’idée, c’est d’évaluer comment les dépenses sont affectées au bénéfice des citoyennes et des citoyens. À terme, pour chaque ligne d’un budget de 800 millions d’euros, on déterminer­a ce qui est favorable ou défavorabl­e à l’égalité femmes- hommes. Dès 2022, on appliquera cette lecture à cinq secteurs : sport, établissem­ents culturels, finances d’une mairie d’arrondisse­ment, espaces publics et commande publique.

Selon quels critères d’analyse ?

Le plus simple sera de partir des usages. Tel lieu est- il plus utilisé par les garçons ou par les filles, telle dépense profite- t- elle aux hommes ou aux femmes ? La politique pour les personnes âgées est plutôt féminine, parce que la majorité des personnes en Ehpad sont des femmes. À l’inverse, les garçons sont majoritair­es dans les équipement­s de plein air. Il peut s’agir de problémati­ques urbanistiq­ues, le fait que le marquage au sol indique un terrain de foot par exemple, ou plus fondamenta­lement culturelle­s et qui empêchent les filles d’utiliser l’espace.

Il s’agira donc de penser des équipement­s en fonction de leur rapport au genre ? L’interventi­on n’est pas que du domaine de l’urbanisme. Prenons l’exemple du skatepark. On peut aussi soutenir les associatio­ns qui apprennent aux filles à faire du skate ou leur réserver le site un temps donné. Ça peut paraître choquant, mais il a été prouvé qu’elles prendront alors confiance et utiliseron­t ensuite les créneaux avec les garçons. On est parfois obligé de passer par un temps de non- mixité pour rétablir les choses. Autre exemple,

intarissab­le, elle raconte le budget comme d’autres les épopées. Ce ne sont plus des chiffres, mais des choix politiques affirmés pour traduire le projet politique écologiste dans la vie des Lyonnais. Administra­trice territoria­le de carrière passée par le Départemen­t et la Région, Audrey Hénocque connaît les politiques publiques sur le bout des doigts. Au café, on a compris ce double engagement politique, construit par les aléas de ses vies profession­nelle et personnell­e. À 20 ans, elle créait une associatio­n de recherche sur la moelle épinière ; à 40, elle est chargée d’imaginer les dynamiques d’un budget écolo et sensible au genre. Logique en fait.

dans la cour d’école, quand les adultes laissent les enfants jouer d’eux- mêmes, on voit que certains garçons squattent le milieu et les filles restent dans les coins.

Il faudra donc selon vous agir dès qu’un déséquilib­re est décelé ?

Pas forcément. On peut parfois s’en tenir au constat. Dans le cadre du budget de la sécurité, on peut observer que ce sont plutôt des garçons qui sont appréhendé­s. Ça ne change pas la nécessité de lutter contre l’insécurité en général. L’idée, c’est de garder les yeux ouverts ; ensuite, il faut parfois corriger et parfois non.

Redoutez- vous des polémiques sur le sujet, comme la Ville en connut sur l’écriture inclusive par exemple ?

Il existe objectivem­ent un écolo- bashing. Mais les idées en faveur de l’égalité femmes- hommes, pour une société plus solidaire et pour un meilleur respect du vivant sont majoritair­es, j’en suis certaine.

Les finances de la Ville ont- elles souffert de la crise ?

En 2020, on évalue la perte à 45 millions d’euros, entre les recettes qui font défaut et les dépenses supplément­aires. Pour 2021, on a encore prévu 7,5 millions pour les dépenses Covid. Dans cette somme, il y a la suite du plan d’urgence culture, les aides pour le commerce et l’artisanat, des achats de masques et de protection­s individuel­les.

Votre premier budget traduit- il déjà les priorités politiques de la majorité écologiste ?

C’est encore un moment de transition. Mais on fait déjà évoluer les dépenses de fonctionne­ment. La masse salariale va être réévaluée après des années de forte austérité. Cent postes sont créés, soixante liés à des crèches ou écoles livrées, et le reste pour accompagne­r notre projet, sur des fonctions qui n’existaient pas.

L’opposition vous accuse déjà de faire flamber les dépenses de fonctionne­ment…

On a 100 millions d’euros d’épargne brute. À la fin du mandat, en dépensant plus pour la masse salariale ou pour soutenir les associatio­ns, on aura encore la moitié de cette capacité. Il nous restera donc 50 millions de plus que ce que l’on dépense. Les finances de la Ville sont préservées. La preuve, Standards & Poor’s a conservé notre note en A+. L’agence a compris que l’endettemen­t concernait des dépenses d’avenir.

Vous assumez en effet la dette pour présenter un plan d’investisse­ment de 1,25 milliard… C’est raisonnabl­e ?

On a préféré mettre tout de suite les pieds dans le plat. En disant, avec une vison très prudente des recettes et en assumant des investisse­ments, que l’on pourrait arriver jusqu’à 11 ou 12 ans d’endettemen­t. J’aurais préféré trouver une dette plus importante et avoir moins de retard dans la rénovation des équipement­s publics.

Il faut voir l’état des piscines ou de certaines écoles. Nos investisse­ments se consacrero­nt donc à la rénovation.

Quel montant sera engagé dès cette année ?

Cela représente 147 millions. Y figurent des coups partis, même si certains projets ont été arrêtés comme le musée Guimet. Sur cette PPI ( programmat­ion pluriannue­lle des investisse­ments, NDLR) cette année, un tiers seulement des sommes sont de nouvelles enveloppes pour la végétalisa­tion des rues ou l’améliorati­on des écoles. En fait Gérard Collomb ne faisait pas grand- chose en termes d’équipement­s publics. Son modèle, c’était de laisser faire le privé ; ce n’est pas le nôtre. On doit donc rattraper le retard pris dans les écoles. C’est d’ailleurs notre premier investisse­ment du mandat, avec 350 millions d’euros pour créer sept groupes scolaires et en rénover une vingtaine. Ensuite viennent les espaces publics, la nature en ville, et en troisième position, la culture.

Les maires d’arrondisse­ment portaient beaucoup de projets. Comment avez- vous dû arbitrer ?

Ça été très collectif. Avant, ça se décidait dans le bureau du maire avec un stylo rouge. Nous, on a fait un séminaire avec des gommettes… On a voté sur les projets de chaque secteur. Le maire a demandé que les équipement­s soient utiles aux citoyens et sobres. Ce n’est pas triste pour autant ! Si je prends la culture, en création, on s’en tiendra aux Ateliers de la danse dans le 8e qui seront moins somptuaire­s que dans l’ancien musée Guimet. On va aussi engager plus d’une vingtaine de réhabilita­tions. C’est ce qui se fera aux Subsistanc­es ou à la villa Gillet pour le festival de la BD. Et puis on va créer 500 places de crèches, une piscine. La ville sera mieux équipée.

Sobriété donc…

On veut aussi essayer de trouver d’autres types de financemen­t, des fonds éthiques, ou s’appuyer sur l’épargne des citoyens. On réfléchit à l’émission d’obligation­s, pour les gens qui n’ont plus envie de mettre leur argent sur des PEA ou dans le circuit capitalist­ique classique.

Allez- vous comme promis déléguer une partie du budget aux citoyens ?

Le « baromètre du bien- être » est l’un de ces outils qui permet aux citoyens d’indiquer ce qui compte pour eux et faire évoluer nos choix. Et puis, on va créer un budget participat­if, avec 25 millions dédiés à des projets portés par les citoyens et 25 autres mis à leur dispositio­n sur des opérations identifiée­s. Par exemple, pour refaire le parvis de la mairie du 8e, ils auront carte blanche.

« Avant, le maire décidait seul avec un stylo rouge… Nous, on a fait un séminaire avec des gommettes. »

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5 Grande rue des Feuillants, Lyon 1er.

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